chapitre 17 les deux soeurs

5 minutes de lecture

Le lendemain, Mezz « Finger » Wasp l’attendait debout près du fauteuil. Elle s’assit et ouvrit un cahier neuf.

— Déborah et Madly étaient sœurs jumelles. Elles venaient du Connecticut où leurs parents, voulaient les marier à des espoirs du parti Républicain. Elles ont préféré tenter leur chance à New-York. Un jour, alors qu’elles marchaient dans une rue de Brooklyn, une voiture est arrivée un peu trop vite. Madly n’a rien eu mais Deborah était au mauvais endroit au mauvais moment.

Debbie se leva, fit quelques pas sur la terrasse, respira à fond et revint s’asseoir.

— Que se passe-t-il ? Vous avez un malaise ?

— Je me sens un peu barbouillée. J’ai passé une mauvaise nuit, Madame Lestouffade a fait du thon à l’escabèche. Je crois qu’elle a un peu forcé sur les condiments.

Il la transperça du regard.

— Une cuisinière aussi remarquable ? Vous m’étonnez ! Prenez un verre d’eau… Il la laissa boire puis reprit son récit.

— C’était Frankie Minelli qui conduisait. Il a fait ce qu’il pouvait pour qu’elle soit bien soignée mais elle n’a pas pu retrouver complètement l’usage de ses jambes. Une chose en entrainant une autre, il s’est mis à la colle avec Madly. C’est comme ça que tout a commencé. Debbie écrivait toujours, la tête penchée, maîtrisant le tremblement de sa main. Le vieil homme s’assit avec précaution sur le bord du fauteuil pour ne pas déranger le fantôme fragile qui s’y reposait.

— J’ai vu Déborah pour la première fois le lendemain du jour où j’ai été engagé. On l’avait installée dans le petit salon rouge, tout prêt des musiciens. On m’avait prévenu tout de suite que c’était la sœur de la nana du patron et qu’il valait mieux rester à sa place. Quand Franck Minelli vous regardait sans rien dire et qu’il écrasait sa cigarette, on avait intérêt à pas le contrarier.

— Stef m’en a parlé. Il a trouvé un article de journal.

— Ce vieux Stef et sa mémoire de caisse enregistreuse ! Quelques semaines plus tard, Déborah est tombée malade. Une saloperie que les médecins n’ont jamais su identifier. Je lui préparais ses médicaments. Frankie savait que je m’y connaissais un peu, vu que j’avais soigné des blessés dans le Pacifique. Quand on est Marine, il faut apprendre vite des tas de choses si on veut survivre.

Mezz se gratta le sommet du crâne.

— Pour le reste, entre Déborah et moi, je vous passe les détails. Il n’y a déjà pas grand monde à qui j’en ai raconté autant. Vous pouvez comprendre, n’est-ce pas ?

Debbie ne répondit pas et s’essuya furtivement les yeux. Le vieux musicien perdu dans ses souvenirs ne remarqua rien.

— Bien sur, on a fini par se douter de quelque chose. Frankie m’a fait venir dans son bureau et je vous jure que je n’en menais pas large. C’était un gars qui voyait les choses très simplement. On jouait franc jeu avec lui et c’était le meilleur des potes. On essayait de le doubler et il vous balançait un chargeur dans le ventre. Il m’a expliqué que la seule chose importante était que je ne fasse pas souffrir Deborah. Le reste c’était nos oignons et malheur à ceux qui feraient des commentaires. Personne n’en a fait.

— Stef a aussi remarqué que vous avez gardé le même saxo pendant toutes ces années, un instrument qui coûte très cher.

— Aucun mystère là-dessous, jeune fille ! Frankie m’a avancé l’argent et se remboursait sur ma paie. Pour les flingues comme pour les instruments de musique, il voulait que son personnel ait les meilleurs outils.

— Ce n’est pas celui dont vous jouez aujourd’hui.

— Exact, madame Columbo ! L’autre était le témoin de mon ancienne vie. Il avait fait son temps. C’est un peu comme les animaux de compagnie. Vous n’avez pas de chien ni de chat, je suppose ?

