Du grand-père

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Grand-père se meurt à côté de notre maison, 500 mètres tout au plus. Un ehpad. Je ne vais pas le voir, jamais ; il ne veut pas.

Il a fui l'Espagne pour fuir Franco. Et par suite, de manière générale, tout au long de sa vie : fui tout ce qui était l'Espagne et ce qui y ramenait sans cesse — sa famille.

Puis il a lu, bu, beaucoup ; mais nu était-il le plus souvent, dans les bras (ou entre les cuisses) de femmes qui ne répondaient jamais au même prénom. Jusqu'à ma grand-mère, une normalienne. Une femme presque belle, mais sincère. Elle aimait le latin et les ouvriers ; mon grand-père l'eut aimée, profondément je crois, pour ça (car il avait des idées en politique l'andalou aux yeux toujours souriants ! sous ses cheveux noirs ! aussi noirs que sa belle barbe fleuve !, et la gauche c'était quelque chose à table le dimanche quand il en parlait le poing en l'air).

Un homme aimable et beau, qui jure au soleil les plus belles choses pour vous, pastis à la main, sourire aux lèvres — l'homme, mon grand-père, le vrai ! Mais se parjure tout de suite après, la nuit : des femmes, ou plutôt des ados qui devraient le devenir un jour, toujours plus jeunes pour le moment, toujours plus conciliantes (qu'il aimait ça le vieux ! Je le voyais là-haut depuis ma jalousie : ses yeux de porc ne trompaient pas et ses mains baladeuses, celles-ci !... Grand-mère, elle, ronflait — elle ne s'est jamais vraiment douté de qui il était, ou peut-être faisait-elle semblant de ne pas voir). Je le savais mais ne disais rien. J'avais l'impression ainsi d'avoir un secret d'homme : lui et moi. Comme père et fils. Un secret pour la vie !

Il n'a jamais revu ses parents, ni aucun de ses frères et sœurs — il n'avait pas 20 ans quand il leur dit au revoir, à bientôt. Ni même sa fille, ma tante. C'est un personnage mon grand-père, un drôle d'oiseau comme on dit, et maintenant il va mourir.

Et ce gros oiseau m'aura tout de même appris un peu de choses. Pas mal même. Il m'aura déjà appris le piano et l’Histoire de France. Ce qui est déjà assez pour un type comme lui.

Au revoir grand-père.

25/04

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