Vox (2)

7 minutes de lecture

Vox a un pouvoir immense dans le simple fait de contrôler la production des humanoïdes. C’est là l’essentiel de son héritage légué par son père qui le tenait lui-même de son propre père. Ce dernier a développé en 2050 la politique de l’asservissement technologique. Le principe est simplement de remplacer en tout la charge organisationnelle incombant aux humains pour la transférer sur des humanoïdes pilotés par l’IA suprême. Celle-ci était à présent suffisamment bien développée pour gérer en autonomie le monde Gamma et transférer des ordres aux humanoïdes pour faire de la terre, l’Eden originel.

Ça, en revanche, c’est bien l’idée de Vox. Son père et son grand père, eux, se sont contentés de libérer l’homme de sa contrainte existentielle qui se nommait alors travail. Vox a vite compris que cette entreprise générait des résultats extrêmement rapides sur l’évolution naturelle de l’espèce humaine. Tandis que l’IA emmagasinait des milliards de données, elle substituait progressivement les tâches dévolues aux hommes en les ordonnant aux humanoïdes. Ceux-ci les effectuaient avec plus de minutie, de précision et de rapidité. Les produits et les services en furent décuplés et les principes économiques totalement révolutionnés. De sorte qu'aujourd'hui le paradoxe suprême tient dans l'idée qu'au consummérisme débridé qui marqua les années du début du siècle, succède depuis près de quarante ans une période où les humains s'enfonçant dans l'ère de la Bêtise (entendre par là une déflation cognitive spéctaculaire), se désintéressent absolument de tout. Ainsi Vox contemple la progression de l'expèce humaine retournant vers ce qu'il imagine qu'elle fût à son origine. Un être dénué de savoir et jouissant de plaisirs simples et naturels. Nus et béats, s'émerveillant à la moindre bise ou au moindre rayon de soleil effleurant leur peau. Ainsi les humanoïdes continuent-ils à produire mais uniquement pour subvenir aux besoins primaires de leurs maîtres abêtisés. Ils cultivent, élèvent, transforment et acheminent. Ils construisent aussi et continuent à produire, développer et entretenir les divers moyens de locomotions, tous mûs par la force mécanique des jambes et bras inépuisables et formidablement puissants d'humanoïdes ou l'énergie solaire.

Vox à présent est assis à son bureau. Il consulte les dernières informations de Gamma.

Est-il pressé ? Est-ce la demande de sa femme qui le préoccupe ? Il navigue distraitement entre les nombreuses fenêtres du panneau de contrôle. Il voit bien quelques alertes mais n’y prête guère attention. Pourtant elles sont inhabituelles, plus nombreuses et surtout relativement diversifiées sans aucun lien logique entre elles. Peu importe, Vox n’est manifestement pas concentré . C’est ennuyeux, car si l’IA a acquis une forme d’autonomie lui permettant de prendre des décisions nécessaires à l’équilibre mondiale, un certain nombre d’ordres nécessite encore des arbitrages humains pour garantir une stabilité sur des données géopolitiques, écologiques, économiques et biologiques. Ce sont les principaux domaines où la politique a encore sa raison d’être. Des décisions humaines (toutefois très largement influencées par les données de l’IA) sont encore indispensables pour opérer des choix. C’est la raison d’être du conseil, composé essentiellement d’hommes issus de différentes dynasties ayant enracinées leur pouvoir au début des années 2030. Dans ses grands contours, la répartition territoriale de ces « gouvernements » est sensiblement identique à celle en cours à cette époque. Vox traite donc des affaires essentielles du monde avec l’Europe, l’Asie, l’Afrique et l’Océanie. En 2048 fut ratifié par l’ensemble de ces puissants, les accords de Clipperton. Ils répartissent entre eux les principales décisions dans des domaines stratégiques qui leur sont propres. Ces domaines sont toutefois interdépendants de sortes qu’aucun des puissants ne puisse avoir un avantage sur les autres ou prendre une décision qui pourrait se retourner contre lui.

Vox a ainsi hérité de la production et donc de la programmation des humanoïdes. Si ces concentrés de technologies en constante évolution sont avant tout issus de l’IA elle-même, Vox a cependant la possibilité d’orienter certains programmes. Ces décisions, ainsi que celles proposées par les autres membres du conseil s’inscrivent dans la liste des résolutions du conseil une fois que les questions posées par l’IA sont réglées.

Parmi les orientations proposées, Vox a souhaité uniformiser l’apparence des humains en agissant sur le programme de procréation. C’est ainsi que sur tout le continent Américain les hommes et les femmes sont bruns aux yeux bleus.

