Menteur

4 minutes de lecture

— Je t'ai vu te retourner.

Sa chevelure, entrelacs de syllabes mortes, des peaux effilochées de mues désengrangées. Un ange à la carnation de pierre de lune, au sourire le plus infâmement magnifique.

— Que crois-tu ?

Elle lui saisissait le bras comme elle aurait saisi une vieille carcasse d'animal par la gorge, brûlait son poignet de toute une atroce force. Celle sans limites de la certitude.

— Réponds-moi, voyons ! s’égosillait-elle. Tu comptes rester dans ce silence ?

Elle accompagna sa parole d'une gifle aussi violente que désespérée.

— Tu comptes y rester encore ?

Elle le traînait autour, poupée de chiffon. Tordue à souhait et sous tous plaisirs. Un autre de ces jouets cassés qu'on laisserait pourrir dans un coin, servir de nourriture aux mites. Sa joue s'était teintée d'un gris qu'il ne connaissait pas, mais il ne s'était pas inquiété.
Ce n'était pas un jour de colère. Elle ne faisait que jouer.

Avec rage, elle le souleva du sol une nouvelle fois pour le rejeter.

— Menteur… MENTEUR !

Comment ses yeux pouvaient- ils être si calmes ? Lui, il admirait sûrement ses yeux. D'un bleu qui n'avait jamais eu de fond. Il aurait bien aimé se noyer, mais ça faisait bien longtemps qu'il s'y débattait, à la surface. Funambule des vagues, il avait la gorge grande ouverte, pour laisser le vent asphyxier ses poumons de sève de figuier. Oui... il aurait tellement aimé se noyer...

Un doigt de corde rêche contre sa tempe, aussi fin qu'un filin de trépas, elle pressa de cette même force. Plus en plus profond. Elle appuya jusqu'à ce que sa propre phalange se torde sous la friction des chairs, et même ainsi ne s'arrêta pas. Trop concentrée à infliger la douleur, elle faisait abstraction de la sienne, si minime, si... ridicule. Elle s'en fichait tant et tant, les prémices d'un rictus à la commissure de ses lèvres, elle avait la poitrine gorgée de haine.

— ARRÊTE D'ESSAYER DE ME MENTIR !

Il avait rouvert ses paupières.
Sans savoir plus que son nom. Son nom, et... peut-être sa raison.
Tous ces moments où il s'était réveillé, le souffle si court qu'il restait la bouche ouverte, son haleine tombant, langue d'éthyle sur ses lèvres tuméfiées. Ses cils à moitié déployés, collés par le mucus infectieux de ses pupilles embuées. La vision floue, il pouvait toujours discerner au moins sa silhouette.

D'une certaine manière ça le rassurait.

Les cris avaient laissé place à ceux plus bruyants de son esprit. Elle, murmurait si fort qu'on l'entendait dans toutes les salles de sa tête. Puisqu'il avait décidé un jour de repeindre les murs, il la laissait faire. C'était plus joli ainsi de toutes manières. Ses bras remuaient si prestement, là où le temps s'était ralenti pour lui. Et que ce fantôme de couleurs absurdes hurlait d'un silence atroce aux milliers de parois, ce bleu de pâleur immense, le bleu de ses yeux. Grand d'un miroir de ciel de nuit à l'agonie. Avec une encre de terreur et de grâce, sa robe virevoltait au milieu des pages d'un livre sans couverture. Les personnages qui avaient été laissés là accueillaient à bras ouverts la marée noire, engloutis. Un noir de plus de nuances que les portes du regret. Elle dansait dans le plus sombre des soleils. Elle dansait, brossant le sol de ses souliers de plomb. Elle dansait, s'envolant aussi haut que le plafond semblait s'éloigner.

Elle dansait, elle dansait, elle dansait...
Pour mieux mourir.

Et puis ensuite, sûrement aussi pour ne pas mourir.

Lorsqu'elle avait terminé, que chaque mur se déformait en une pensée, se brisait pour se reformer, se suffoquait, se dorlotait, se massacrait, se cajolait, s'égorgeait, se désirait, s'écorchait vif, se dévorait d'envie...

Elle se laissait retomber, légère comme un soupir.

— Moi, je te connais, murmurait-elle. Moi, je sais qui tu es... répétait-elle encore.

Elle marqua une pause, plus hésitante.

— Je te connais comme tu me connais moi.

Ses mots le firent tressaillir, et instinctivement, sa main chercha la sienne dans la pénombre. Serrant ses doigts consumés de sang sec, il lui ressentit un bref sursaut. Tournant son visage de sorte qu'il ne la voit pas, la jeune fille resta interdite. Il raffermit son étreinte, sûr que cette fois-ci, il ne la laisserait plus partir. Cette étrange sensation. Une sensation qui le faisait sentir toujours plus vivant que mort lorsqu'il ne savait pas décider lui-même.

Lentement, ses lèvres s'ouvrirent à leur tour.
Et lentement, dans la plus muette des averses, il lui glissa ces quelques mots :

— Nel, il faudra qu'un jour tu me dises.

Il planta son regard quelque part là-bas, dans la même direction qu'elle semblait contempler, son dos offert à lui, et sa main, d'une chaleur incomparable…

— Il faudra que tu me dises comment tu fais pour être si belle...

Elle ne bougea plus. Dans la tranquillité du logis, il pouvait presque entendre son coeur battre. Son visage, si proche et si connu de ses souvenirs, lui manquait pourtant déjà. Flou.

Il ne sait comment, mais il la sentit sourire.

Dans un souffle, elle lui répondit :

— Je n'ai rien à dire aux menteurs.

Annotations

Vous aimez lire Sonata . ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0