Prologue : rêves de neige

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Nuit. Ciel, aurores boréales. Sous le dais de neige, de verre gélif et de sapins, il faisait froid. Elohar se pelotonna contre lui, trouvant la chaleur tout près de sa large poitrine. Sans ouvrir les yeux, ce dernier l’attira à lui plus près encore, renfermant ses grands bras autour de son corps nu. Dans cet abri de chaleur, Elohar se sentait protégée. L’odeur suave, délicatement épicée envahissait ses narines, et elle sentit un début de chaleur gagner son bas-ventre. Ils avaient l’amour plus d’une dizaine de fois, cette nuit sous les étoiles, et elle avait encore envie de lui... tout cela sans la moindre douleur. C’était inimaginable. Le pouvoir du luith d’un sidhe... ou celui de l’amour, tout simplement.

Il lui caressait lentement le dos. Tout à l’heure, elle s’était amusée à prendre sa grande patte dans la sienne et à faire sortir ses griffes sur toute leur longueur, en appuyant légèrement sur l’intérieur de son avant-bras. De véritables couteaux, dont la couleur ébène était recouverte d’un léger éclat irisé. Le précieux mithrine, celui qui faisait les armures les plus solides. Il l’avait regardé faire, une expression amusée sur son visage si humain.

— Ça te fait peur ? avait-il demandé.

Elohar avait secoué la tête.

— Non. Embrasse-moi.

Il s’était penché avec elle avec un grognement de satisfaction, et avait glissé sa grande langue dans sa bouche. Il l’avait entremêlée à la sienne, tout cela sans l’effleurer de ses crocs. Jamais Elohar n’avait connu une telle douceur. Comme cette queue de fourrure immaculée, si confortable et floconneuse, qu’il faisait voluptueusement passer sur sa peau nue...

Elohar ouvrit les yeux. Non. Il n’avait plus de panache. Il l’avait mis sur le manteau qu’il lui...

— Bien dormi ?

La voix sirupeuse de son maître tira définitivement la jeune femme de sa torpeur. Elle s’assit et baissa la tête, confuse de s’être laissée surprendre, attendant les ordres. Le Maître pouvait se montrer cruel parfois, et, pour une raison obscure, il détestait qu’elle rêve. Il lui faisait subir un interrogatoire serré tous les matins.

— De quoi as-tu rêvé, Elohar ?

— De neige, Maître. De froid.

Il la contempla en silence. Sa peau était noire comme la nuit, à l’instar de cette ombre qui venait lui rendre visite dans ses rêves, et dont elle ne se souvenait que confusément au matin. Quelque chose au fond d’elle lui intimait l’ordre de ne pas en parler au Maître, jamais. Même s’il l’appelait « bien-aimée », et la faisait dormir dans sa couche sur une étole de fourrure blanche.

— As-tu rêvé de lui ?

Elohar secoua la tête.

— Je crois que... j’ai rêvé de vous, répondit-elle d’une voix blanche.

Le Maître prit ses mais dans les siennes.

— Bien, bien, fit-il en les regardant distraitement. Mais j’aime quand on me raconte les rêves, ma douce. Si tu rêves encore de lui... je voudrais que tu m’en parles. De la façon dont il te faisait l’amour, par exemple. Est-ce qu’il te mettait sur cette fourrure blanche ? Te disait de bien écarter les cuisses, de remonter les genoux pour que tu puisses accueillir sa grosse queue ?

Elohar se recroquevilla.

— Maître...

— Où te mordait-il ? Parce qu’il devait te mordre, c’est sûr. Te saisissait-il la nuque, par-derrière ? Je l’ai déjà vu faire. C’est un sacré spectacle... Tu sais que je n’ai jamais vu un mâle aussi puissant ? Les femelles étaient subjuguées, avec lui. Elles s’offraient complètement, s’immobilisaient comme des statues de pierre. C’est son pouvoir. Il me faisait cet effet, à moi aussi... Alors ? Réponds, trainée.

Une claque brutale tira Elohar de sa stupeur.

— Il... il me mordait très doucement, je crois, répondit-elle au prix d’un effort surhumain.

Tout cela était si loin... comme un rêve brumeux, des souvenirs qui appartenaient à une autre.

Le Maître plissa les yeux.

Très doucement ? Où ça ?

Elohar montra son épaule. Il l’avait léchée si soigneusement après ça... s’était montré si désolé ! Et pourtant, il n’avait pas mordu fort. Juste posé ses crocs. Il se montrait tellement précautionneux à côté des clients qui...

— Arrête de penser à lui ! gronda le Maître en lui assénant une nouvelle claque sèche. C’est moi ton maître, maintenant. À quatre pattes, le cul en l’air, comme la chienne humaine que tu es.

Elohar se positionna sur la fourrure. Elle détestait ces séances que le Maître lui imposait. Mais elle n’avait pas le choix...

Elle se mordit la lèvre en sentant l’énorme pilon de métal froid qu’il lui glissa entre les jambes.

— Gémis, ordonna le Maître d’une voix glaciale. Et remue, dandine-toi comme tu faisais quand il te prenait.

Elohar s’exécuta mécaniquement. Le Maître la regardait, la main sur sa joue. Mais il se lassa rapidement. Il avait les yeux brillants, comme s’il allait pleurer... bien que ce soit impossible. Les Maîtres ne pleuraient pas. Ils n’avaient ni âme, ni cœur, ni sentiments.

— Ça suffit. Tu me dégoutes... les humains me dégoûtent. Et lui aussi ! Sors de ma cabine. Je t’ai assez vue.

Elohar roula sur le côté et escamota discrètement l’horrible objet. Puis elle attrapa sa cape, son unique vêtement. Mais le Maître l’arrêta sèchement.

— Laisse ça. Ce n’est pas à toi. Tu ne le mérites pas.

D’un geste si rapide qu’il lui échappa, le Maître se saisit du rebord de fourrure, qu’il jeta dans un autre coin du lit. Elohar baissa la tête et sortit de la cabine. Une fois dehors, elle jeta un dernier regard à l’intérieur : le Maître avait repris la fourrure, et la pressait contre son visage.

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