Chapitre 4: She's just a child
De nombreux jours s'étaient écoulés dans cette foutue forêt. Le dos d'Élise la lançait à chaque pas, ses pieds ne faisaient plus vraiment la différence entre la boue et sa peau. Elle ne sentait plus grand-chose, à part le poids de son baluchon et le silence entêtant de Shara.
Le ciel avait décidé d'être capricieux, encore aujourd'hui. Il crachait sa pluie fine et froide depuis l'aube, et le feu refusait obstinément de prendre. Comme la veille. Et l'avant-veille. Comme tous les jours depuis ce maudit départ.
Et Shara... Shara était toujours aussi fermée, aussi sèche. Elle parlait peu, dormait peu, mangeait vite. Elle avançait comme un outil.
Depuis combien de temps n'avait t'il pas manger un repas chaud à cause de ce feu que ne prenait pas ?
Élise souffrait de crampe d'estomac depuis plusieurs jours, son corps n'avait pas l'habitude de manger de la nourriture aussi mauvaise, acide, dur et parfois un poil toxique.
Elle le cachait comme elle le pouvait à Shara, elle ne voulait pas paraître comme un fardeau, un poids, bien que ces regards, son attente lorsqu'elle peinait à la suivre trahissait une certaine déception.
Élise sentait la colère remonter. Pas contre Shara exactement. Contre tout. La pluie, la boue, la solitude, la faim.
Après plusieurs heures à essayer de faire jaillir quelques braises sans succès Shara abandonna une fois de plus, poussant un soupire fatigué, ses doigts étaient couverts d'entailles et de sang à force de marteler les pierres ensembles, bien qu'elle ne veuille l'admettre, elle souffrait aussi des mêmes que sa protégé, mais elle avait appris à le taire, le retenir, le contenir en un simple soupir las.
Une fois encore elles mangeraient fois ce soir.
La mégère se leva pour chercher leurs maigres repas dans son sac, le dos tournée à Élise.
Une pensée lui vint en tête, Shara avait toujours refusé qu'elle fasse le feu et cette fois si s'en était trop, l'idée de dormir encore une fois dans le froid mordant de l'autonome devenait insupportable, elle voulait de nouveau sentir cette chaleur, ce doux parfum de fumé et de viande chaude.
Elle ne demandait finalement qu'une étincelle.
Un espoir, un réconfort
Le main d'Élise bougère par réflexe, se penchant vers le cercle de pierre sans qu'elle ne le conscientise.
Sa voix se tordait dans sa gorge, sa parole était étouffé sous la fatigué et la douleur, ses lèvres craquelaient en formant ce mot comme une prière.
- Ignis.
Une lumière jaillit aussitôt de ses doigts, blanche, aveuglante.
Élise ferma les yeux, soulagée - enfin, de la chaleur. Mais cet espoir fut de courte durée.
La flamme, d'abord douce, se transforma en un jet furieux, rouge et brûlant. Elle sentit sa peau grésiller, la chair de ses phalanges cuire lentement, fondre presque. Elle voulut crier, mais rien ne sortit. Sa magie n'obéissait plus.
Quelque chose d'autre était aux commandes.
Des pensées étrangères, des chuchotements indistincts, tourbillonnaient dans son esprit. Son corps entier se raidit, ses forces vidées, aspirées dans un vœu qu'elle n'avait pas su formuler, dans un ordre que la magie prenait au pied de la lettre.
Chaleur. À tout prix.
Les flammes débordèrent. Le cercle de pierres éclata. Le feu se propagea à la mousse, aux sacs, aux tissus. Et bientôt, c'était son corps tout entier qui brûlait - non pas en surface, mais de l'intérieur, répondant à une volonté devenue incontrôlable.
Quand Shara se retourna, il était presque trop tard.
Le regard d'Élise n'était plus le sien. Ses yeux étaient écarquillés, mais vides. Son visage déformé par la peur. La magie - brute, sauvage, sans filtre - s'était retournée contre elle. Elle irradiait de chaque pore de sa peau.
- Putain de gamine... gronda Shara.
Elle attrapa un vieux rouleau à la hâte, hurlant les mots d'activation.
Le parchemin se dissout dans une gerbe de lumière bleutée. Une sphère d'eau gigantesque se forma au-dessus du camp, grossissant jusqu'à faire ployer les branches. Puis elle s'écrasa sur elles comme une vague tombée du ciel.
Le choc fut brutal. Tout fut emporté dans un fracas humide.
La magie d'Élise se brisa d'un coup sec, arrachée comme une dent - le contrecoup psychique lui vrilla le crâne.
Ce n'était pas comme ça que ça devait se passer.
Élise gisait au sol, trempée, suffocante, recrachant l'eau qui avait envahi ses poumons.
Shara la saisit par le col, la hissa à bout de bras. Son visage n'était plus qu'un masque de rage.
- Qu'est-ce qui t'a pris, imbécile ?! Tu crois que c'est un jouet ?! Tu aurais tout fait brûler ! Tu aurais pu mourir, cramée vive !
- Je... je voulais juste...
La gifle partit.
Un claquement sec et autoritaire.
Plus fort que tout ce qu'Élise avait subi jusque-là.
- La ferme ! Tu la fermes ! hurla Shara, le poing encore tremblant.
Élise éclata en sanglots. Cette fois, elle ne pouvait plus retenir. Tout céda.
Le froid, la faim, l'humiliation, l'incompréhension, la solitude.
Elle ne voulait pas cette vie.
Elle ne l'avait pas choisie.
Ses parents l'avaient vendue pour une promesse vide.
Et ici, il n'y avait que la colère, la peur, et ce feu qu'elle ne comprenait pas.
Elle voulut crier tout ce qu'elle ressentait. Mais le visage dur de Shara la cloua au silence.
Elle recula, tremblante, le souffle haché, les larmes noyant ses joues crasseuses.
Un silence lourd s'abattit sur le camp.
Shara, figée, regarda la fillette en larmes, puis sa propre main.
Elle se détourna.
Le feu, les sacs, les outils... tout avait été réduit en cendres ou tordu par la chaleur.
Elle serra les dents.
Parmi les débris détrempés, elle ramassa la peluche d'Élise : un lapin grotesque, à moitié calciné, éventré, dégoulinant.
- Ce n'est qu'une gamine..., souffla-t-elle, plus pour elle-même que pour quiconque.
Cette nuit-là, Élise ne trouva le sommeil que lorsque ses larmes cessèrent par épuisement.
Recroquevillée sur elle-même dans ses vêtements trempés, transie, elle n'osait plus tourner le dos à la forêt ni le visage vers Shara.
Le froid, la honte, la solitude lui mordaient la peau.
À son réveil, Shara avait disparu.
Un feu maigre crépitait faiblement dans le cercle de pierre.
Devant ses yeux, posé avec soin : son lapin.
Recousu.
Rafistolé avec des lambeaux de tissu. L'oreille remise de travers, un bouton déplacé, mais... entier.
Élise le serra contre elle, muette.
Au loin, perchée sur une branche, Shara l'observait.
Ses doigts étaient encore rougis par les piqûres d'aiguilles.
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