De l'alcool

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Je veux expliquer pourquoi, pour autant que je puisse. Pourquoi l'alcool, tous les soirs. J'en profite de ce que j'ai bu pour vous dire pourquoi je bois, avant qu'il me soit impossible d'en dire de nouveau quoi que ce soit. Que tout me soit encore inaccessible, intraduisible, une fois sobre ; et qu'alors aucun cri, si on devait en arriver là, n'y suffirait pour faire entendre le cri silencieux, véritable, surpuissant — jouissance mon dieu ! — m'envahissant dans le plaisir infini de l'ivresse ! Pas même mon piano ne pourrait en donner une idée, même approximative (à supposer que je sache encore en jouer. Rien n'est moins sûr : je n'y touche plus depuis des années). Je suis donc ivre, mais je reste intelligent. Mon esprit est vif, mes yeux sont au-dessus. Comme s'ils regardaient de haut les effets de l'alcool sur mon corps, qui danse alors sans se douter de ce qu'il a l'air, acéphale, une poule qui se refuse de mourir.


Je suis fou ! Car mon espèce n'est pas d'ici. Je suis anachronique et d'ailleurs, en plus d'être un ange né avec les ailes brisées ! Je suis devenu un homme par la force des choses. J'ai su m'adapter et faire semblant. Mais l'alcool, l'alcool !, me révèle. Je suis autre. Moi — authentiquement moi.
Quand tout vacille autour, et que ma conscience n'est plus qu'un cerveau, je vois, hébété (les yeux à présent ne résistent plus), que je suis ridicule, ainsi engoncé dans tant de matières qui ne serviront bientôt plus à rien, sinon à nourrir des vers toujours à l'affût et à l'abri du soleil.
L'alcool, car le temps ne m'est plus une angoisse — il se détend à nouveau et ainsi l'espace redevient lui dilatoire, comme dans mon enfance véritable. Courir les yeux fermés sans plus tomber nulle part et aussi longtemps que je le désire !
L'obscurité. Le bateau tangue sur une vague qui augure la marée haute, comme jamais n'a-t-elle été remarquée. Je suis heureux.


Je ne pourrai plus rien dire très bientôt... Je préfère me taire pendant qu'il m'est encore possible de choisir. Rester digne (du moins comme vous dites). Et si vous voulez vraiment en savoir plus : venez donc trinquer avec moi !...

24/04

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