Chapitre II

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Six siècles avaient passé depuis la mort de Céleste Dragoman. Cependant, son âme était parvenue à trouver le réceptacle parfait…

Une diligence aux nuances bleutées cavalait à toute vitesse sur un chemin sinueux. Son cocher tenait d’une main ferme son chapeau pour que celui-ci ne s’envole pas et de l’autre faisait claquer sa cravache sur l’arrière-train de la monture cornue aux allures d’un rhinocéros. Au grand galop, cette créature provoquait des secousses terrestres.

À quelques centaines de mètres de là, Lely marchait tranquillement en scrutant le paysage montagnard du district minier d’Ehrizaë. Coiffée d’une natte verte, elle avançait sur cette route tortueuse d’un pas assuré. Soudain, le cliquetis des cailloux l’interpela. Le sol était en train de trembler. Instinctivement, la jeune femme serra la fusée de son épée et se décala sur le bas-côté fleuri. Sans tarder, une énorme bête apparut à la sortie du virage en tractant une diligence. Lorsque le cortège croisa Lely, elle pencha son visage et posa la main sur son Trilby pour se protéger de l’écran de poussière qui suivit. Celui-ci envahit la route en balayant les plantes dans la même direction que le convoi. Elle se retourna pour le regarder de travers agitant le bras en sifflant. Après qu’il eut disparu de son champ de vision, Lely repartit en direction de Dolérando, la ville des chercheurs de métaux précieux.

***

— Ne me dites pas qu’il va revenir ? s’agaça Jared l’unique négociant d’or de Dolérando dans son téléphone.

Le géant claqua son appareil sur son socle faisant trembler le comptoir du magasin. Les clients se retournèrent de stupeur. La corpulence du commerçant était impressionnante, pour autant, l’appel qu’il avait reçu fit pâlir son visage. Un instant après, il accueillit un nouvel acquéreur venant apporter une pépite d’or de la taille d’un œuf de poule, tandis que les autres orpailleurs jetèrent des regards obliques intéressés sur le métal afin d’évaluer sa valeur. Le négociant se racla la gorge pour manifester son mécontentement à l’égard des curieux. Le restant des clients prit peur et la porte claqua. Jared expira en s’essuyant le front et se remit à inspecter l’objet.

— Vous voulez en tirer combien, messieurs ? lança-t-il sur l’air grave.

Le novice hésitait.

— De… deux milles Clifford, bégaya-t-il.

Jared, voûté, se redressa et les dépassa de trois têtes. Renferma le métal précieux dans sa main et posa l’autre sur le comptoir, stoïque.

— Mille huit… ?

Un grognement coupa net la proposition.

— M… Mille cin… q, alors ? désenchérit-il d’un ton plus bas.

L’homme tapa du pied et croisa ses bras.

— Alors… f… fai… tes moi une offre, dit-il prit de peur.

Le géant analysa d’un regard la pépite tenue entre ses doigts et fronça sourcils et lèvres.

— Cinq-cents Cliffords pas un de plus !

Contraint de céder, le client accepta, car l’échoppe de Jared était celle qui rémunérait le mieux du tout le district minier, même, si par réputation les négociations s’avéraient toujours éprouvantes. L’orpailleur partit avec une poignée de billets aux reflets ambrés en mains, le salua d’un coup de chapeau. La porte se ferma et Jared se retourna pour aller dans l’arrière-boutique.

— Mais où est-il encore ! s’énerva-t-il en fouillant la remise dans tous ses recoins.

Il sortit sa récente acquisition pour la dissimuler dans un coffret magique, effectua une parade avec ses doigts sur le couvercle et il s’ouvrit. Le géant y déposa la grosse pépite qui se désagrégea en une fine poussière dorée. Soudain, un bruit extérieur l’interpela. Il le referma. se retrouva face à trois personnages tous vêtus de costard à la finition impeccable. Jared capta immédiatement qu’ils ne venaient pas pour monnayer de l’or.

— La Fédération nous envoie. Nous recherchons un type pas comme les autres ! lança d’un air sournois celui du milieu.

Le géant ricana.

— Dans cette vallée, tous les hommes se ressemblent. Autant dire qu’une personne différente se verrait rapidement ci, mon colonel, ironisa-t-il.

Suite à ce propos, l’agent se sentit soudain pousser des ailes.