— Ni canari ni poisson rouge.

Mezz dévidait ses souvenirs en arpentant la terrasse. Son pas lent traçait un itinéraire compliqué qui le ramenait invariablement vers le fauteuil.

— Elle est toujours là, n’est-ce pas ?

Il se retourna et la fixa, les mains dans le dos.

— Vous êtes une bien étrange personne. J’ai l’impression que vous n’êtes pas venue pour un simple reportage.

— Je veux découvrir votre secret.

— Moi aussi, j’aimerais trouver le vôtre, car vous en avez un. Nous en avons tous.

Il s’approcha et effleura son front avant qu’elle puisse réagir

— Déborah avait la même façon que vous de laisser tomber sa mèche.

Il regarda l’horizon, les mains appuyées sur la pierre tiède.

— Elle aussi était pleine de mystère. Même si nous avions vécu cent ans, je crois que je n’aurais jamais pu les percer tous. Elle pouvait rester des heures à regarder la mer, sans dire un mot mais rien ne lui plaisait tant que le ciel. Elle se passionnait pour l’astronomie, connaissait le nom des étoiles et l’emplacement des constellations. Je lui avais acheté une encyclopédie et un petit télescope.

Au fil des phrases, le fantôme ressuscitait avant de se diluer dans la lumière. Debbie regarda le mur où se devinait en creux l’initiale que Mezz avait tenté de faire disparaitre. Le soleil s’attardait sur le cuir comme sur une peau de femme. Lorsqu’elle repartit, l’ombre de Déborah marchait près d’elle.

Major l’attendait près du portail. Elle caressa sa grosse tête. Marcellin Lestouffade était assis sous un arbre dans un fauteuil d’osier, Debbie raconta son après-midi.

— Le fauteuil sur la terrase? Ma pôvre, je comprends qu’il vous intrigue ! C’est toute une histoire. On l’a trouvé chez un revendeur qui voulait tellement s’en débarrasser qu’il nous a aidé à le monter dans la camionnette. Il paraît qu’on l’avait fabriqué sur mesure pour un milliardaire un peu fêlé, mais vous savez ce que c’est. Par ici, les histoires, ça prend vite des proportions.

Debbie approuva paresseusement.

— Déborah… Je commence à savoir beaucoup de choses sur elle, mais elle reste toujours aussi mystérieuse.

— On pourra pas faire grand-chose, pour vous aider, vu qu’elle parlait pas beaucoup et jamais d’elle. Comme quoi ce sont pas ceux qui ont du malheur qu’on entend le plus. Madame Lestouffade approuva tandis qu’elle mettait le couvert

. — Pour vous donner une idée, elle ne nous a jamais parlé de sa vie en Amérique. Remarquez, ça se comprend ; Parait qu’il lui est arrivé des choses pas drôles là-bas. Sa sœur est morte assassinée, monsieur Mezz a dû vous raconter.

— Pas encore….

Elle croisa le regard de Marcellin Lestouffade qui tirait de longues bouffées de sa pipe.

— C’était une femme discrète, pas comme ta tante Amélie, la pire commère de la création.

— Ferme ton clapet, fadasson, c’est pas chrétien de se moquer de la sœur de maman !

— Déborah était-elle souvent malade ?

— Jamais un rhume ! Le médecin montait la voir de temps en temps pour des broutilles. La pauvrette ! Fallait bien qu’elle ait un peu de chance dans la vie !

Elle frotta ses mains sur son tablier et se laissa tomber sur une chaise.

— C’est l’âge qui l’a emportée. Elle avait largement passé les 80 ans. Elle est partie comme ça un matin …

— Un peu comme un bateau qui s’en va.

Elle regarda son mari d’un œil reconnaissant.

— On peut pas mieux dire. Y avait pas quinze jours que ma pauvre Rolande nous avait fait sa rupture d’anévrisme.

— Elle est enterrée ici ?

— Bien sûr ! On allait pas renvoyer le cercueil en Amérique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jean-Michel Joubert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0