Dans le château secondaire de la lignée Dragoman situé aux pieds d’une chaîne montagneuse, se préparait en secret une offensive. La plus gigantesque des montagnes était l’unique accès pour rejoindre les Esprits créateurs qui avaient créé la magie sur Ehrizaë. Ces divinités se basaient au sommet de ce haut lieu, abandonné jadis par cette même lignée.

— N’y allez pas, Princesse Céleste ! conseilla Neil Laptar.

Mais elle ne l’écouta pas et continua d’enfiler son armure faite d’un alliage rarissime.

— Arme !

— Mais, Princesse…

— Arme ! insista-t-elle en tendant son bras vers le Mage.

Neil se résolut. Il n’avait d’autre choix que de se plier à l’exigence de sa supérieure. Il souffla dans le creux de ses mains et une longue épée se matérialisa.

— Tenez princesse, mais je dois vous avouer que cette arme pourrait ne pas suffire à pourfendre les Créateurs.

Céleste lui jeta un regard noir.

— Vous êtes mon second en termes de puissance et personne en ce monde ne vous égale ! Neil, j’ai foi en votre pouvoir. Maintenant, j’ai besoin que vous m’aidiez à revêtir mes ailes.

Elle se rapprocha d’une vitrine où elles s’y trouvaient. Le jeune sorcier les saisit et les enclencha sur le dos de la princesse.

— Dois-je vous convoquer des protecteurs, princesse Céleste ?

Une aura bleu électrique émana de son corps.

— Ce ne sera pas nécessaire, Neil. Ce combat est le mien ! Je vous remercie pour votre précieuse allégeance.

Aussitôt, elle s’effaça, le laissant seul dans la salle des armures du domaine royal. Il observa longuement le fond de cette pièce où s’exposait en merveille une autre armure aux reflets cuivrés.

Bien plus haut, au cœur de la montagne, Céleste profana un lieu sacré. Face à elle se dressait une porte si grande qu’elle n’en voyait pas le bout. Elle y perçut des représentations de la genèse qui s’incorporaient sur une immense gravure. Trois divinités avaient été illustrées sur toute la paroi, entourées par d’autres biens plus démoniaques. Céleste observa sa main, serra le poing et leva la tête vers le plafond. La princesse flotta de quelques centimètres au-dessus du sol puis elle s’envola avec grâce et disparut dans la noirceur de cette montagne sans limites.

Après son passage, des créatures biscornues sculptées dans la porte s’en extirpèrent. Leurs ailes dragonesques s’ouvrirent et une lueur verdâtre s’échappa de leurs yeux.

Lors de son vol, un halo luminescent émana du corps de Céleste pour combattre l’omniprésence ténébreuse. Après avoir parcouru cette faille creusée dans la roche, Céleste se retrouva face à passage qui menait à un temple de forme pentagonal.

— Je suis Céleste Dragoman, sortez !

Personne ne lui répondit. Elle s’avança en planant au ras du sol et franchit l’entrée du sanctuaire. À l’intérieur, des fresques, d’un lointain passé, ornaient les murs. Elle resta un instant à regarder ces histoires qu'elle connaissait que trop bien, en se dirigeant vers le fond du temple. Un faisceau de lumière éclairait trois immenses statues qui dominaient le temple.

Lorsque son regard se posa sur elles, Céleste fronça les sourcils et s’envola en direction du rayonnement. Mais elle se retrouva cernée par une ouverture baie en forme de rose incorporée dans le plafond. Une rosace. Ses ailes se mouvèrent de telle sorte qu’elle puisse opérer un vol stationnaire et elle concentra un amas énergétique entre ses mains dans lesquels s’y forma un orbe électrique. Moins d’une seconde plus tard, la sphère avait brisé les vitraux. Céleste s’envola au-delà en esquivant la chute des morceaux de verres. De son casque s’extirpa sa chevelure argentée qui ondulait durant sa progression.

Enfin arrivée dans le royaume sacré, Céleste n’en croyait pas ses yeux. Les jardins où jadis elle avait grandi n’étaient plus qu’une vulgaire friche luxuriante. Sur ses joues perlèrent des larmes de réminiscences :

— Céleste, mon enfant ! Sais-tu qu’un jour cette montagne, ces districts, cette planète t’appartiendront ?

— Oui, Mère ! Neil m’a tout expliqué des jours durant !

