33. Tamaris de printemps

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Cette fleur manifeste le souhait de protection.

°°°

Micah sent son angoisse s’accentuer lorsqu’il entre à nouveau dans la salle de bal. L’adolescent n’ose pas tourner la tête vers son demi-frère ; Atrée examine les possibles failles du masque serein qu’il affiche. Alors, le bouclé sourit poliment à chaque invité avant d’accompagner le prince vers un domestique au plateau bien chargé. Si le deuxième fils rafle brusquement un verre de champagne, Micah stabilise discrètement le serviteur qui ne s’attendait pas à une telle violence. Après l’avoir furtivement rassuré, le lycéen presse l’employé de maison d’aller rafraîchir d’autres invités.

— Regarde-le avec son air mièvre, siffle Atrée en pointant la chevelure châtain de son autre frère. Quel imbécile. Il ne montera jamais sur le trône.

Le jeune homme observe le prince Thieste rire aux éclats avec ses camarades de promotion. Au moins, il a l’air heureux.

Tandis qu’un noble vient aborder son désagréable demi-frère - Enki soit loué -, Micah en profite pour s’éclipser. Il fend la foule d’un pas qui se veut confiant, n’hésitant pas à distribuer de faux sourires à qui en veut. Pourtant, malgré son expression radieuse, le prince a envie de hurler. Il doit se contenir pour ne pas courir retrouver Kaïs dans les jardins. La déception et la douleur qui brillaient dans les yeux du blond lui déchire encore la poitrine. Ne t’attire pas d’autres ennuis, Kaïs. Essaye de rester calme. Micah réprime un soupir amusé à cette pensée. Le blond n’est jamais tranquille. C’est une panthère sauvage constamment aux aguets.

Soudain, une main entoure son poignet droit. Prêt à décliner poliment l’invitation à danser, Micah se tourne vers la personne qui ose le toucher. Son masque se brise quand il se noie dans le regard gris de Léana. Bien sûr que tu es là. La douceur de son visage lui permet, pendant un instant, de surmonter l’énorme pression qui affaisse ses épaules. J’espère que tu me pardonneras.

Les doigts de la jeune femme se détachent de sa peau et le prince brûle de les en empêcher. Il y tant de choses que j’aimerais faire. Prendre Léana et Kaïs dans ses bras, crier toute la frustration enfermée dans son corps, renier son héritage… Sa situation le lui interdit. Alors, Micah fait ce que l’aristocratie de l’Empire attend de lui. Il sourit à son invitée en cachant ses émotions. Ne pas être lui-même devant la jeune femme lui fend le cœur. Il n’a pourtant pas le choix. Tu n’es pas en sécurité ici. Surtout pas avec moi.

— Micah, murmure-t-elle discrètement. Kaïs… Il te cherche. Il est parti en trombe il y a une demi-heure.

— Je sais, je l’ai vu.

Son ton glacial la fait reculer d’un pas. Je suis observé. On pourrait te prendre pour cible. Le masque du prince commence à se fissurer devant l’incompréhension de son amie. Micah remarque qu’elle resserre sa prise sur son unique béquille pendant que son autre main agrippe le tissu de sa tenue émeraude. Je ne peux pas faire les mêmes erreurs qu’avec Kaïs.

— Tu sais, je ne t’en veux pas de ne pas nous l’avoir dit. Ça ne change pas la façon dont je te vois.

— Ça devrait, Léana. Je…

Micah comprend rapidement que malgré tous ses efforts, il est incapable de supporter la peine qui s’inscrit sur les traits de la lycéenne. Malgré ça, il sait qu’il doit s’éloigner de Léana avant que les invités ne commencent à s’intéresser à elle par pure jalousie. Si la pénombre des jardins a facilité sa discussion avec Kaïs, dans la salle de bal, Micah doit redoubler de prudence. Son regard cobalt se fixe naturellement sur les yeux cendres de la jeune femme. Quelques secondes s’écoulent. Plus il nage dans ce gris profond, plus son masque se désagrège.

