27. Unakite

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Cette pierre permet de lever les blocages inconscients du passé.

°°°

La question d’Hashim retentit plusieurs fois dans le cerveau de Léana. Est-ce qu’il y a autre chose dont elle veut parler ? L’écho de sa voix s’enroule autour de l’adolescente jusqu’à ce qu’une autre mélodie se joigne à la résonance. Ces tintements métalliques, ce rire flûté… Ces sons l’emportent dans les méandres de son esprit, vers ce lieu qu’elle a dissimulé. Elle n’a jamais eu le courage de se perdre dans cette obscurité, d’affronter ces ténèbres et ce qu’elles renferment.

Alors qu’elle se laisse porter par cet air hypnotique, les ombres se rapprochent. Léana entend leur ricanement, le grondement de leurs estomacs. Les battements de son cœur s’accélèrent. Peut-elle seulement y arriver ? Se laisser submerger par cette brume opaque, s’abandonner à son passé ?

La jeune femme s’enfonce dans sa chaise alors qu’un haut le cœur la prend.

Un flash.

Bats-toi.

Des flammes crépitent tout autour d’elle. Léana hoche la tête. La fuite n’est plus une option. Qu’importe sa destination, les mots sont là, dans son corps. Elle les scande au rythme de cœur, les fait vibrer à chaque inspiration et les porte, inscrits sur sa peau.

Elle inspire profondément puis plante son regard dans celui d’Hashim.

Je peux le faire.

Non.

Je veux le faire.

Face à la nébuleuse obsidienne, Léana se défait lentement les pièces de son armure.

Le métal lacéré, rouillé, taché de sang s’écrase sur le sol.

Elle fait un pas en avant.

Ses ténèbres l’engloutissent.

— C’était… en juillet. Iris et toi … Vous étiez partis juger le concours de l’Académie. Et Kaïs…, déglutit-elle en fronçant les sourcils, Kaïs était allé s’entraîner… je crois.

Les premiers tentacules obscurs l’effleurent, l’enlacent avant de lui comprimer l’estomac. Si la lycéenne se sent tout à coup nauséeuse, le flamboiement de son regard s’intensifie. Je ne tomberai pas. Lorsqu’un autre appendice s’approche d’elle, elle le renvoie dans la masse noirâtre d’un coup de poing. Allez-y ! Venez-vous battre !

— Il voulait me donner une… preuve. Une preuve qu’il m’aimait d’un amour sincère.

Passant sous sa garde, le souvenir sinistre remonte le long de sa colonne vertébrale, lui caresse la nuque avant d’enfoncer ses griffes immondes dans sa peau. Léana inspire de nouveau, consciente du tremblement de ses mains. Allez… Venez… Des larmes se massent derrière ses paupières.

— Il m’a …On s’est… Dans ma chambre, expire-t-elle en frissonnant. Au début, je voulais le faire. Pour lui. Pour lui montrer que… que…

Ses mots s’enfuient pendant qu’elle revit chaque seconde de son traumatisme. Elle ressent chaque caresse. Elle entend le moindre craquement du lit, le moindre soupir. Elle respire l’odeur musquée de Nergal et celle de son excitation. Cette obscurité l’emporte, s’engouffre en elle de force et Léana comprend. Ses bras tombent le long de son corps.

— Je pensais que je l’aimais. Alors pour moi, après qu’il m’avait demandé plusieurs fois de passer à l’acte… Je pensais… Je pensais que c’était… normal pour un couple de quelques mois. Je pensais même que je l’avais fait trop attendre.

La gorge de la jeune femme se resserre à mesure que son flot de parole grandit. Léana pose sa main sur son buste. Ses doigts retrouvent les traces que Nergal avait laissées sur son passage. Et, au lieu de s’en écarter comme à son habitude, l’adolescente laisse son pouce caresser la peau anciennement tuméfiée.

Ce n’est…

La vague noirâtre se retire lentement, la violence de ses assauts s’estompe. Elle se masse dangereusement autour de Léana, prête à l’étouffer. Quelques tentacules tentent une autre offensive mais l’obscurité dans son ensemble ne suit pas l’initiative.

— Au début… ça ne me dérangeait pas. Il m’embrassait... et il me… Mais plus le temps passait, plus il montrait son impatience. Alors quand est venu le moment fatidique… j’ai… j’ai eu peur. Je lui ai dit que je ne voulais plus.

Ses sourcils se froncent, ses larmes tombent de plus belle. Elle lâche un sanglot plaintif puis baisse les yeux. Elle voudrait tellement s’arrêter là, se dire que c’est fini, qu’elle en parlé et qu’elle est enfin libre.

N'abandonne pas.

Comme une pieuvre effrayée, la sombre nébuleuse se délace puis se renoue continuellement autour de la conscience de la jeune femme.

Pas maintenant.

Alors que la peur et la honte remontent dans sa poitrine, Léana ancre son regard dans celui d’Hashim. Tant de tendresse brille dans ses yeux. Tant de fierté et d’amour. L’adolescente inspire profondément pendant que ses doigts tremblants de sa conscience se posent sur la masse noirâtre qui l’enlace.

