Coeur Noir

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J’ai envie de fleurs.

Des fleurs belles mais cruelles.
Je me les offrirais à moi-même.

Madame Fauve les tient dans sa main.
Lueurs Carmin.

Une de ces autres personnes qui ne sera pas en vie tant que je ne l’aurai pas décidé…

Je veux une petite porte.
Dans le coin de mon esprit.
Qui me permet d’aller ailleurs.

Cet ailleurs où est personne, cet ailleurs dont aucun bruit ne sort.

C’est parce qu’il n’en est jamais entré…

J’ai envie de quelqu’un.
Quelqu’un comme moi.

Ou plutôt quelqu’un comme elle…
Non pas elle, celle qui me comprend.

Mais elle, celle que je ne comprend pas.

Pas encore.

Et surtout, je veux écrire tout ça.

Non.

Il faut que je l’écrive.

Non.

Je vais écrire.

Non.

Maintenant.

Non.

Quoi ?

Non.

— QUOI !

Toujours là. Dans ce coin. Ce n’est pas le sien.
Pas le mien non plus.

La vieille salle de projection. Il s’assoit toujours au fond.

Grand chapeau et longs cheveux qui lui descendent en fontaines d’obsidienne par-dessus les joues. Ses yeux grands fermés, des larmes de maquillages les soulignent en traits pointus à son menton. Un col épais cache son cou, remonté presqu’au-delà. Ses mains ballotent sans le vent.
Il n’y en a pas.

Il n’y en a jamais eu dans cette salle.

Ses jambes sont les plus longues que je n’ai jamais vues… À jamais cachées, enrobées de la brume de ce pantalon coupé long, pattes d’éléphants où je devine ses pieds se perdre.
Il y a un peu de rouge quelque part. Je crois en avoir aperçu.

Il a peut-être oublié de l’enlever.

Coeur noir. Je le connais si bien.
Ou plutôt, je ne le connais pas. Pas un seul de ses traits.
Pas un seul.

Ceux qui se dessinent devant moi.

Trouvé.

Non, je pense qu’il a voulu cela. Il ne voulait pas parler, mais il m’a fait venir.
Je sais qu’il ne parle pas. Ses lèvres bougent…

Des lèvres si fines. Fines comme du papier.
Le papier d’un millier d’oiseaux morts.

… et aucun mot ne sort.

Mais son silence dit tous les mots que je n’ai pas envie d’entendre.

  • Non.

Une de ses mains s’anime d’une vie que je ne lui connaissais pas. Il ne fait que réajuster son chapeau. Je crois qu’il n’était pas assez désordonné…

  • Tu ne m’aimes pas beaucoup, n’est-ce pas ?

  • Tu n’as pas raison de penser ça.

Des mots.

Ceux-là, je les entends clairement.
Pas comme cette sensation légère qui me prend à la gorge lorsque j’ai envie.
Envie de faire autre chose.
Une pression sans intention.
Contagieuse et mortelle.

Mortelle d’ennui.

  • Alors tu n’aimes pas que je te parle.

Il soupire. Un soupir impersonnel.

  • C’est nécessaire.

  • Moi, j’aurais voulu te parler depuis longtemps.

    Je réfléchis.

  • Peut-être.

Ma voix me surprend. Si faible.

  • Il y a bien quelque chose que tu n’aimes pas, non ?

  • Oui.

  • Alors comme ça, ce mot t’es accessible...

Il regarde l’écran.
Il n’y a rien. Strictement rien.
N’y a jamais eu quoi que ce soit.

Blanc.

Blanc, blanc, blanc.
Et surtout, vide.

  • Ce n’est pas un jeu.

Ses yeux ont changé.
Non, je ne sais pas.
Il ne les a pas posés sur moi.

  • Qu’est-ce que c’est pour toi, dans ce cas ?

  • Je ne sais pas.
    Je ne sais pas, mais je sais que j’aimerais que ça le soit pour toi.

Important.

  • Dis-le, dis-le que tu aimes mes mots !
    Tu ne peux pas leur mentir.

  • Ne dis pas que je mens. Je ne mens pas.

  • Mais tu aimes mes mots ?

  • Oui.
    Je n’aime pas quand tu écris.

  • Pourquoi ?

  • Parce que je dois faire quelque chose.
    Et faire quelque chose, ça veut dire que je ne peux plus rien faire.
    Je veux que tu arrêtes. Que tu cesses ?
    Que tu en restes là…
    Tu en as déjà assez fait.

