32. Lamier

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Une plante qui exprime un reproche.

°°°

Micah se fige. Kaïs ? La peur au ventre, le jeune homme fonce vers les éclats de voix qui ne font que de se multiplier. Il débouche sur une allée dans laquelle cinq gardes sont en train de plaquer le blond au sol. La bouche de Kaïs est déjà emprisonnée dans un bâillon. Les yeux écarquillés d’effroi, le brun se précipite en avant :

— Lâchez-le ! Immédiatement !

— Votre Altesse, il vous a…

— Relâchez-le ! C’est un ordre ! coupe le prince en foudroyant la sentinelle du regard.

Micah observe impatiemment la faction libérer à contrecœur son camarade avant d’exiger de leur laisser de l’espace. Il n’attend pas que les soldats se placent à une dizaine de mètres pour tendre sa main à Kaïs. Mais lorsque le regard pourpre du blond se plante rageusement dans le sien, le jeune homme comprend qu’il va passer un sale quart d’heure. Toutefois, la colère n’est pas la seule émotion qui brille dans les yeux de Kaïs. La culpabilité plombe immédiatement l’estomac du prince.

Dans l’espoir de calmer la situation, il approche ses doigts du bras du blond :

— Kaïs…

— Ne me touche pas, putain.

Micah baisse la main. Une pointe de tristesse traverse son cœur alors qu’il s’oblige à reculer d’un pas. Les mots se bousculent dans sa bouche ; certains semblent si faciles à prononcer. Pourtant, la peine qu’affiche Kaïs efface tous discours d’excuses auxquels Micah aurait pu penser.

— Je ne t’aurais pas jugé. Bordel, je croyais avoir été clair là-dessus.

— Ce n’est pas ce que…

— Tu as tes secrets putain, tout le monde a des secrets ! Mais…

Micah se mord la lèvre quand la voix rauque du blond se brise. Dès que Kaïs baisse la tête vers le sol, la honte le submerge. Une vague de sentiments négatifs l’emporte vers les abysses de ses remords. Pourquoi je me sens aussi mal ? Je n’étais pas obligé de lui dire ! Et pourtant…

— Kaïs… J’étais nouveau dans un grand lycée et complètement perdu… Et puis je suis tombé sur Léana et toi.

L’adolescent inspire profondément alors que le regard du blond transperce son corps de part en part. Micah voudrait lui dire combien les rencontrer avait changé sa perception des choses, combien de fois il s’était senti vivre juste à leur contact. Il voudrait s’avancer vers le blond pour, ne serait-ce qu’essayer, de le rassurer. Mais ses pieds sont cloués au sol.

— Je voulais simplement… Je ne voulais plus être obligé d’être parfait. Je voulais être moi, même si ce n’était que pour quelques heures.

— Mais c’est pas ça le putain de problème ! s’exclame douloureusement Kaïs, ses traits déchirés par la colère. On ne pourra jamais être… être… Des amis ! Léana et moi, on n'est que des putains de pions ! On sera utilisés pour te faire souffrir, bordel ! Que ça soit par les ennemis de l’Empire ou l’Impératrice elle-même ! Putain, réveille-toi !

Le cœur de Micah se déchire. Les larmes qui lui piquaient déjà les yeux commencent à couler sur ses joues rosies par le froid. Si les mots de Kaïs, aussi violents soient-ils, n’ont jamais entaillé son optimisme, ceux-ci le tailladent et le poignardent. Je les ai mis en danger. Je les mets constamment en danger. Micah lève la tête vers le ciel pendant qu’une nausée très forte s’empare de lui. Il connaissait les risques. Mais, égoïstement, il s’est laissé entraîner par la fragilité de Léana et la force de caractère de Kaïs. Je pensais… je pensais... Je n’imaginais pas que mes émotions m’enchaîneraient à vous. Incapable de soutenir le regard du blond, il se tourne vers les fleurs qui bordent l’allée. Pendant ces quatre mois, j’avais l’impression d’être libre et de contribuer à… quelque chose de plus.

Il essuie ses larmes d’un geste brusque alors que des pas se rapprochent. La voix de Kaïs résonne doucement :

— Micah… Putain…

L’adolescent sent la main calleuse du blond se poser sur son épaule. Une douce chaleur se répand dans son abdomen mais sa culpabilité le prend toujours aux tripes. J’aurais dû vous le dire. J’aurais dû vous protéger.

Micah lève sa paume vers celle de Kaïs. Soudain un hurlement brise le silence de la nuit :

— Le prince est en danger ! Arrêtez cet individu !

Le brun se redresse du mieux qu’il peut, le cœur au bord des lèvres. Il faut qu’il masque sa faiblesse. Sans perdre un instant, il s’interpose entre Kaïs et les gardes de son demi-frère, prêt à déchainer sa Maîtrise de Glace s’il le faut. Lorsqu’il voit le sourire malsain qui étire les lèvres sèches d’Atrée, ses poings se serrent.

— Je m’inquiétais pour toi, petit frère ! s’exclame le deuxième fils, d’un air faussement choqué. J’ai cru qu’il allait te brutaliser !

Micah plisse les yeux. N’importe quoi. Encore secoué, l’adolescent tend une main derrière lui et attrape la manche de Kaïs. Comme s’il s’ancre à la réalité par ce simple mouvement. J’ai besoin de toi.

— Tout va bien, prince Atrée, déclare-t-il le plus posément possible. Je m’entretenais juste avec l’un des invités de l’Impératrice.

Le lycéen tait volontairement le nom de Kaïs. La folie qui brille dans les yeux noirs de son demi-frère l’oblige à prendre toutes les précautions possibles. Alors que son stress rugit dans ses veines, Micah ressert sa prise sur la veste de costume du blond. Ne dis rien, je t’en prie.

— Une simple discussion ? J’ai pourtant entendu plusieurs insultes ! Et tu sais quel est le prix à payer pour un tel affront ?

La mort. La mâchoire du troisième prince se tend violemment. Il observe son aîné repousser d’un air amusé une mèche de cheveux châtain derrière son oreille pendant qu’il recherche les mots qui le feront s’éloigner de lui et de Kaïs. Son inconfort semble régaler son demi-frère qui les jauge de son regard pervers. Allez. Va-t’en !

Le lycéen sent l’adrénaline pulser dans ses oreilles. Ses pensées fusent à toute vitesse dans sa tête pendant que sa respiration s’accélère. Il va le tuer, il va le tuer, il… Soudain, Micah sent les doigts calleux de Kaïs s’emparer brièvement des siens. Deux pressions. Calme-toi, semblent-elles dire. L’adolescent inspire discrètement avant de lâcher la veste du blond. Puis, avec toute la volonté dont il est capable, il se pare de son plus beau sourire et ouvre les bras à son demi-frère :

— Mon frère ! Que de futilités ! Allons boire un verre ! s’exclame-t-il en saisissant le poignet d’Atrée pour l’attirer vers le château. On m’a dit que tu avais des goûts des plus divins !

Micah ne se formalise pas de la violence avec laquelle Atrée se dégage de sa poigne. Il brûle d’éloigner Kaïs de ce fou dangereux. Le deuxième prince est aussi imprévisible que l’Impératrice. Le jeune homme plante une dernière fois son regard glacé dans le feu de celui du blond. Pardonne-moi. Mais, quand son demi-frère se retourne une dernière fois vers son camarade, Micah échoue à cacher son angoisse.

— Je te retiens… Kaïs. On se reverra, susurre Atrée d’un ton lubrique.

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