Chapitre 25 : Retour à la villa

4 minutes de lecture

L’après-midi basculait doucement vers le crépuscule lorsqu’elle s’arrêta devant la maison des Lestouffade, fermée et silencieuse. Le nain réjoui qui régnait sur la pelouse fut le seul à lui souhaiter la bienvenue. Elle s’appuya contre le portail, le cœur gros. Le chat montait la garde, perché sur un bout de mur. Il fronça le nez, se roula en boule et ferma les yeux. Le vent lui apporta l’appel lointain d’un saxophone.

La villa était silencieuse. Sur la terrasse déserte, le fauteuil rouge semblait orphelin.

« Elle pouvait pas s’évader avec ses jambes alors elle avait trouvé d’autres moyens. »

Indécise, elle s’approcha de la balustrade, son regard parcourut le ciel et la mer. L’ombre du vieux puits rampait sur la pelouse. Elle chercha un signe, une présence, quelque chose qui lui prouve qu’elle n’avait pas basculé dans un monde où elle serait à jamais emprisonnée avec le fantôme de Déborah.

— Bonjour, heureux de vous revoir. Où en étions-nous restés ?

Elle sursauta et recula. Ses reins heurtèrent la pierre. Mezz était debout, appuyé contre le montant de la porte, un léger sourire craquelait son visage.

— Je… Je suis revenue un peu plus tôt que prévu. Je vous ai entendu jouer. Je vous dérange ? — Au contraire. Depuis votre départ, il m’arrive de jouer à l’heure de nos rendez-vous. C’était peut-être une façon de vous faire revenir.

Ils s’assirent l’un en face de l’autre, comme au premier jour.

— Comment s’est passé votre séjour ?

—J’ai rencontré Harry Robertson junior, le fils du policier qui a mené l’enquête. Il dirige une agence de détectives très connue. Son père connaissait les vrais coupables.

—— Comme toute la pègre de New-York. C’était un coup des Irlandais.

— Pourquoi ne m’avez-vous rien dit ?

— Il fallait bien que je garde quelques secrets en réserve et celui-ci n’était pas le plus important. Que vous a-t-il appris d’autre ?

— Il m’a permis de retrouver la trace de deux vieilles connaissances. Le premier était « Fatty » Atwood, un des tueurs.

Pour la première fois le vieux musicien parut surpris.

— Je n’aurais jamais imaginé… Décidément, vous êtes une sacrée journaliste

— Il est mort, il y a trois ans.

— Paix à son âme, elle en a sacrément besoin !

— Robertson m’a dit que vous le connaissiez.

— C’est exact. On a joué ensemble dans le temps, il tenait sa partie à la clarinette. Son vrai prénom, c’était John Rock mais tout le monde l’appelait « Fatty » à cause de son volume. C’était pas un mauvais bougre.

— On se demandait s’il n’avait pas fait exprès de vous épargner.

— Oubliez ça, jeune fille ! Vous n’avez jamais vu cracher une mitraillette Thomson M1 rectifié1943 avec des chargeurs de 40 coups qui transformaient un Jap en passoire à 50 mètres. Pour être sûr de ne pas me toucher, il aurait fallu qu’il arrose le plafond.

— Vous n’avez pas l’air en lui en vouloir.

— Il faisait son boulot. Il ne faut pas croire que les tueurs sont tous des monstres. Je me souviens d’un gars qui s’appelait Dudley « Nuckles ». Il venait souvent nous écouter jouer. Son plaisir, c’était d’aller voir les Mack Sennett dans les cinés du quartier et il pleurait en regardant les « Lumières de la Ville ».

— J’ai aussi rencontré Sydney Wilcox.

— Ce vieux Sid ! Toujours vivant après toutes ces années et un chargeur dans le buffet ! Comment va-til ?

— En pleine forme ! Il a une excellente mémoire. Il m’a dit : « Quand je suis tout seul, je m’assoie au frais avec une bonne bière, je ferme les yeux et j’les revois tous » C’est un sage et un monsieur charmant.

— Ça ne m’étonne pas. Derrière son bar, c’était un champion.

Il jeta un coup d’œil à l’horizon menaçant.

— Moi aussi, chaque jour, je m’installe face à la mer et je repense à cette époque. Nous ne voyons pas le même paysage mais je suis sûr que nos souvenirs se rejoignent. Que vous a-t-il raconté ?

— Beaucoup de choses. Il m’a présenté les autres musiciens.

— Je m’en doute. On s’aimait bien tous les deux.

— Et vous n’étiez pas jaloux quand il allait rejoindre Deborah ?

135

— Bien sûr que non ! Tout ce qui pouvait la distraire était bienvenu. Parfois, elle demandait à « Lucky » Strowe de jouer pour elle, le soir, quand il n’y avait plus personne. Il lui racontait sa grande époque, quand il était avec l’orchestre de Duke Ellington. Ce n’était pas souvent qu’il racontait sa vie, il faut dire qu’elle n’était pas très gaie.

— Pourquoi n’êtes-vous jamais retourné aux Etats-Unis ? Que craignez-vous après toutes ces années ?

— Je risquais d’y rencontrer celui que j’étais autrefois.

Elle montra les traces sur le mur.

— Les panneaux du « Blue Star » étaient là, n’est-ce pas ? Que sont-ils devenus ?

— Déborah y tenait alors je les ai récupérés. Elle aimait les regarder comme autrefois. Je les ai brûlées après sa mort.

— Wilcox m’a montré une photo où on vous voyait tous. Vous l’avez toujours ?

— Je l’ai brûlée aussi.

Ils parlèrent longuement tandis que la nuit approchait. Le visage de Mezz « Finger » Wasp n’était plus qu’un masque d’ombre. Il s’appuya sur la balustrade. Elle vint s’accouder près de lui. Leurs mains se frôlèrent.

— Vos hôtes étaient partis chez des amis pour l’après-midi, ils doivent être revenus

— Je vois parfois un grand chat noir aux yeux bleus devant chez eux.

— Je ne fais pas attention aux chats. Á demain !

Elle regarda le fauteuil rouge tandis qu’il prenait son instrument.

Madame Lestouffade fit claquer deux bises sonores sur ses joues tandis que Major frottait sa grosse tête contre ses jambes.

— Marcellin, viens donc voir ! Elle est revenue la nine ! On avait fait la commission au cas où. On était à côté de Cavalaire, au mariage d’un neveu qui travaille dans l’aviation.

— Comme vous voyez ! Tout à l’heure, il n’y avait que le chat pour m’accueillir.

— Un chat ? Ça se voit que Major n’était pas là. A quoi il ressemblait ?

— Maigre et tigré, les yeux bleus. Il dormait sur le portail.

— Il vient depuis quelques temps et monte la garde comme s’il était chez lui. On ne sait pas à qui il appartient.

Monsieur Lestouffade sortait déjà les verres.

— Alors ? Racontez un peu comment c’est chez les ricains.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jean-Michel Joubert ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0