Chapitre 21 : un témoin muet

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Harper’s Ferry, vingt six mille cinq cent habitants, à trente cinq milles de Washington DC ressemblait à un décor de Stephen King. En roulant dans les rues avachies sous le soleil, Debbie s’attendait à voir le shérif Gaunt, Carrie ou Dolorès Clairborne. Elle demanda son chemin à un jeune cadre blond et dynamique qui s’extirpait d’une Ford Laguna avec des contorsions de body builder. Il lui répondit avec précision et amabilité. Elle ne put s’empêcher de trouver ce comportement suspect.

Elle se gara devant une maison qui mélangeait avec un bonheur relatif le bois et la brique rouge. Une Desperate Housewife défraîchie se pencha à la fenêtre et regarda la visiteuse avec une curiosité bienveillante.

— Est-ce bien ici qu’habite monsieur Sylvester Atwood ?

La femme plissa ses yeux noirs et demanda dans un français hésitant.

— Seriez-t-y point d’la Louisiane ‘tite mam’selle ? Ça s’entend à vot ‘parler.

— Je viens de Paris.

— Pââri en Frîince !?? Ça c’en est ine boune !!! Passez donc par ichitte.

Elle la fit entrer en multipliant les formules de bienvenue dans un séjour ensoleillé où régnait une forte odeur de cuisine. Elle emplit d’autorité un grand verre à l’effigie d’Omer Simpson et lui servit un cocktail agréablement parfumé. Debbie but à petites gorgées sans arriver à identifier tous les fruits.

— Où avez-vous appris le français ?

— C’que j’ cause c’est l’cajun, not' langue à nous aut'. J’la connais dépeu toute ch’tite. J’suis née native de Bâton Rouge… Comme qui dirait qu’on s’rait cousines. Z’êtes donc venue de si loin pour voir le Fatty ?

— Je suis journaliste et j’aimerais lui parler d’une affaire à laquelle il a été mêlé autrefois.

La femme réfléchit en remuant ses lèvres épaisses. Au-dessus du nez qui avait été droit et fin, les sourcils dessinaient une vallée boisée. Elle jeta un coup d’œil à la casserole qui mijotait dans un coin cuisine frère jumeau de celui de Josie.

— J’y vois ben d’quoi vous voulez causer p’tite mam’zelle. C’que j’vois ben aussi c’est qu’z’êtes venue de ben louin pour guère plus que rin. Si vous voulez l’vouère, le Fatty, faut prendre chette rue jusqu’à son boutte et tout de suite v’zarrivez au cimetiairre. C’est là qu’y r’pouse comme vous dites. Ça va faire troués années à l’automne.

— Je suis désolée, je ne savais pas…

— Y a point d’offense. Comment vous auriez-t’y pu savouére…. Déjà ben beau qu’y soye arrivé à soun âge, c’est point fréquent avec la vie qu’il a m’né. C’est une sale maladie qu’a fini par ronger sa maudit’ carcasse. Lui qui pesait coume un bœuf, sur ses derniers jours, j’aurais pu l’porter dans mes bras. Y méritait pas ça, l’Fatty. Dans l’fond, c’était pas un mauvais ch’val. Quand y t’nait quéqu’un à la boune, y aurait douné sa peau…

— C’était votre père ?

— Moun oncle et coume qui dirait ma seule famille.

Elle se précipita pour éteindre le four. Une succulente odeur de légumes grillés envahit la pièce.

— Faites excuses ! Faut que j’finisse le frichti pour mon gougeât ...

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