Chapitre 19: Retour à PAris
« Je vais vous regretter »
La phrase dansait dans sa tête tandis qu’elle se garait devant chez sa mère, bien décidée cette fois à ne pas repartir comme une enfant capricieuse. Elle avait maîtrisé, plus facilement qu’elle n’aurait cru, le retour des mauvais souvenirs et se sentait calme et sereine. Elles se parleraient, comme l’avaient fait Mezz « Finger » Wasp et Frankie Minelli, avant qu’il ne soit trop tard.
La maison était fermée. Le soleil dessinait en clair-obscur l’ombre du figuier mort sur la blancheur craquelée du mur. Une voisine encastrée derrière les bacs à fleurs de sa fenêtre, lui expliqua que sa mère était partie à la Ciotat voir le médecin et qu’elle rentrerait dans l’après-midi par le bus. Debbie arracha une feuille de son carnet et griffonna quelques lignes terminées par « Je t’embrasse », glissa le message sous la porte et repartit vers Marseille.
Le retour en TGV fut monotone. Elle mit de l’ordre dans ses notes, remarqua à peine les averses qui se succédaient. Son voisin se tourna vers elle et la prit à témoin de cette « saleté de temps pourri ! » La tentative pour nouer un passionnant dialogue ayant échoué, il se plongea dans la lecture du Figaro Magazine. Lorsqu’elle retrouva la gare de Lyon, les températures étaient inférieures aux moyennes saisonnières et elle en éprouva une secrète satisfaction. Une averse lui fouetta le visage à la sortie du métro. Des parapluies sombres se croisaient, âmes errantes d’un monde gris qui se repliait sur lui-même. Ni le vent ni la pluie froide ne ralentirent sa marche vers la Rédaction. L’ascenseur fonctionnait. Les locaux étaient presque déserts mais la porte de Stef, entr’ouverte, laissant filtrer une odeur de tabac.
— CHEF, soldat Debbie au rapport, CHEF !!!
Il abandonna une pile de documents fraîchement accouchés de la photocopieuse.
— Bienvenue au bercail ma puce ! Comment va mon vieux copain ?
— Il se déplace comme un jeune homme. On lui donnerait trente ans de moins, ce n’est pas comme certains. Quand il joue, il n’a pas l’air d’un vieux, si tu vois ce que je veux dire.
Stef se voûta sur sa chaise.
— Je vois très bien, jeune fille.
Elle lui tapota l’épaule avec des précautions exagérées.
— Veux-tu que j’appelle les infirmières pour qu’elles te ramènent à ta chambre ?
— Un peu de respect. Duke Ellington disait qu’un musicien doit être également danseur. La danse, ça entretient, voilà son secret.
— Tu es danseur, toi ?
— Si tu m’avais connu pendant ma période 45 tours et disco, je suis sûr que je t’aurais fait craquer. Il t’a raconté des choses intéressantes ?
— Un fleuve de confidences traversant un désert de secrets.
— D’accord ! Je vois que la chaleur du midi t’a fait de l’effet. Traduction ?
— Sous ses allures de vieux fatigué revenu de tout, il est coriace et ne lâche que ce qu’il veut bien lâcher. En mettant bout à bout les miettes de révélations, je progresse mais il faudra que j’y retourne.
— En attendant va donc irriguer le désert du camarade patron. Il veut savoir où tu en es.
— Moi aussi, j’aimerais bien savoir où j’en suis.
— Tu es une drôle de fille ! Quand je pense que j’ai l’impression de te connaître.
Elle lui caressa le crâne.
— Me connaître ? Même pas en rêve, mon loulou ! Tu pars bientôt en vacances ?
— Je prends trois semaines. Ma fille arrive du Canada dimanche.
Il lui tendit une feuille pliée.
— Va voir ce type à New York. J’ai trouvé ses coordonnées sur Internet. Il te sera peut-être utile.
Le Directeur laissait toujours sa porte ouverte quand Miss Sourdingue était absente. Lorsque Debbie ressortit après lui avoir fait un compte-rendu détaillé, Stef avait disparu. Amaury, penché sur son clavier, se battait avec une mise en page récalcitrante. Il abandonna la partie et la rejoignit. Elle le laissa caresser sa petite chouette qui ne manifesta aucune impatience.
— Si tu me faisais autant de confidences qu’à elle…
— Tu t’enfuirais en courant. On se comprend toutes les deux.
— Je peux t’offrir un verre ? Ton vieux chaperon n’en saura rien !
— Ta mère sait que tu invites des filles ?
— Un mot de plus et je te la présente !
Ils partirent avec des mines de conspirateurs suivis par le regard soupçonneux de Lebigre. Ils parlèrent voyage et vacances et en se quittant il l’embrassa au coin de la bouche. Sur son blouson de cuir, une tête d’aigle la regardait d’un air féroce. Elle pensa à sa petite chouette et eut envie de pleurer tandis qu’il disparaissait dans le puits lumineux du métro.
Une fois de plus, Josie remplit son rôle de rempart contre la tristesse. Elles dînèrent dans un restaurant à sushis où elles se gavèrent de produits bios en écoutant en boucle de la musique Zen. Ce fut une soirée très agréable. Une fois de plus, Debbie dut reconnaître que son amie avait plus de flair pour dénicher les bons restaus que les petits copains. Elle lui avait proposé une ou deux fois de venir avec elle aux Etats-Unis mais Josie avait été nourrie dès sa tendre enfance de feuilletons américains. Pour elle et à jamais, NewYork était un repaire de flics corrompus, de sérials killers et de businessmen sans âme. Son adoration sans nuances pour Woody Allen n'y changeait rien.
Annotations
Versions