Les yeux fixés sur l’écran mais la pensée divaguant entre sa femme et Mars, Vox ne voit toujours pas les signaux de plus en plus alarmants qui s’éclairent les uns après les autres. Au contraire il décide de se lever et se diriger vers la pièce essentielle de son empire. Entre la porte d’entrée dans le bureau et celle donnant sur la chambre, existe un autre passage. Camouflée dans le mur en chêne clair, sa présence est trahie par la seule inscription incrustée dans la matière : « scienta et potentia ». Il se poste devant la phrase et de son index droit exerce une pression sur les lettres T.A.N.E.T.I.O.S. Ce terme lui a été suggérée par l’IA pour désigner l’état d’équilibre parfait entre connaissance et domination du monde réel. La porte coulisse dans la cloison. Dès que Vox a franchi le seuil, elle se referme automatiquement. A aucun moment, quelles qu’en soient les circonstances, cette porte ne demeure ouverte. Un complexe réseau de caméras et micros cachés dans le bureau empêchera la moindre ouverture si jamais une présence autre que celle du maître des lieux est détectée. Ainsi, seul Vox est autorisé à pénétrer dans cet antre.

La Vox Tower est haute d’un peu plus de six cents mètres et possède cent quatre-vingt étages. De forme rectangulaire avec une base de soixante mètres sur quatre-vingt, elle est la plus imposante de la ville. Elle possède dix étages réservés au stationnement des drones. Chacun de ces étages est desservi par cinq ascenseurs permettant d’aller vers les étages supérieurs ou inférieurs jusqu’au prochain parking. Quatre ascenseurs désservent l’ensemble de la tour étage par étage. Constituée essentiellement de bureaux où s’activent jour et nuit des humanoïdes d’affaires, la tour possède une étrangeté architecturale. Elle est en effet divisée en deux dans les deux tiers de sa largeur de sorte à réserver sur ce qu’on pourrait appeler l’arrière si on se réfère à l’immense porte du hall d’accueil, un espace de vingt mètres sur quatre-vingt, totalement inaccessible sauf au dernier étage par la porte « scienta et potentia ».

Vox entre donc dans un lieu de cent soixante mètres carrés sur cent quatre-vingt étages. Une surface, totalement inaccessible pour toute autre personne, de vingt-huit milles mètre carrés desservi par un seul ascenseur. Sur sa droite, aussitôt introduit dans son antre, il ouvre une nouvelle pièce dans laquelle est exposée sur plusieurs mètres linéaires et étages, une multitude de costumes et habits de tout âge. Cette collection regroupe la quasi intégralité des modèles de vêtements ayant été confectionnés dans le monde et dans le temps. C’est en dandy du XIXème, tel qu’on aurait pu le croiser dans les chics quartiers parisiens qu’il porte aujourd’hui son dévolu. C’est ainsi qu’il se vêt d’un somptueux costume trois pièces en laine, idéalement ajusté sur une chemise en lin assortie de magnifiques boutons de manchettes en or. Il met un soin particulier à choisir une cravate en soie qu’il noue avec dextérité. Puis il chausse de belles bottines parfaitement cirées pour saisir enfin un haut de forme en soie noir qu’il porte avec désinvolture, légèrement incliné. D’un geste maîtrisé, il fait sauter d'une main à l'autre une lourde canne au pommeau en ivoire, jette un œil à une montre à gousset en or puis enfile des gants en cuir fin et blanc, ajuste un monocle et se dirige vers l’ascenseur.

L’écran de commande de cet ascenseur est une sorte de sommaire. Chaque étage renferme une collection de livres, disques, vidéos, stockages de données en tout genre, objets désuets, photographies, ustensiles, technologies de tout ordre, vêtements, vaisselles, mobiliers…Tout ceci est classé méthodiquement selon des thématiques d’abord et une chronologie ensuite. Ainsi dix étages sont-ils consacrés à la biologie et la médecine au fil de l’histoire ou bien cinq autres à la musique et encore quarante à la littérature. Prenons juste cet exemple et considérons que Vox a réuni en cet espace les plus de deux cents millions de livres édités dans l’histoire de l’humanité en 2035, année où on estime que la version matérialisé du livre s’est achevée. Puis ce sont six étages consacrés aux communications, deux étages seulement aux supports de données depuis 1970 mais sans doute les deux étages qui concentrent le plus d’informations. Les transports, la cuisine, la mode, l’architecture, la physique, l’astronomie, l’agriculture et l’industrie, la géographie et les sciences naturelles, l’érotisme et la sexualité, les religions mais aussi dix autres étages sur la peinture et dix autres encore sur la sculpture, deux pour le cinéma ou pour les grands hommes. Enfin au rez-de-chaussée, un auditorium, salle de spectacle et un unique fauteuil en son centre. Sur scène inlassablement des humanoïdes reproduisent des millions de pièces de théâtres de toutes époques, de tous lieux et de tous genres. Ils interprètent aussi les dizaines de millions d’œuvres musicales sur des instruments multiples. Parfois même pour en mesurer toute la portée dramatique, Vox fait jouer des discours politiques, des scènes historiques comme la signature d’accords. Il prend cependant un plaisir décuplé en revisitant les plus grands défilés de mode de la grande époque parisienne. Il fait répandre alors dans l’espace de la salle les plus subtils parfums issus du génie des plus grands concepteurs de fragrances. Les humanoïdes, parfaites répliques des Twiggy, Campbell, Crawford, Evangelista, Turlington, Moss, Bündchen, Schiffer ou Iman se déhanchent lascives et suggestives parées des costumes signés Chanel, Dior, Saint Laurent, Lagerfeld, Armani, Lauren, Klein, ou Gaultier.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire nicomar ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0