CHAPITRE 23: Retour au bercail
Dans l’avion qui la ramenait en France, elle dormit pendant la plus grande partie du voyage et rêva qu’elle enseignait la Sagesse Orientale sous un figuier mort. Son portable sonna alors qu’elle attendait son sac de voyage à Roissy, ce qui lui permit de jouer les business women affairées au milieu des familles et des amoureux qui se retrouvaient.
« Fais-moi signe kan tu reviens. J’ai des trucs à te dire »
Mariana avait toujours des trucs à dire. Elle tapa « OK » et retrouva un ciel gris annonciateur de trottoirs glissants. Paris ne s’était pas mis en frais pour son retour. Debbie relut ses notes pendant que le RER traversait des banlieues qui affichaient une tristesse hivernale. La pluie fouettait les vitres à l’approche de la Gare du Nord, ce qui laissait présager de délicieux cafés crème derrière les vitres embuées des bistrots. Elle avait peu de temps pour savoir avec qui. Elle avait fait du bon travail, trouvé des renseignements intéressants. Elle fit le bilan et conclut qu’elle avait tout pour être satisfaite. Vraiment tout !
Elle secoua son parapluie dans le hall désert. L’ascenseur lui faisait signe mais elle se dirigea d’un pas déterminé vers l’escalier en se demandant qui elle allait trouver.
La salle de rédaction sentait le pardessus mouillé et le café froid. Clarisse et Robert Lebigre étaient en grande conversation. Elle, une fesse posée sur le coin du bureau, lui en chemise, vautré dans son fauteuil. Elle se rappela en voyant son siège vide, qu’Amaury était en vacances dans sa famille, quelque part en Auvergne. L’écran de son ordinateur était surchargé de post-its. Il avait la curieuse habitude à chaque retour de les coller entre eux pour constituer un étrange carnet. Elle n’eut pas le temps de regretter son absence.
Clarisse se précipita et la serra dans ses bras.
— Heureuse de te revoir ma loute ! Quel temps fait-il là-bas?
Debbie se méfiait de ces effusions ambiguës mais elles lui permirent de rester à bonne distance de l’Intégriste qui la salua d’un mouvement de tête.
— Meilleur qu’ici. Quelles sont les nouvelles ?
— Isabelle est en Bretagne depuis une semaine. Elle t’a laissé une invitation pour sa prochaine expo.
Debbie s’intéressa poliment aux pérégrinations vacancières de ses collègues puis prétexta la lecture de ses mails pour aller se réfugier dans son coin. Perchée sur son étagère, Chouka la regardait. Elle passa un doigt sur la petite tête ronde.
— Toi au moins, tu ne pars jamais en vacances! Je vais te raconter mon voyage. J’ai rencontré, dans l’ordre, l’âme de Charlie Parker, des copains pour la vie que je vois une ou deux fois par an, un vieux beau qui n’arrive pas à faire le deuil de son papa, un truand mort, un ancien barman très gentil. Et au retour personne ne m’attendait….
Sur l’écran, Garfield affichait un air parfaitement indifférent.
Lorsqu’elle frappa, à la porte du Directeur, il répondit par un « Entrez ! C’est ouvert ! » que l’on pouvait traduire par : « Je suis de bon poil, profitez-en ça pourrait ne pas durer ! »
— Josiane, enfin ! Content de vous revoir ! Le voyage s’est bien passé ? Parfait ! Des journalistes en forme, c’est un journal qui marche. Je suppose que vous m’apportez votre article sur Charlie Parker?
Il parcourut quelques pages, l’air réjoui.
— Bien ! Très bien ! Le « Bird » est toujours un sujet porteur. Depuis le temps que vous écrivez sur lui, vous pourriez lui consacrer une biographie, les précédentes commencent à dater.
Il prit une pile de dossiers sur la partie droite de son bureau qu’il posa avec soin sur la partie gauche.
— Et pour Mezz « Finger » Wasp, où en êtes-vous ?
