Chapitre 16 : Déborah

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Debbie avait apprivoisé le fauteuil, témoin muet de leurs conversations. Plus d’une fois, elle avait résisté à l’envie de se retourner pour surprendre Déborah allongée, le regard moqueur, une coupe de champagne à la main. Jamais ils ne se rencontraient ailleurs que sur la terrasse. Un jour chargé de nuages, elle surprit Mezz en train de passer une peau de chamois sur le fauteuil avec des gestes lents. Il leva la tête en l’entendant et se tourna vers elle. Jamais il ne lui avait paru aussi vieux. Il tapota l’accoudoir.

— C’est là qu’elle se reposait. La femme de ménage n’y touche pas. J’ai l’impression qu’il ne supporte que moi. Vous devez me trouver un peu fou ?

— Pourquoi restez-vous seul dans cette maison ?

— Où voulez-vous que j’aille ? J’ai parcouru le monde et je suis fatigué. Je n’ai plus de famille. La dernière fois que j’ai voyagé c’était pour aller à l’enterrement de Billy Coleman dans un petit village français dont j’ai oublié le nom. J’ai fait là-bas un des meilleurs repas de ma vie.

Un orage menaçait et ils rapprochèrent la table de la porte-fenêtre. Un éclair illumina le salon. Accroché à un mur, un grand portrait de Paul Goncalves lui adressa un sourire enjôleur. Ce fut la seule fois où elle entrevit l’intérieur.

Le vieil homme continuait de lui parler d’un monde disparu qu’il meublait de mille détails pour mieux s’y dissimuler. Parfois, il prenait un malin plaisir à dévier le cours de la conversation.

— je suppose que le matin, vous profitez de la mer, malgré tous ces touristes ?

— Je n’aime pas trop me baigner. De temps en temps, à Paris, je fais quelques longueurs de piscine.

Il n’eut pas l’air de remarquer que son visage s’était brusquement fermé. Debbie bronzait avec une rapidité qui agaçait son entourage, surtout Mariana qui passait sans transition du blanc au rouge vif. Déborah avait vécu des années sur cette terrasse, pourtant, elle n’arrivait pas à l’imaginer avec la peau hâlée.

— Je vous comprends, moi non plus je ne fréquente pas la plage. La nudité à mon âge, ce n’est pas vraiment très esthétique. Un après-midi, Debbie remarqua brusquement un « D » aux courbes généreuses, gravé près du fauteuil et recouvert d’une couche d’enduit. Une lettre comme celles qui peuplaient autrefois les cahiers d’écoliers. En repartant, elle vit sous l’escalier un renfoncement dissimulé par un rempart de lierre séché où des outils de jardinage montaient la garde. Le pot était posé parmi de vieux sacs d’engrais. Figée dans la pâte durcie, une spatule portant encore l’étiquette du magasin était plantée, droite et obscène.

Deux jours passèrent encore puis, comme un cheval rétif qui se résigne peu à peu à la longe, Mezz « Finger » Wasp aborda la période la plus mystérieuse de sa vie. Parfois, elle se levait, faisait quelque pas, le frôlait, posait la main sur l’accoudoir, avec les précautions qu’on prend pour caresser un animal endormi.

— Comment avez-vous connu le « Blue Star » ?

— Après avoir été démobilisé, j’ai baladé ma carcasse de héros inutile dans les rues de New-York. Je suis passé devant cette boîte. J’ai aimé le nom. On cherchait un musicien, je faisais l’affaire. Un orchestre de boîte de nuit, je en pouvais pas mieux rêver. Je faisais des solos et j’avais l’impression d’être génial.

Il fit exception au rituel et alluma une cigarette

— Les autres musiciens étaient de braves gars. La paye était bonne …. Et il y avait Déborah.

Une fois de plus, Mezz s’interrompit et prit son saxo avec un petit sourire.

— Mais nous parlerons d’elle demain…

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