— Léana, il faut que…

Les mots appropriés lui échappent. Les phrases qui tournent dans sa bouche ont un goût amer. Aucune ne sont satisfaisantes. Quels que soient les termes qu’il emploiera, Micah la blessera. Il en est certain. Sauf si…

Le prince se penche à l’oreille de la rousse, conscient de prendre des risques. Je t’ai promis que tu pouvais me faire confiance. Je ne trahirai pas ma promesse. Ses lèvres effleurent presque la peau de son amie :

— Si tu restes à mes côtés, tu te mets en danger, murmure-t-il rapidement. Ces gens sont dangereux, crois-moi. Ils feront tout pour s’attirer les faveurs d’un prince ou, par extension, de l’Impératrice. Je…

Micah hésite. Chaque seconde passée près de Léana fait d’elle une cible. Après cette entrevue, il lui sera impossible de la revoir de la soirée. Pour ne pas éveiller les soupçons ou attiser la convoitise, il sera obligé de converser avec d’autres jeunes gens. Il devra prétendre apprécier leur conversation pendant que ses pensées s’envoleront vers elle et Kaïs. Alors, par égoïsme, l’adolescent se permet un dernier moment avec Léana :

— Je veux rester la personne que tu as appris à connaître durant ces premiers mois. Être prince m’oblige à m’inventer un alter ego que je ne peux maintenir longtemps face à toi ou Kaïs. Parce que vous… m’aidez à rester sain d’esprit devant toute cette folie. Alors mettez-vous en sécurité : éloignez-vous de moi.

L’adolescent se redresse. Son regard de glace analyse le visage de la rousse, à la recherche de l’acceptation qui le libérerait un moment de sa peur de la voir blessée. Lorsqu’elle hoche la tête d’un air entendu, Micah se sent un peu plus léger. Ses yeux suivent sa silhouette se faufiler à travers la foule et le lycéen inspire profondément. Son masque se referme sur l’inquiétude de son visage pendant qu’il affiche cet air épanoui qui semble tant plaire. À moi de vous protéger.

La soirée se déroule sans autre accroc. Micah s’ennuie à mourir sur toute la longueur mais jamais sa façade de bonne humeur ne s’écroule. Il rit faussement aux traits d’humour de futurs prétendants et complimente sans y croire celles qui se voient déjà princesses de l’Empire. C’est le jeu. Il doit se montrer accessible, charmant et heureux de servir l’Impératrice. En somme : Parfait.

Lorsque les normes sociales l’autorisent à se retirer dans ses quartiers, Micah lâche un soupir de satisfaction. Le plus dur est derrière lui. Il congédie les domestiques qui s’affairent à préparer la suite princière pour la nuit et ferme lui-même les lourdes portes derrière eux. Il s’assoit sur les draps de soie tout en déboutonnant sa veste de costume. Si l’allègement de la pression soulage ses épaules douloureuses, sa fatigue l’anéantit. Trop éreinté pour réfléchir, Micah se douchera mécaniquement en se laissant bercer par la musique de son téléphone.

Une fois prêt pour une courte nuit sans rêve, l’adolescent prend le temps d’ouvrir sa messagerie.

Sucre Roux : On est partis sans problèmes. Tu vas bien ?

Micah soupire de soulagement. Il clique sur la vidéo que Léana lui a envoyé et sourit devant les grands yeux du petit chat.

Reine des neiges : Fatigué. J’ai envie de fuir ce Palais.

Sucre Roux : C’est le stress qui s’en va. Ça va aller, promis.

Sucre Roux : Tu reviens au lycée lundi ?

Reine des neiges : Bien sûr ! On a une dissertation de philo à finir !

Sucre Roux : Me parle pas de ce cauchemar !

Sucre Roux : Je vais éteindre, Iris veut dormir ! Bonne nuit !

Reine des neiges : Bonne nuit, Léana.

Le prince cache un bâillement derrière sa main avant d’essuyer les larmes de fatigue qui coulent involontairement sur ses joues. Son portable vibre deux fois et Micah ne perd pas une seconde pour ouvrir les messages de Kaïs.

Malpoli éruptif : J’me suis fait engueuler par face de lune.

Malpoli éruptif : J’dois te dire que j’suis désolé de t’avoir gueulé dessus.

Malpoli éruptif : Mais j’peux pas te promettre que ça se reproduira pas. Parce que des trucs comme ça, des trucs lourds pour ton mental, j’veux le savoir. Y a pas de question de pudeur ou quoi. Si l’un d’entre nous trois est en danger, j’veux avoir une longueur d’avance.

Les lèvres de Micah se mettent à trembler et l’adolescent inspire un souffle tremblant. Ses doigts hésitent au-dessus du clavier pendant qu’un sourire timide orne son visage.

Banquise fumeuse : Je vais faire des efforts.

Malpoli éruptif a changé Banquise fumeuse en Princesse givrée

Malpoli éruptif : Bonne nuit, Cendrillon.

Princesse givrée : Kaïs…

Princesse givrée : … Je te déteste.

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