  • Ah non ! Les questions, c’est mon truc à moi ! Trouve-toi autre chose.
  • Je ne te pose pas de questions. Je veux que tu arrêtes.
  • Moi, je veux que tu me donnes tes raisons.

  • Tu m’ennuies.

  • C’est ça ta raison ? Je t’ennuie ?

  • Non, tu m’ennuies c’est tout…
    Pour ne pas dire que tu m’emmerdes.

  • Et moi alors ? Tu ne penses pas que tu pourrais m’ennuyer un peu ?
  • Je ne sais pas. Tu es en colère ?

  • Non. Je suis souvent d’accord avec toi.
  • Alors tu n’es jamais en colère ?
  • Si, ça m’arrive…
    Comme cette fois où j’ai saisi ce sachet et que je me suis mis à serrer le noeud très fort. Trop fort… Comme si c’était la gorge de quelqu’un. Puis je me suis rendu compte que j’étais en train de martyriser un pauvre paquet de brioches. Ça n’en valait pas la peine.
    En fait, je crois même que je n’étais pas en colère.
    J’avais seulement envie de le faire…

    Pourquoi ce n’est pas ce genre de choses que tu m’empêches de faire, dis ?
  • Ce genre de choses ? Ce n’est pas de mon ressort.
    Ne me met pas tout sur le dos. Il me fait mal parfois…
    Un peu tout le temps, je pense.
    C’est pour ça que je m’assois.
    Ça doit faire un moment déjà.
    Je pense que si je me relevais un jour, je m’effondrerais pour de bon...

    ...Alors s’il te plaît, et cette fois j’y mets la forme, s’il te plaît ne me fatigue pas plus que je ne le suis déjà.

  • Alors c’est déjà au revoir ?

  • Au revoir.
    Tu peux même jamais ne revenir. Ça ne m’importe pas tant que ça.

  • Je ne suis pas sûr de ça.

Autour, la lumière vacille à chaque phrase. Les chaises… Il n’y en a plus que quelques-unes qui aient encore tous leurs pieds. Elles tiennent sur place sans tenir debout. Je crois. Il y a sûrement quelques mots éparpillés. Les miens. Les siens ?
Les…

Ceux qu’il a oublié de jeter.
N’a pas voulu jeter ?

Confettis en pliures, déchirés à désir. Coupures de journaux qui regorgent du visage que je ne peux pas voir. Ce n’est pas sale. Le désordre ordonné.
Il n’y a que lui, et il ne dit mot.
Pas besoin d’en répandre plus par terre.

  • Je peux te poser une dernière question ?

L’écran. L’écran lui dit oui.
Peut-être.

Non.

  • Celle-ci était la dernière.

  • Une autre, alors ?

  • La voilà s’envoler.

  • Dans ce cas, deux autres ?

Son visage vire au blanc pâle.
Non. Il a toujours été blanc pâle.

Un peu bleu quelque part.
J’en ai vu.
Il a oublié de le faire partir.

Il lui aurait suffi d’un peu d’eau.

  • Tu me laisseras tranquille après.

  • Je sais.
    Je peux t’aider ?

  • Une question que je n’attendais pas…
    Et maintenant que tu l’as prononcée, j’en attends encore moins.

  • Laisse-moi te montrer.

Il y a des rideaux. Des grands rideaux.
Rouges et noirs. Surtout noirs. Stendhal me l’a permis.
Des sièges de velours. Deux grandes allées.
Des fleurs.

Des fleurs, des fleurs, des fleurs.

Il faut qu’il y en ait.
Dans ces jolis vases sans fond.

Une lumière tamisée.
Il fait sûrement nuit dehors.

J’aimerais être la lune pour savoir…

Deux petites portes pour sortir.
Aller ailleurs.
Entendre autre chose.

L’écran reste blanc.
Il faut qu’il le soit.
C’est important pour toi.
Important pour moi ?

C’est important…

Il le restera.
Mais plus grand.
Peut-être un peu trop.

On s’en fout.

Loïs s’est déjà assis, plus loin.
Mand… je la croyais disparue.

”It's time to jump and fly.

Stardust once, firebird tonight.

Above the town asleep,

Precious seconds where silence runs deep.”

Elle est toujours belle.

Oui, j’aime tes mots.
J’aime tes mots, j’aime tes mots, j’aime tes mots.

Mais maintenant pars,
Pars.

  • J’ai assez dormi.
    Je te laisserai encore un peu une prochaine fois.

  • Il y aura une prochaine fois, alors ?

  • Ne demande pas.
    Ne demande pas…

Je pars.

Mand me suit.
Loïs aussi.
Loin ailleurs, personne.

Je pars et je ne dis plus mot.

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