— Il ne m’écoutait pas. Il … Il s’est frayé un chemin alors que je le suppliais d’arrêter. Puis, quand il en a eu marre de m’entendre l’implorer, il m’a… faite taire. Il a appuyé sur ma gorge pendant qu’il prenait ce qu’il voulait de moi. Je me suis figée… incapable de me battre alors qu’il… m’étouffait.

Léana déglutit difficilement. Ses entrailles la brûlent de prononcer le mot qui est apparu dans son esprit. Elle resserre ses bras sur l’obscurité.

Ce n’est pas de ta faute.

Une explosion de lumière jaillit de la poitrine de son esprit. Rubans chatoyants, étincelles incandescentes, la splendeur des éclats réchauffe son âme. Celle-ci ose un timide sourire. Alors que les magnifiques rayons révèlent le cœur de l’obscurité, toutes les ombres néfastes fuient en hurlant.

— Puis… une fois qu’il a … fini, il est parti. Un sourire répugnant sur les lèvres. Quelques jours après… j’ai perdu ma Maîtrise du Métal. C’est comme ça que j’ai su… Qu’il avait trahi mon secret… et qu’il avait perdu ses souvenirs.

Elle sent ses démons remonter le long de sa gorge et se cacher sous sa langue. Ils s’agglutinent sous le muscle tels un magma poisseux. C’est fini. Léana éjecte hors de son corps toute cette noirceur qui l’empoisonne :

— Il m’a … Il m’a…, murmure-t-elle avant d’hausser le ton. Il m’a violée. J’ai été violée. Mon petit ami m’a violée.

Pour la première fois, la poitrine de Léana se soulève sans ce poids habituel.

Je l’ai fait.

Cœur de ses ténèbres, son alter égo se tient à genoux, le visage levé vers elle. Ce n’est pas de ta faute. Sa peau est lacérée de cicatrices, du sang coule le long de ses membres. Tu es une victime. La blessée à terre lui sourit. Ne sois pas ton bourreau. Alors que Léana accueille son double avec compassion et indulgence, la chaleur qui règne autour d’elle l’envahit.

Je l’ai fait.

Le visage d’Hashim s’illumine d’un sourire. Il s’en doutait. Léana sent les commissures de ses propres lèvres se relever timidement dans une pauvre imitation de l’expression de l’adulte. Je l’ai fait. Je l’ai dit.

— Ton courage…, commence-t-il avant de secouer la tête. Tu as une telle volonté, une telle force… Tu as porté cela en toi pendant tout ce temps…

Léana prend le mouchoir qu’il lui tend avant d’ouvrir maladroitement les bras. Elle ferme les yeux quand l’étreinte de son père adoptif se referme sur elle. Sa chaleur et son odeur apaisent le tremblement de ses membres de l’adolescente pendant que ses dernières larmes humidifient le pull du coach.

— Tu es magnifique… Ma guerrière, murmure l’adulte en se détachant d’elle.

— Hashim, je… chuchote-t-elle, je…

— Tout n’est pas fini, tu sais. Pas si tu le veux vraiment.

La jeune femme étudie le regard déterminé qu’Hashim pose sur elle. Elle n’a pas songé à la suite. Concentrée sur cette ascension sans fin, sur ce sommet hors de portée, elle n’a pas osé se projeter aussi loin.

— Tu en es capable, insiste-t-il. Je t’aiderai.

Dans son esprit, trois personnes se dessinent, sourire aux lèvres. Les lueurs du soleil mourant se reflètent dans la chevelure en bataille de Kaïs pendant que son regard incendiaire brille d’une fierté non dissimulée. De l’autre côté, la fraîcheur de la nuit embrasse le visage pâle de Micah, rehaussant la glace de ses yeux. Entre les deux garçons, son alter égo la salue, aussi déterminée que rayonnante.

— Mais Kaïs… Le concours, murmure-t-elle.

— Il n’est pas question de Kaïs ou du concours. Mais uniquement de toi.

Le cœur battant, la lycéenne secoue la tête. Peut-elle vraiment oser rêver ? Y-a-t-il autre chose pour elle après tout ça ?

— Qu’est-ce que tu veux Léana ? demande tendrement Hashim.

— J’aimerais marcher… courir même…, révèle-t-elle. Utiliser mes Maîtrises sans avoir peur de les perdre.

— Et entrer à l’Académie ?

Oui. La jeune femme lève timidement les yeux vers le Maître. C’est tout autant mon rêve que celui de Kaïs.

— Oui. Je crois… Je crois que j’aimerais bien tenter ma chance.

Les lèvres de Léana se plissent quand elle pense à la réaction de Kaïs ou de Micah. Ne part-elle pas de trop loin ? Aurait-elle loupé sa chance ? Elle n’a pas envie de subir leur pitié ou de les ralentir dans leur apprentissage. Je ne veux pas être un boulet, j’aimerais… J’aimerais… La jeune femme fronce les sourcils. Est-ce que c’est vraiment possible ?

— Mais…, commence-t-elle à demi-mots.

— Si on ne prend pas en compte le regard des autres, la coupe le coach, veux-tu reprendre ton entraînement ?

— Oui, fait-elle sans hésiter.

— Alors fais-moi confiance.

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