1. Nacre

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Selon une croyance humaine, les pierres et les cristaux auraient des propriétés naturelles de soin. Contenant l’énergie de l’eau, la nacre rééquilibrerait la circulation énergétique entre le corps et l’esprit.

°°°

 Ses cheveux roux ondoient autour d’elle, couronne de feu dans ces profondeurs bleutées. Les rayons de l’aube effleurent sa peau diaphane et caressent les quelques bulles d’air qui embrassent son corps. Puis, d’un puissant coup de pied, la jeune femme nage vers la surface. Dès qu’elle rejoint l’air libre, son visage se fend d’un sourire chaleureux.

Ses yeux gris se tournent vers le ciel et elle tend une main vers son faucon d’Air qui navigue entre les nuages. Il lâche un cri strident avant de s’élancer plus haut dans le ciel. Profitant de la liberté que lui offre la brume du mois de septembre, l’adolescente disparaît à nouveau dans l’eau glacée. Elle s’enfonce plus loin. Ses muscles, rompus à cet entraînement matinal, diffusent la chaleur nécessaire à sa protection contre les morsures du courant l'entraînant vers les abysses du lac.

Léana n’a pas peur.

Oh non, loin de là.

La loutre d’Eau se faufile tout près de la jeune femme puis vient frotter sa petite tête contre la joue de l’intéressée. Léana ne peut s’empêcher de sourire. Moi aussi, je suis contente de te retrouver. Et, alors que l’animal ondule joyeusement à ses côtés, maîtresse et familier se lancent dans une valse aquatique dont elles seules connaissent les pas. Libérée des pensées qui troublent habituellement son esprit, Léana danse, focalisée sur sa partenaire.

Il est sept heures quand la lycéenne pose un pied sur la terre ferme. Sa main rassemble le liquide qui trempe ses habits ainsi que ses cheveux, puis le jette dans l’herbe. Un claquement de doigts et une brise chaude vient sécher ses boucles. Elle est presque prête à quitter son jardin secret. Il ne lui manque plus que ses baskets et le reste de ses affaires qui l’attendent un peu plus loin dans la clairière.

Léana lâche un soupir dépité en observant la surface lisse du lac où elle a l’habitude de se relaxer. C’est peut-être le dernier moment de calme avant sa rentrée en Terminale. Le dernier moment où son esprit sera capable de faire le vide.

Au-dessus d’elle, son faucon d’Air plane jusqu’à une branche d'où il la fixe d’un regard presque réprobateur. Elle lève les yeux au ciel :

— D’accord, d’accord ! Je vais essayer de ne pas être si pessimiste, siffle-t-elle. Tu es content ?

Elle observe son familier s’envoler vers l’horizon, un huissement insatisfait résonnant derrière lui. Rabat-joie, va. Elle enfile rapidement ses chaussures, ramasse son sac à dos et se met en route vers la maison de ses parents.

Si l’habitude tente de la guider vers un lieu beaucoup plus familier, Léana reste sur le chemin qu’elle emprunte tous les jours depuis la mi-juillet. C’est toi qui as pris la décision de déménager en prétextant une envie d’indépendance. Tu ne peux pas revenir en arrière après un mois et demi.

Léana inspire profondément. Elle sait pertinemment qu'Iris l’accueillerait à bras ouverts si elle en émettait le souhait. Ce n'est pas le problème. Le problème c’est…

Un sourire cruel se dessine dans son esprit. Un murmure semblable à celui d’un serpent s’infiltre dans ses oreilles. La respiration de la lycéenne se trouble et ses mains se mettent à trembler.

Devant la porte d’entrée de la maison de ses parents, Léana cherche hâtivement ses clés, comme si le geste pouvait mettre fin au tressautement de ses doigts. Il n’est plus là. Il n’est plus là.

Il n’est…

Soudain, une lumière bleutée s’enroule autour de son poignet droit. Deux vagues d’une dizaine de centimètres s’élèvent dans les airs puis retombent brusquement sur la peau de l’adolescente, créant le corps, liquide, de sa loutre d’Eau. Voir la mine inquiète de son familier permet à Léana de retrouver le calme nécessaire pour renvoyer le terrible souvenir dans les tréfonds de son cœur.

Après un temps où elle s’oblige à respirer posément, un maigre sourire naît sur ses lèvres :

— Pfiou, on a encore eu de la chance, murmure-t-elle, en caressant pensivement l’animal. Va, je ne te retiens pas plus longtemps.

Alors qu’elle désactive sa Maîtrise de l’Eau, Léana observe sa loutre disparaître dans un petit nuage de brume. Puis elle hoche la tête d’un air déterminé. Allez Léa ! Le pire est encore à venir. Ses clés enfin trouvées, elle déverrouille la porte et s’engouffre à l’intérieur de la maison.

Le silence l’accueille.

Elle y est habituée.

Elle a beau passer plus d’une demi-heure sous la douche, l’eau chaude ne l’aide pas à dénouer ses muscles tendus par l’idée de retourner au lycée. Mais les aiguilles de l’horloge tournent. Son destin l’attend, qu’elle le veuille ou non. Tss. Sacré destin.

Quelques minutes lui suffisent pour enfiler un jean et le sweat-shirt noir qu’elle a volé à son meilleur ami d’enfance. Elle a besoin d’encore moins de temps pour rassembler ses affaires scolaires qu’elle jette négligemment dans son sac à dos. Scannant sa chambre à la recherche d'un objet qu'elle aurait oublié, l’adolescente fait face à l’évidence : elle est prête à y aller.

Elle descend lentement les escaliers sans jeter un regard à la chambre de ses parents, vide depuis une dizaine d’années. Elle se saisit de son longboard et, aussi déterminée qu’un mouton allant à l’abattoir, elle roule jusqu’au lycée.

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