— Neil Laptar sait beaucoup de choses, beaucoup trop ! grinça-t-elle.

— Dites-moi, Mère ?

— Qu'y a-t-il, Céleste ?

— Pourrai-je un jour me marier avec Neil ?

La reine Almatha Dragoman se tut un instant. Dans l’iris de ses yeux indigo s’installa une vision horrifique. Cette idée lui fit détourner le regard de sa fille, et d’un geste régalien, elle ordonna à ses valets de la mèner hors du royaume.

***

Puis elle arriva au pied des cent mille marches du palais impérial. Céleste voleta et retomba aussitôt le souffle coupé, comme soudainement oppressée. Plaquée contre les premières marches, ses ailes ne lui seraient d'aucune utilité : la gravité y était dix fois plus élevée qu’ailleurs. Mains et genoux contre cet escalier immaculé, elle peinait à relever la tête. Ce haut lieu avait été maudit par les divinités créatrices quelques années après que Céleste ait été bannie par sa mère, Almatha Dragoman.

— Je… je ne… je ne peux pas échouer maintenant, bégaya-t-elle.

Soudain, elle hurla à pleins poumons. Son cri eut une portée gigantesque, si puissant que bien plus bas, Neil Laptar, assis en tailleur près d’un autel capta son écho, il se mit à invoquer une magie interdite.

L’effet mystique de son sortilège s’activa et donna la force nécessaire à Céleste pour annuler cette malédiction. Loin derrière, la dizaine de soldats noirâtres ailés aux yeux injectés de haine avait pénétré les terres sacrées. D’une corpulence plus imposante, leur leader ordonna d’un grognement atroce à ses troupes rapides de la rattraper.

Alors qu’elle gravissait l'escalier, elle se retrouva cernée par ces monstres aux crocs acérés dégoulinant d’une épaisse bave. Elle défourailla son arme et s’élança contre elles. Dès la première attaque, elle trancha à l’horizontale trois créatures qui au contact de son épée, se transformèrent en une fumée grisâtre et furent aspirées dans la lame de son glaive.

Le leader posa un pied sur la première marche. La malédiction n'avait visiblement aucun effet sur lui et il convergeait lentement tout en préparant un sortilège dans le creux de ses mains. Mise en difficulté par les créatures, Céleste se replia et, au même moment, un jet de flamme vert empire s’abattit sur elle, désintégrant par la même occasion ses assaillants. Tandis que la princesse s’enflammait, un élément entrava ce sinistre brasier. Un corps de lumière les aveugla tous et retomba aux côtés de la princesse.

— Enflure, vous m’aviez promis !

— Je sais ! Partez, je vais me charger de ces monstres !

L’homme arborait fièrement l’armure cuivrée. Céleste lui adressa un sourire timide et, d’un bond athlétique, s’élança par-dessus des créatures qui tentèrent de l’entraver de nouveau, mais elles furent vite rattrapées par le célèbre Archétypal Nécromant, Neil Laptar.

— Ne te mêle pas de ça ! grogna la créature ennemie.

Aussitôt, le leader tendit ses bras et d’une force kinésique attrapa deux des plus forts de sa horde et les assimila à lui. Des borborygmes de mort s’échappèrent de leur gueule. Les soldats restants reculèrent, effrayés et tous l’observèrent se modifier. Les cornes situées au sommet de son crâne se torsadèrent et s’agrandirent, son visage se déforma en un autre et devint plus horrifique encore. Pour finir, ses yeux s’illuminèrent et une aura noirâtre s’échappa de ses avant-bras écaillés.

— Cette aura, impossible ! pensa le Nécromant.

Tandis que l’un des soldats obscurs disparut dans une fumée dorée sous le marbre, les pieds de Neil se soulevèrent et un souffle se dégagea lors de son élévation. Les bras écartés, le mage invoquait une magie noire dans un râle ancestral. Une sphère émergea de son torse créant ainsi un bouclier protecteur. Le filet doré réapparut au-dessous de la sphère et se glissa au travers de sa protection et commença à serpenter la jambe du Nécromant. La nuée le lacéra d’une telle force qu’il parvint à la broyer. Le craquement de ses os le tira de son invocation. Neil observa le phénomène expira longuement l’air contenu dans la sphère et inhala le soldat dans ses narines.

