Śimrod : La Cité Rouge (1)

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— Tu ne comptes pas te lever, aujourd’hui ? Nous arrivons à Urbaban.

La voix de Melaryon résonnait dans tout le cair. Śimrod, étalé sur son lit, ouvrit un œil et grogna. Sa tête lui faisait mal. Le nombre de flacons de fumées vides témoignait de façon éloquente de la raison de son état.

— Laisse-moi dormir, grogna-t-il en se renfonçant dans les coussins.

Ceux qui portaient encore l’odeur d’Evaïa. Il n’avait pas pu se résoudre à les jeter, contrairement aux robes qu’il lui avait offertes.

— Secoue-toi ! tonna Melaryon. Tu as une mission. Eliminer cet Ælfbeorth, tu te rappelles ? Séparer les deux mondes, détruire le portail. Et tuer Tintannya.

— À quoi bon ? Je n’ai plus envie. Cette mission ne me concerne pas.

Le wyrm soupira si fort que les parois du cair en tremblèrent.

— Śimrod. Oublie cette fille. Ce n’est qu’une aslith mortelle. De toute façon, tu l’aurais perdue un jour, d’une façon ou d’une autre. Alors, reprends-toi et quitte cette chambre. Je vais demander aux eyslyns de la nettoyer. Je ne supporte pas que mon corps soit profané par un tel capharnaüm !

Ce dernier argument décida Śimrod. Il roula sur le côté, et se redressa pile au moment où Siwan entrait, la tête basse, vêtu des habits blancs du deuil. Derrière lui voletait tout un essaim d’eyslyns, visiblement dépêché en urgence par Melayon.

— Maître... commença le sluagh en pliant son corps maigre.

Śimrod l’ignora. Il savait que Siwan avait été proche d’Evaïa, et il l’avait longuement interrogé après sa disparition. Mais le sluagh avait prétendu contre vent et marée qu’Evaïa était dévouée à Śimrod, qu’elle l’aimait. Et il avait choisi de porter le deuil, persuadé que si la jeune mortelle n’était pas revenue, c’est parce que les humains l’avaient tuée. Il avait même suggéré à Śimrod (très fortement) d’aller la venger. Mais Śimrod avait eu trop peur de découvrir la vérité, et trouver Evaïa heureuse sans lui, dans les bras de son Ælfbeorth. Il avait préféré repartir. Depuis, Siwan et lui étaient en froid.

Cela faisait plusieurs cycles entiers que Śimrod avait quitté Faerung. Depuis, il errait sans but dans l’Autremer. Le hasard était bien cruel de le faire revenir là, dans la cité où il avait grandi... de Faerung, sa terre de naissance à Urdaban, le lieu de son enfance et son adolescence, c’était à croire qu’il était mort, et qu’Amarrigan s’amusait à lui faire retraverser sa vie. C’était peut-être cela, la malédiction d’Arawn. Ne jamais mourir, et être condamné à revivre sans cesse le même calvaire.

— Arrête de t’apitoyer sur ton sort, rugit Melaryon. Va te laver, change-toi et prépare-toi à apponter. Il faut que tu parles à Ardaxe.

— Ardaxe ? Pourquoi faire ?

— Il détient les réponses à tes questions.

— Quelles questions ? Je n’en ai aucune, si ce n’est quand va-t-on enfin me foutre la paix !

— Tu pourrais lui demander pourquoi il t’a envoyé sur cette quête, par exemple. Pourquoi il t’a forcé à t’enrôler parmi les consacrés d’Æriban, ou s’intéresse autant aux Enfants de Mannu.

— Je connais déjà la réponse, grommela Śimrod en enfilant sa tunique. Ardaxe veut changer le système. Il croit que ces Enfants de Mannu partagent le même but que lui, et veut sans doute les approcher pour faire cause commune. Mais moi, je ne me sens plus concerné par cette histoire. Je ne veux rien à voir avec Ardaxe, ni avec les Enfants de Mannu.

S’il tombait sur Ælfbeorth... et sur Evaïa, à ses côtés...

La voix puissante de Melaryon le tira de ces images alarmantes.

— Ça, c’est le tableau général. Mais tu ne t’es jamais demandé pourquoi il t’avait demandé, à toi, d’accomplir cette quête ?

— Non, répondit Śimrod sincèrement. Je suis celui en lequel il a le plus confiance, c’est tout. Son meilleur ami, depuis l’enfance. Et son meilleur guerrier. Il ne pouvait demander à personne d’autre.