— Adjudant, monsieur Grek. Adjudant Rolès, répéta-t-il en replaçant modestement son grade tout en touchant son haut de forme noir corbeau.

Un silence trancha cette présentation.

— Hum, hum, ponctua l’un des deux soldats en jeta un regard en biais à son supérieur.

L’officier Rolès saisit le col de sa veste et releva le menton.

— Navré monsieur Grek, mais vous êtes en état d’arrestation. Vous ne pourrez parler qu’une fois devant le ou les accusateurs ! déclara Rolès.

Jared n’eut le temps de dire mot que sa bouche fut scellée par la magie Maîtresse. Sa force herculéenne fut également sous entrave. Il sortit de son bureau de change, pour se retrouver dans l’avenue commerçante, sous bonne escorte. Outrés de voir une telle situation, les passants lancèrent des regards obliques aux mandataires et les messes basses se propagèrent dans le boulevard. Jared ne pouvait avoir de pensées, car la magie Maitresse l’avait changé en un véritable légume. Arrivé derrière la diligence, l’agent Rolès usa de ses pouvoirs. Il retourna sa main droite. L’inclina vers le haut et le géant se souleva. De sa gauche, il ordonna à sa force de l’allonger un mètre au-dessus du sol à l’aide de ses deux mains, il le fit entrer dans un le compartiment arrière.

Abasourdis, les habitants de Dolérando ne comprenaient pas cette arrestation et tous huèrent le cortège. En effet, Jared Grek était connu comme le loup blanc par la population locale et, de ce fait, était aussi très apprécié. Le convoi fédéral se dirigea vers les portes de cette cité. Un instant plus tard, assis dans l’habitacle, l’adjudant s’imaginait déjà monter en grade. En fixant la fenêtre donnant sur son captif endormi, se dessina un sourire dès plus mesquin. Quand tout à coup, un sifflement le sortit de sa rêverie. Agacé, il déplaça brusquement le rideau de la cabine pour jeter un œil dehors, mais Rolès ne vit qu’un paysage montagnard défiler à grande vitesse.

***

Le soir venu, Lely franchit les portes de la ville minière, en sifflant un air sibyllin. Fièrement vêtue d’un trench fuchsia, elle avançait un pas devant l’autre, les jambes légèrement arquées. Elle balançait de gauche à droite la fusée de son épée au rythme de la cadence de son allure métronomique. Le cliquetis de ses santiags résonnait dans l’avenue. Sa présence charismatique agaçait la gent masculine et ils étaient nombreux à lui lancer un regard noir.

Mais peu l’importait à cet instant. Ce qu’elle désirait le plus, c’était trouver l’enseigne de change. Le temps qu’elle parcourût l’avenue, des groupes de mineurs positionnés ci et là, la sifflaient. Face à ces lourdeurs, Lely accentua sa démarche provocatrice. Le simple fait de voir une femme se balader seule dans une tenue excentrique et masculine créait au sein de la population de Dolérando de vives interrogations.

Quand elle arriva face à sa destination, elle claqua un talon et mis une main sur la poignée de la porte et juste avant qu’elle ne l’ouvre, une voix grave s’annonça du magasin d’à côté :

— Vous cherchez le gros Jared ? interrogea l’armurier en posant la main sur la crosse de son calibre.

Elle retira sa main, plissa les paupières en voyant ce geste hostile et fit mine d’attendre la suite de ses propos.

— Il a pris en congé, mentit-il. Si vous cherchez à échanger votre or, allez donc sur Véthrine ! Là-bas vous y trouverez une boutique comme celle-ci !

Lely ne dit mot et d’un geste vif de la main, remercia le commerçant qui n’avait pas l’air commode.

Puis elle repartit comme si de rien n’était vers les portes de la ville sous les faibles rayonnements de l’étoile couchante. Désappointée de ne pas avoir retrouvé le négociant, elle sortit de sa manche un objet aussi grand qu’un sifflet, le porta à sa bouche mais avant qu’elle ne souffle dedans, elle capta une conversation entre trois jeunes ouvriers.

— Vous avez vu ? questionna le plus petit.

— Qu’est-ce qui y’a encore l’Buser !

— Ouais, l’Buser, raconte-nous tout ce que tu sais ! s’exclama-t-il en le tapant sur l’épaule.

— Y’a quelques heures, le gros négociant s’est fait arrêter pas trois hommes bien bizarres !

— Ouais, et tu veux savoir l’Buser, c’est nous qui l’avons dénoncé.

