Chapitre 1: D30
"Des cendres naissent les brûlures, et de ces brûlures naissent les héros..."
Queen 15/16
Mon médaillon dans la main gauche, les yeux dans le vide, les paroles de jadis se perdent dans mon esprit endolori, encore en rééducation.
Le braillement, semblable à celui d’un enfant, me fait mal au crâne.
Des yeux luisants, collés au plafond, bondissent sur moi.
La gueule d’un Giga-Khaj frôle mes cheveux.
Un défi qui pourrait faire trembler les plus grands aventuriers.
Il s’écrase dans le plancher, juste derrière moi.
Son crâne éclate contre le sol : une bouillie de couleurs bucoliques, ses pattes arrière bougent dans un spasme.
Je range mon médaillon. Il est temps de prêcher la bonne parole à coups de sacrifices humains. Après tout, j’aime mon prochain.
— Qui ne dit mot a perdu sa foi.
Une lumière sainte apparaît dans le creux de mes doigts. Chaude. Bienfaitrice. Quelle douce ironie.
Je la rapproche des murs. Des inscriptions marquées de vermeil m’interpellent.
Elle... elle me rappelle quelque chose... mais quoi ?
Un soupir. Où sont passées les bêtes sauvages qui décimaient les villages ?
Les guerres qui transformaient les ruisseaux en torrents de chair et de sang ?
La peur de mourir dans les ruines d’anciens [...] ?
Le bon vieux temps.
La misère occupe les esprits.
Aujourd’hui, nous avons oublié et perdu les fragments de notre passé.
Les bruits de mes pas réveillent les cloportes encore vivants dans cette bâtisse.
D’un seul mouvement de poignée, les corps valsent. Ils couinent. Je vais les laisser souffrir un peu.
Tranchés en deux par la finesse de la corde attachée à mon bras.
Les chaînons roulent le long du bois craquelé, couvert de globules rouges, des traînées et des traînées pourpres coulant sur le sol, imbibant les racines du lieu.
Des Yuops sont solidement attachés à une porte. C’est bon signe.
Ces bestioles sont attirées par la magie sombre.
Le chien qui me suit est aussi utile que ces Giga-Khaj.
Une simple pichenette sur l’extrémité du sceau de protection, et la barrière s’effondre instantanément.
Le Q.G. de cette larve est si bien gardé qu’un simple coup de poing détruit sa dernière défense. Quel incroyable défi !
Une lueur charbon s’échappe d’un livre. Assis en tailleur, le diablomerde fait des incantations d’hérétique.
D’un coup mou, je le décapite. Ses os craquent sans un bruit.
C’est d’une facilité déconcertante.
La tête tombe et se fige dans un sourire macabre, comme s’il avait réussi à me pisser dans les bottes.
Les orbites gluantes, remplies de malheur, de violence et de plaisir interdit.
Le papier jauni s’éteint froidement.
Je me penche sur l’antique grimoire.
L’écriture est dans un vieux dialecte hideux, primitif.
Ça n’a plus d’importance : tout doit être purifié.
Un murmure traverse la pièce avant de disparaître dans les murs.
Ce lieu est corrompu. La rédemption se fait dans les flammes du jugement.
Je jette ma lueur. Elle tombe et s’éclate en mille morceaux.
Le papier peint, les bibelots, les lits, la femme enchaînée et violée — encore vivante, sûrement —, la bibliothèque, tous les meubles disparaissent dans un torrent de pétales polychromes.
Le bouquet rouge vif dévore l’âme de la bâtisse.
Tout part en fumée.
Bientôt, des cendres renaîtront des plaies sanglantes.
Un cri vient de l’intérieur, comme si toute la bâtisse hurlait sa souffrance. Une mélodie funéraire.
Maintenant que cet endroit crame, il m’est familier. Aucune importance… c’est du passé.
Oui, du passé. Ne parlons pas du passé.
L’odeur de la chair bouillie embaume mes vêtements et s’imprègne dans les tissus.
Elle est tenace. Elle revient toujours.
Malgré ma confession, mon souhait n’est jamais entendu :
celui de ne plus sentir ce parfum nauséabond.
Le toit finit par céder dans un craquement sourd, aveugle, et muet.
Je réarrange mes vêtements avec indifférence. Tout ceci n’est qu’un spectacle de marionnettes.
Pour effrayer les mioches tout au plus.
Même gamine, cela me faisait rire.
On ne parle pas du passé.
Je ressors mon collier rouillé et l’enroule entre mes mains.
"- [...] Vous a abandonnés. Pas de [...] pas de pardon.
- Je peux vous poser une question ?
- Si je ne suis pas obligée d’y répondre.
- Vous allez bien ?"
Je me retourne vers ce chien à la bouche baveuse, bien gras et bien habillé en gentil noble du coin, puant les fleurs féminines, et je lui fais mon plus beau sourire.
"- Oui. Tout va bien."
Je ne manquerai pas de te lacérer les testicules la prochaine fois.
Je cherche quelque chose dans mon sac.
"- Ah, j’oubliais. Tenez, c’est pour vous. Un cadeau."
La tête du pisseur de bottes coule entre ses doigts.
J’espère qu’il apprécie mon attention.
Il la lâche, complètement tétanisé.
Le sang a totalement maculé sa veste de velours aux motifs abstraits.
Cœur abject, cette hémoglobine lavera ton corps de la sueur grasse qui t’habite.
Tu n’es que trouble et mensonge.
Je shoote dans le ballot de chair, l’envoyant dans le brasier.
Ça m’amusait.
Un caillou brillant tombe du ciel.
La pluie se fait proche.
Je devrais m’en aller.
Un détail me revient.
C’était au milieu de la pièce, là, sous mes yeux : une offrande pour un D.
Lequel, déjà ? Réfléchissons.
Le 30.
Oui, c’est ça...
Comment un pochtron aurait-il pu en entendre parler ?
Une telle magie est enfouie depuis la Première Guerre, de toute manière.
Tout ce savoir a été enterré dans un caveau.
Mais il suffit de creuser un peu pour découvrir qu’il n’est pas parti en poussière.
Profaner les tombes. Déterrer les oubliés. Prier les idoles perdues.
Tout ça, je le fais encore.
Dans l’espoir de retrouver ce que j’ai détruit.
Au fond.
Tout au fond.
La pluie froide me gelait jusqu’aux tripes.
Une nappe de neige.
Les larmes et les sanglots roulaient le long de mon sein.
Je n’étais pas encore rétablie.
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