Durant cette action, son adversaire biscornu se trouvait aussi en état incantatoire. Il posa une main au sol et des racines nuancées d’un noir absolu se répandirent sur les milliers de marches, rattrapant ainsi la princesse dans sa course effrénée. Sa cheville fut entaillée par la pointe d’une racine, la faisant trébucher. Elle se retourna et vit tout le royaume infesté de ces racines. Elle ligatura nombre d’entre elles, mais elles ne cessaient de croître l’arrêtant même dans son ascension.

Princesse, tenez bon. Tout cela prendra fin rapidement !

Elle capta la pensée de son serviteur. Prit d’une rage folle, elle se débarrassa de cette entrave et repartit plus furieuse encore en grimpant les marches deux à deux.

— Vus du ciel, ces trois se battent noblement, qu’en pensez-vous ?

Trois entités spectrales se faisaient face, toutes reliées par leur nature divine, échangeaient sur le sort de leurs progénitures.

— Que ce soit ton fils, ta fille ou même le mien, je n’accepterai aucun zèle, aucune veine, rétorqua l’un des spectres.

Un flux d’énergie ruissela au milieu des trois Fondateurs pour former un amas prédictif quant à la réussite de leur genèse. Catégoriques, tous s’égayaient de l’issue de ce combat. Pourtant une sombre magie s’installait insidieusement dans le temple de ces déités. Une souveraineté hors de leur contrôle s’exhalait de leur domination.

***

Bien plus bas, le royaume avait été dévasté par une puissance opposée. Neil s’apprêtait à riposter. Partant du sommet, le champ de force se désagrégea pour laisser entrevoir le mage dans sa toute-puissance. La couleur de son armure divine déclina du cuivré vers la nacre immaculée. Son éclat figea un instant les soldats restants. Son rival grogna avec férocité, emporté par une vile jalousie. Soudain, il leva ses bras et les racines s’orientèrent haut dans le ciel pour ne former qu’un seul point. L’invocation se structura en un influx de foudre noire qui se chargea dans un stratus anthracite.

Neil Laptar leva les yeux vers ce maléfice et une lumière vint éclairer ses interrogations. Un murmure s’échappa sans avoir de portée quand un éclair d’une intensité jusqu’alors inégalée s’abattit au sommet de son corps. L’impact fut si violent que l’onde de choc détruisit tout sur des centaines de mètres.

Cette ultime attaque fut aussi la dernière de son rival et avant qu’il ne sombre à son tour dans la gueule béante de la mort, les derniers mots qui lui vinrent à l’esprit, furent ceux de Neil Laptar : Mon frère...

Ainsi périrent les deux forces opposées. Lors de ce déchirement, l’une avait réveillé l’autre qui, avant de plonger dans l’inconnu, jura de se venger.

***

— Les deux frères ne sont désormais plus de ce monde, la prédiction s’avère exacte ! s’exclama le géniteur de Neil Laptar.

— Nous le confirmons ! Nos défunts fils se sont bien battus, mais qu’en sera-t-il de notre fille, elle ne peut parvenir jusqu’à nous !

— C’est ce que la prédiction souligne, pour autant, je sens qu’une force éthérique veut s’emparer de cette prophétie.

— Nul ne nous est supérieur, nous sommes l’unicité, celle qui régit dans l’ombre et la lumière !

***

Enfin arrivée, Céleste amorça quelques pas. Hésitante. Le sommet du palais était un passage entre ce monde et celui des hauts lieux, nommés l’Érahnia.

Une violente secousse ébranla le plateau divin. La princesse Dragoman se rapprocha du bord et perçut, au loin, la déflagration. Non, pas Neil, pas lui ! Sa détermination disparut. Un effroyable sentiment s’était emparé d’elle à lui rompre ses genoux. Au sol, le regard noyé dans l’éternel, elle était en train de mourir. Puis un point luminique se colora dans sa vision.

— Céleste Dragoman ! Fille des Spectres créateurs, je te dois la grâce divine…

Entre deux mondes, la princesse ne capta qu’une parcelle de cette allégation. La force lumineuse se matérialisa sous une forme particulaire aux mille éclats. Elle tournoya contre le chant de la mort.

— Deux choix s’offrent désormais à toi. Régner par-delà les frontières ou devenir esclave à jamais dans les profonds méandres de l’Érahnia…

Recroquevillée, Céleste Dragoman se décomposa en une nuée scintillante.