— L’enflure voulait nous arnaquer, et b’en, le voilà châtié !

— Bien envoyé, brother !

Lely n’en revenait pas d’avoir entendu de tel propos et ce qu’elle détestait par-dessus tout était la délation. Elle rangea son objet dans la poche intérieure de son trench et amorça le pas vers eux, agacée. Quand ces jeunes la virent arriver, ils frissonnèrent. Il est clair qu’une étrangère, armée d’une longue épée n’était pas chose commune dans cette ville.

— Hé, la vieille, on n’est que des jeunes, reste cool. Y’a rien à craindre, annonça le plus âgé.

Lely resserra la fusée de son épée et tous devinrent aussi pâles que les deux lunes d’Ehrizaë. Puis elle empoigna l’encolure du plus âgé des trois.

— Arrêtez, ne… ne me faites… pas mal ! Pitié.

Elle grinça des dents et le balança. Le jeune tomba sur les fesses et urina dans son pantalon. Elle jeta un regard aux deux autres, cracha sur le sol.

— C’est la dernière fois que j’entends de votre bouche, que vous avez balancé quelqu’un ! Sans quoi, je vous coupe la langue, capiche !

Les trois mineurs s’excusèrent à genoux et elle repartit en direction du chemin sinueux par lequel elle était arrivée, siffla dans son pipeau et disparut dans un vortex teinté de noir et de pourpre.

Le même passage s’ouvrit à proximité d’un sinistre bois aux ronces noirâtre. Lorsque Lely s’extirpa de celui-ci, elle jeta un regard sur la voûte céleste et une brise s’installa faisant virevolter ses longs cheveux émeraude. Sans nuages, les étoiles scintillèrent suffisamment pour que l’ouverture secrète, se dissimulant parmi les branchages épineux, se voie. Même si elle n’aimait pas ce lieu, Lely s’y sentait comme chez elle et chemina au-dedans.

Elle se fraya un trajet au travers de ces épines aussi longues et tranchantes que la lame d’un poignard. Elle fut distraite par le cri soudain d’un animal et se blessa la main. Un flux d’hémoglobine s’écoula. Sous pression, Lely tenta d’éviter que son sang ne touche le sol. Trop tard. Les ronces s’étaient délectées d’une infime partie de sa vitalité et elles se mirent à gesticuler comme des tentacules pour l’attaquer. Cette sylve maudite se nourrissait d'êtres vivants pour s’accroître et il était rare qu’elle laisse s’échapper leur proie.

Cet instant lui rappela la première fois qu’elle était venue ici. L’enfant d’autrefois contrainte par la peur de se frayer un passage dans cette sombre forêt, car une bête féroce l’avait prise en chasse. La jeune Lely s’était égratignée de partout et ces racines l’avaient lacérée comme un serpent pour s’abreuver de sa force. Prise au piège, elles allaient finir par la tuer, mais une femme d’une quarantaine d’années, vêtue d’une tunique anthracite, sortie de nulle part l’avait libéré du chant de la mort…

Alors que les ronces commencèrent à serpenter au-dessus d’elle, Lely empoigna son sabre, mais avant qu’elle attaque, une voix l’interrompit :

— Lely, depuis le temps, tu devrais avoir compris qu’il ne faut, en aucun cas, te blesser ici ! survint cette même dame que dans ses souvenirs.

Elle sortit sa main de son épée, pencha la tête et dirigea son regard vers les branches qui gesticulaient.

— Je le sais… Pardonnez-moi maîtresse, Véliha. Cela ne se reproduira plus.

Un nimbe diaphane ruisselait sur le corps de cette femme qui toisa de haut son apprentie et d'un mouvement de l’index, elle stoppa les ronces et elles se rétractèrent dans l’obscurité en frémissant. La dame se retourna et convergea dans les profondeurs de cette sylve en laissant derrière son passage une brume scintillante.

Lely serra la mâchoire, et la suivit avant que la fumée ne s’évapore. Lors de son trajet, elle réfléchissait et craignait que sa maîtresse lui tienne rigueur d’avoir fait une telle erreur. Lely savait qu’elle était dotée d’une rare sévérité et qu’aux moindres écarts sa maîtresse n’hésiterait pas à user ses pouvoirs ancestraux. Effrayée par cette idée, elle déglutit et accéléra sa cadence pour ne pas arriver en retard pour le dîner.

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