Chapitre 5: Candle

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Le matin ne s'était pas levé lorsque Shara ordonna de plier bagage.
La brume avait envahi la forêt, rendant leur marche encore plus lente et pénible. Élise avait l'impression de tourner en rond, de se perdre dans cette masse blanche et cotonneuse.
Elle plia son lapin avec lenteur, l'observant une dernière fois avant de le glisser dans son sac.
Elles avaient repris la marche.

Les jours s'empilaient comme du linge sale. Il y avait la pluie, le froid, la marche. Toujours. Puis le feu - ou l'absence de feu. Les maigres repas. Puis la fatigue, de plus en plus pesante, et le trop-plein de silence.
Shara parlait peu. Mais parfois, elle corrigeait : un mauvais geste, une herbe mal cueillie, un pas trop bruyant. Sans colère. Juste... laconique. Son corbeau ponctuait ses phrases d'un croassement sec.
Depuis l'incident, l'animal ne quittait plus Élise d'une semelle, comme s'il veillait sur elle pour le compte de sa maîtresse.

Élise n'osait plus poser de questions. Mais elles s'accumulaient dans sa gorge, comme des cailloux avalés de travers. Elle rêvait de comprendre. De faire. De réussir. De se faire pardonner.
Mais Shara n'enseignait rien. Elle corrigeait froidement.

Ce fut ce jour-là qu'elles trouvèrent une cascade.
Un rideau d'eau claire fendait le ciel d'un calme placide. L'endroit sentait la mousse et le fer, comme un havre de paix. Shara s'arrêta. Déposa son sac.

Cela perturba Élise. D'habitude, elles ne s'arrêtaient que pour les commodités ou lorsque les derniers rayons du soleil se faisaient engloutir par les ténèbres. Il était trop tôt. En début d'après-midi, tout au plus.
Puis enfin, elle tourna la tête :

- Ici. Ça fera l'affaire.
- Pourquoi ? hasarda Élise.
- Pour que tu apprennes à canaliser tes émotions. Je ne serai pas toujours là pour te sauver les miches.

Shara déposa une bougie à quelques mètres d'Élise, près de la cascade.

- Tu vois cette bougie ? Allume-la.
- Je ne suis pas sûre d'y arriver...
- Fais ce que je te dis, coupa Shara en posant un seau d'eau à ses pieds.

Élise ferma les yeux, puis incanta le sort maudit :

- Ignis...

Rien. Pas même l'ombre d'une étincelle. Le vide.

- Je... je n'y arrive pas, balbutia-t-elle.

La vieille femme soupira, croisant les bras :

- C'est parce que tu ne le veux pas vraiment. C'est pour ça que la magie est dangereuse. Elle répond au désir de son porteur de la façon la plus bête qui soit. Ta pensée doit être simple. Claire. Directe. Ferme les yeux, concentre-toi sur ce que tu veux faire.

Élise s'exécuta. Elle força ses pensées à s'aligner. Une seule volonté. Un seul mot.

- Ignis !

Une chaleur familière vint mordre le bout de ses doigts. Trop vite. Trop fort.
Le sort lui échappa. Encore. Tourbillonnant en un feu anarchique, un cri de chaleur et de peur mêlés.

Shara n'attendit pas. Elle balança le seau d'eau d'un geste sec.
La flamme s'éteignit dans un sifflement rauque.
Élise haleta, trempée, frustrée, les dents serrées.

- J'y étais presque...

Shara ne répondit pas. Elle remplissait déjà le seau.
Puis, sans même la regarder :

- Recommence.

Après un nouvel échec, et un nouveau seau d'eau, Shara soupira longuement :

- On va faire autrement.

Elle sortit de son sac une fine tige de métal, creuse en son centre, et la tendit à l'enfant détrempée :

- C'est un catalyseur. Ça t'aidera à mieux canaliser ton sort. Tu le prends dans ta main d'appui.
- Ma main d'appui ? demanda Élise, perdue.
- Celle avec laquelle tu écris, bon sang.
- Je... je sais pas écrire, avoua-t-elle.

Shara leva les yeux au ciel, exaspérée :

- Pour l'amour du ciel... ta main avec laquelle tu te torches le cul !
- Ouais, bon... excuse-moi de pas connaître tous tes termes techniques ! grogna Élise en lui arrachant le catalyseur.

Shara la fixa, bras croisés, les yeux pleins de dédain.

- C'est bon ? Je peux finir ? Ou tu comptes continuer à jouer les insolentes ?

Pas de réponse. Juste un regard buté.

- Bon. Ta main d'appui, c'est la dominante. Celle qui crée : pour écrire, couper, lancer.
L'autre, c'est la main de soutien. Elle module, elle sculpte. Elle rend le sort plus fin, plus précis.
Ta main d'appui fait. L'autre nuance. Maintenant : recommence. Et tends le bras.

Élise s'exécuta. Une flammèche misérable jaillit à peine de l'embout du catalyseur.

- Qu'est-ce que t'as pas compris ? lança Shara d'un ton glacial.
- C'est pas clair ! Tu fais que de me crier dessus ! Tu fais exprès d'être méchante avec moi ! Tu me dis toujours quoi faire, mais tu ne montres jamais rien !
-Tu me demandes d'allumer une bougie, mais toi, t'en allumes pas. - Elle lui balança un nouveau seau d'eau à la figure. - Encore.

Les yeux de Shara brillaient d'une colère contenue.

Élise, trempée, mordit sa lèvre. Elle serra le catalyseur de toutes ses forces, tendit son autre main comme Shara l'avait expliqué, et hurla :

- Ignis !

Un torrent de flammes jaillit de l'embout. Brutal. Incontrôlé.
La détonation fit sursauter Shara, qui fit un pas en arrière.
Puis tout s'éteignit d'un coup.

Il ne restait de la bougie qu'un petit tas noirci, fumant encore.

Un silence lourd retomba.

Le visage de Shara s'était figé. Plus de sarcasme. Juste... une ombre de surprise. Et un soupçon de peur.

Élise jeta le catalyseur à ses pieds. Le regard fermé. Vexé. Ses joues ruisselantes d'eau et de frustration.

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