— Hum. Cela a dû beaucoup lui coûter, de t’éloigner de lui. Pourquoi l’a-t-il fait ?

Śimrod haussa les épaules. Pourquoi Melaryon lui parlait-il d’Ardaxe ? Il savait pourtant que Śimrod avait rompu tout contact avec lui !

— Je veux plus rien avoir à faire avec Ardaxe, répéta-t-il pour être sûr. Je me contrefiche de ses raisons. Il est allé trop loin... il n’aurait pas dû sacrifier une innocente à ses plans, aussi supérieurs et importants soient-ils. J’estime que je n’ai plus rien à lui dire.

— Ton manque de curiosité te perdra, grogna Melaryon. Tu te laisses diriger passivement à droit à gauche, comme un carcadann embridé... !

— Je suis un soldat, siffla Śimrod, vexé. Pas un stratège. C’est Ardaxe, celui qui réfléchit. Moi, je ne faisais que lui obéir.

— Comme quand il te demandait de te faire du bien devant lui, ou demandait à regarder lorsque tu ramenais une femelle ?

Śimrod sentit ses oreilles rougir. Ces épisodes l’avaient toujours embarrassé. Mais ils étaient réels : Melaryon ne les avaient pas inventés.

Depuis leur enfance dans les arènes d’Urdaban, Ardaxe avait toujours manifesté une grande curiosité pour le corps entier de Śimrod. Ce dernier pensait que c’était parce qu’on avait amputé Ardaxe de ses parties mâles. Ayant pris en pitié son seul ami, il l’avait laissé observer dès l’enfance ce qui lui manquait aux bains, puis le toucher, et même, par la suite, aller plus loin encore. C’était la seule façon pour Ardaxe d’expérimenter ce qu’on lui avait cruellement enlevé, pensait-il.

Mais Melaryon, lui, voyait les choses autrement.

— Je suis un wyrm mort, qui ne subsiste plus qu’en tant qu’esprit désincarné. Je me souviens encore de la joie que je ressentais en dévorant une proie bien braisée, en sentant le vent glisser sur mes ailes ou en montant une jolie femelle. Et pourtant, je ne te demande pas de te livrer à toutes ces activités devant moi...

— C’est pourtant ce qui se passe, grommela Śimrod avec un début de rictus. C’est moi qui te fais voler, et si tu le souhaites, tu peux me regarder manger. Tu as même pu regarder quand je m’accouplais avec Ev... cette menteuse d’humaine.

Siwan émit un soupir douloureux, qui n’échappa pas à Śimrod. Mais Melaryon détourna son attention.

— Personne ne me fait voler, Śimrod. Je vole selon ma propre volonté !

— Pareil pour Ardaxe, répliqua Śimrod. Il n’a pas besoin de moi pour voir des ellonil se livrer au coït. Il lui suffit d’entrer dans un temple lors des fêtes de lunaison, une maison de passe à la capitale ou même dans les cellules de ses hommes la nuit. Tous ne sont pas castrés, et je peux t’assurer qu’ils ne se gênent pas pour se faire plaisir, en dépit de la charte de la guilde ! Contrairement à ce qu’il croit, Ardaxe ne peut pas tout contrôler.

— Voilà. C’est là où je voulais en venir, insista Melaryon. Ardaxe n’est pas infaillible, Śimrod. Essaie de réfléchir par toi-même un peu. Et va lui parler.

— Rien ne dit qu’il est à Urdaban en ce moment, murmura Śimrod en réponse.

— Certes. Mais beaucoup de monde le connait ici, et ils auront entendu des rumeurs. S’il y a bien un endroit où tu peux le trouver, c’est ici. C’est pourquoi je nous ai menés là.

Śimrod jura dans sa barbe. Melaryon... et dire qu’il lui disait d’arrêter de se faire mener passivement, alors qu’en fait, c’était lui qui prenait les décisions à sa place !

— Profites-en pour te rappeler qui tu es, lui glissa le wyrm l’air de rien. Va voir un combat d’arènes, fais un tour au temple et sacrifie à Neaheicnë pour toutes les victoires éclatantes qu’il t’a apportées. Et paye-toi une petite femelle au passage... il y a toujours des volontaires en chaleur aux abords du temple, prêtes à tout pour se faire étriller par un sidhe de métier. Ça te détendra.

Śimrod laissa échapper une nouvelle vulgarité. Les femelles... il s’était juré de ne plus jamais retomber dans leurs pièges sucrés. Mais Melaryon avait raison : il fallait qu’il se change les idées.

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