Chapitre 2: Fear and Hunger

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La terre avait trop bu. Elle vomissait de la fange, noyée sous un flot incessant. La pluie déformait le paysage du petit hameau.

Les arbres, les maisons, les habitants... tout semblait las de cette vie de misère. La lumière s'était éteinte ; l'espoir aussi.

Les ténèbres, la famine, la désolation arrivaient. Sournoisement. Silencieusement.

Les villageois étaient trop enracinés, trop liés à cette terre gluante et hostile pour fuir. Prisonniers d'un sol qui ne voulait même pas d'eux.

Pas Shara. Elle, c'était différent.

Elle était peut-être restée trop longtemps. Sa présence commençait à faire parler dans les hameaux voisins. Ce n'était plus qu'une question de semaines - ou de jours - avant que des torches n'illuminent sa porte.

Ils l'avaient toujours regardée avec mépris ou crainte. Rien n'avait changé.

Elle partit sans un mot, sans un adieu, un matin de brume. Elle laissa quelques vivres dans sa cabane, avec des instructions simples, des recettes que même les idiots du village sauraient suivre.

Elle traversa les rues désertes, capuche rabattue, bâton à la main, sac chargé de ferraille rouillée et de bocaux gluants. Son regard glissa sur les murs, les portes closes, les regards bas. Indifférente.

- Dame Shara ! Dame Shara !

Une voix courait derrière elle.

Elle ne se retourna pas.

- Vous... vous partez ? demanda une voix essoufflée.

Elle reconnut Elzéar. Le vieux à la barbe blanche.

- Pourquoi ? Quelqu'un est blessé ?

- Non. Mais... c'est si soudain. Il y a une raison ?

Shara le fixa d'un regard las. Son corbeau poussa un croassement rauque.

- Je n'ai plus de compte à vous rendre, Elzéar. Rentrez chez vous. Rationnez. L'hiver sera rude, et vos récoltes misérables.

- Justement... j'aimerais que vous preniez ma fille avec vous.

Shara s'arrêta net.

- Je vous demande pardon ? Je dois mal entendre.

- Elle... Elle a de la magie, non ? Vous l'avez dit vous-même. L'éther... coule dans ses veines. Vous seule pouvez l'aider.

- Cette gamine ne sait pas tenir sa langue... grogna-t-elle.

- Ma femme et moi n'avons ni l'or, ni le pain pour trois. Offrez-lui un avenir.

- Je ne suis pas mage. Je suis botaniste. Donnez-la à un de vos paysans crétins et mariez-la, voilà tout.

- Je vous en supplie. Quel serait votre prix ?

Il posa une main sur son épaule osseuse.

- Mon prix ? ricana-t-elle en montrant ses dents noires. Votre coq. Le diadème de votre femme. Votre farine, vos œufs, vos pièces d'or. Tout.

Il se retourna vers sa femme, sur le seuil. Elle acquiesça d'un signe de tête.

- C'est d'accord. Prenez ce que vous voulez.

Shara, l'espace d'un instant, perdit son air sarcastique habituel, avant de reprendre sa posture distante.
- Qu'elle prépare ses affaires, ordonna-t-elle, debout à l'entrée.

- S'il vous plaît, ne restez pas dehors, encouragea Eugénie en lui ouvrant la porte.

C'était la première fois qu'ils l'accueillaient comme une invitée, et non comme une intruse ou un médecin. Ils essayaient maladroitement d'être avenants.

Shara fouilla les placards à la recherche d'objets de valeur : plantes, nourriture, casseroles...
Son regard s'arrêta sur un livre rabougri et poussiéreux. Elle le saisit, souffla sur la couverture dans un nuage gris.
Un vieux livre de recettes d'un autre temps, illustré de viandes en sauce, de poissons frais, de légumes exotiques.
Ils devaient rêver de pouvoir se payer de tels plats. Peut-être même de vivre ailleurs...
Ridicule. songea Shara en le glissant dans son sac, avec quelques vivres et babioles inutiles qu'elle prit pour la forme.

Pendant ce temps, Elise rassembla ses affaires dans un drap sale, noué comme un baluchon.
Il n'y avait pas grand-chose : quelques vêtements, une poignée de pièces, un vieux lapin en peluche à l'œil énucléé et au bras pendant.
Toute sa vie. Tous ses souvenirs.

Shara ressortit après avoir pris ce qu'elle voulait, et laissa un dernier instant aux parents pour dire adieu.

Eugénie embrassa sa fille sur le front et la serra fort dans ses bras, une dernière fois.
- Prends soin de toi, d'accord ?

Elise serra les dents. Elle ne pleura pas.

Shara, déjà sur la route, n'attendit pas. Elle ne dit pas un mot.
Elle n'offrit ni regard, ni geste.

- Merci... murmura Elzéar, la voix pleine d'émotion.

La mégère serra son bâton.

« J'aurais dû en prendre plus... »

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