— J’ai profité de mon voyage pour recueillir un témoignage inédit, celui du dernier survivant de la fusillade.
— Excellent !
— … Mais nous n’avons toujours pas d’explication valable pour sa brusque retraite. Il est loin de m’avoir tout raconté, notamment à propos de Déborah.
Le directeur haussa un sourcil, un seul, signe que personne n’avait encore réussi à interpréter. — Deb … ? Ah oui ! Cette femme mystérieuse ! J’en déduis donc que vous retournez le voir ? — Si vous n’y voyez pas d’inconvénients.
— Est-il d’accord pour qu’on publie ces informations ?
— Sinon, il ne m’aurait pas reçue.
— Dans ce cas, faites comme vous l’entendez ! J’espère que vous serez là pour la réunion de rentrée, à mon retour de Grèce.
— Je repars dés demain.
Il décrocha son téléphone pour signifier la fin de l’entretien.
La fatigue et le décalage horaire commençaient à peser sur ses épaules. Le bureau de SJP, habituellement surchargé de dossiers et de DVD était nettoyé, la bannette vide. Elle s’arrêta devant le bureau d’Amaury, un projet d’article attendait son retour, avec la dose habituelle de corrections au stylo rouge. Elle lui laissa un message dissimulé sous une invitation à rappeler d’urgence un numéro qu’elle ne connaissait pas.
« Il pleut comme un certain dimanche aux Halles. A bientôt ! »
Au fond de la poubelle, la femme de ménage avait oublié quelques lanières de papier.
Elle téléphona à Stef mais ce n’était pas le bon moment. Il se promenait avec sa fille. En arrière-plan, un bruit de front de mer surpeuplé rendait la communication difficile.
— … Je suppose que tu redescends voir ce vieux Mezz. On se fera une bouffe à la rentrée. On se rappelle ! Bisous !
Josie était en vacances chez ses parents du Périgord. Elle répondit immédiatement.
— Je parlais justement de toi ! J’ai pris quinze jours parce que je n’en pouvais plus de ce temps pourri. Figure-toi que j’ai rencontré quelqu’un et cette fois c’est du sérieux.
Debbie regarda la petite chouette et eut l’impression qu’elle levait les yeux au ciel.
— … J’ai vu Stef, l’autre jour, il est passé à la boutique avec sa fille, elle cherchait un CD de je ne sais plus qui. Il est vraiment charmant, ce monsieur ! Tu as bien fait de me le présenter.
Elle parvint à intercaler une phrase avant que son amie ne place une de ses allusions agaçantes dont elle avait le secret.
— Je t’ai ramené un cadeau de New-York, une copine de ma copine tient une boutique branchée sur la 5ème avenue. Je suis sûre que tu vas aimer.
— Tu es adorable. Quand je pense que je t’embête tout le temps avec mes états d’âme… Á propos d’états d’âme, tu sais qui est venue me gonfler le jour ou je faisais mes inventaires ? Debbie crut d’abord que Josie parlait de Mariana, surnommée une fois pour toute « Miss Proutmachère », bien qu’elle soit une cliente fidèle aux goûts très éclectiques.
— L’autre conne a demandé après toi.
En règle générale, Josie avait tendance à trouver tout le monde sympathique et intéressant mais, pour une raison obscure, elle ne pouvait pas supporter Jessica.
— Je lui ai expliqué que tu étais en voyage et qu’on ne couchait pas encore ensemble.
— Je confirme ! Je ne fais que dormir chez toi, certains soirs quand tu es en panne d’amant. Qu’est-ce qu’elle voulait ?
— Aucune idée mais tu ne vas pas tarder à le savoir. Je te quitte, on va faire une promenade en forêt. On se voit dès que je rentre, d’accord ?
Debbie n’eut pas le temps de dorloter son cafard. L'inévitable se produisit
— Allo, Jessica ? Comment vas-tu, ma belle ? Josie me parlait de toi à l’instant…. Oui, si tu veux, on peut se voir… Même endroit que d’habitude ? A ce soir !
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