Chapitre 26 : L'invitation

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Le lendemain, elle retourna sur la tombe de Déborah. Les jours suivants, les nuages envahirent le ciel, décourageant les obstinés de la baignade. Mezz parlait de ses tournées à travers l’Europe, des nuits passées à jouer dans des caves enfumées, des grandes heures de Saint-Germain-des-Prés. Il parlait des fantômes morts ou vivants, arpentait la terrasse, tournait autour du fauteuil et regardait alors Debbie comme s’il découvrait sa présence. Impassible, elle prenait des notes. Parfois un orage ponctuait les après-midis étouffants. Réfugiés sous l’auvent, ils contemplaient le rideau de pluie qui effaçait la mer.

Le soir, accoudée à sa fenêtre, elle regardait la masse sombre des oliviers aux feuilles argentées par une lune triomphante. Le sourire du vieux barman l’accompagnait tandis qu’elle s’endormait.

Elle le revoyait accoudé au vieil arbre.

« On fait un concours, lui et moi, pour savoir qui tombera le premier ».

Septembre approchait. La plage retrouva sa solitude. Les cigales ne chantaient plus et le vent se taisait. Pour la première fois depuis longtemps, elle repensait à sa sœur.

Cet après-midi-là, Mezz l’attendait en haut des marches, solennel dans un costume gris, les mains dans le dos. Elle s’assit et ouvrit son carnet.

— Pourquoi avez-vous arrêté si brusquement votre carrière ?

Elle avait lancé sa phrase sans se donner le temps de réfléchir, comme la première fois qu’elle avait plongé dans les vagues. Un long moment s’écoula, peuplé par le vent qui venait de la mer. Mezz alluma une nouvelle cigarette, le regard fixé sur l’entassement des nuages.

— Nous y voilà… J’ai su dès le premier jour que c’était là que vous vouliez en venir….

Un coup de vent brutal fit voler quelques feuilles sur la terrasse. Mezz en attrapa une et l’approcha de ses yeux.

— Pourquoi vous dirais-je ce que je n’ai révélé à personne ?

— Parce que Sydney Wilcox et moi aimerions le savoir. Parce que je suis peut-être la seule au monde à qui vous avez envie de le dire. Parce que nous arrivons au bout de notre route ensemble. Parce que…

Il éclata de rire.

— Excellent ! Je me rends. Je vous raconterai tout si vous acceptez de dîner avec moi demain soir ici même si le temps le permet. Je vous préparerai un plat de chez moi. Vous n’avez pas de préjugé alimentaire ?

— A part les produits Mac-Do, aucun.

En arrivant au bord de la route, elle réalisa brusquement que, ce jour-là, Mezz Wasp n’avait pas joué pour accompagner son départ. Elle se dirigea vers la plage. Un couple marchait à sa rencontre, longeant les lambeaux d’écume arrachés aux vagues. Le vent emportait ses questions. Le sable humide absorbait ses traces. Les paquets d’algues sèches, les coquillages vides craquaient sous ses pas. Elle s’arrêta et fit face au ciel rouge. « I’ll survive » couvrit la respiration profonde de la mer. Stef se rappelait à elle au plus mauvais moment.

— Alors, ma puce, toujours en vacances ?

— Et toi, toujours aussi drôle ! Tu es rentré ?

— Depuis hier. Tout beau, tout bronzé. Où en es-tu ?

— Je regarde la mer.

— Passionnant ! Et en ce qui concerne ce cher Mezz ?

— Il m’invite à dîner demain soir.

— Ah bravo ! Alors que tu as toujours refusé de venir chez moi ! Tu comptes le travailler au corps, ce pauvre vieux ?

— Ce ne sera pas nécessaire. Quoi de neuf ?

— Je suis passé au magasin de Josie. J’ai cru comprendre qu’elle avait trouvé un nouveau mec.

— Je t’ai demandé « Quoi de neuf ? »

— Je préfère te laisser la surprise.

Il raccrocha avant qu’elle ait le temps de l’engueuler. Lorsqu’elle annonça la grande nouvelle, Madame Lestouffade faillit en faire tomber son plat de lasagnes.

— C’est la première fois qu’il invite quelqu’un depuis qu’elle est … partie. On dirait un dîner d’adieu. Vous avez terminé votre travail ?

Debbie gratta la tête de Major, allongé le museau entre les pattes.

— J’arrive à la fin.

Marcellin Lestouffade hocha la tête.

— Ce moment arrive toujours.

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