De la grâce
Le rire me délivre. Les enfers eux-mêmes n'y peuvent plus rien ; aucun diable n'y tient plus.
Quand je ris, je suis invulnérable, profondément.
Le rire est l'épouvantail, mon œuvre, contre le réel de tout ce qui veut ma chute : les dieux et les hommes (et sans doute autre chose encore).
Je ris de tout ce qui se veut fossoyeur de mon rire !
Je ris de tout ce qui m'en veut.
Je ris, encore, après toutes limites — et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas et pleurent partant toutes les larmes du monde.
Je ris, et c'est une grâce. Et qui m'arrache enfin à la pesanteur le temps de ce prodige qui, pour moi, mon corps, mon esprit, est : souvenir présent de l'instant.
Je ris au-dessus des précipices.
L'angoisse est son pendant.
Elle loge à la même enseigne, mais font chambre à part (près de ce qui aurait pu être appelé un huis clos).
Le rire, en effet, s'en méfie, la nuit comme le jour, comme d'une maladie à taire pendant, au moins, l'éternité.
L'angoisse aussi s'exprime bruyamment, surtout quand elle reste silencieuse du dehors. (Comme cela oui, et pas autrement ; et pourquoi ? Parce que. Pourquoi ? Je ne sais pas, je n'en sais rien bon sang !)
Mon corps est conducteur à plein temps de toute angoisse, sans cesser jamais, même l'été, surtout l'été ; mon sang est mêlé dans la noirceur que m'inocule — de Dieu sait où — l'angoisse étalant alors son ombre dans sa ruée vers quelqu'un que je ne reconnais plus.
Il se désintéresse à cet instant de toutes tentatives de fuite, jusqu'à ne plus savoir ni pouvoir dire "Je" (où suis-je alors ???).
Jusqu'au moment où, enfin, tout de même il aimerait dire : Qui suis-je ?
Cependant, elle me confirme dans mon sentiment, ce faisant, d'exister. Et c'est pour cela que je me sens étranger à moi-même comme tout existant qui le sait (par elle, ou son pendant le rire) — parce que je me reconnais d'abord une familiarité évidente, une sympathie de toujours avec moi-même.
Je suis une luciole blanche tout autant qu'obscure et ma lumière souvent me brûle.
Et moment de grâce parfois — miracle ! quand le rire et l'angoisse se confondent ! — et qui, par extraordinaire, me rend tout entier au présent : aussi longtemps que dure pour moi un battement d'ailes.
Ainsi, mes frères, l'éphémère devient une leçon d'éternité.
Je vous aime.
01/05
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