Chapitre 13: Lost 

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Le camp s'était vidé dès l'aube.
L'assaut avait été lancé il y a quelques heures à peine, et déjà les corps s'accumulaient.
Il ne restait que quelques soldats en faction, postés aux angles du camp.

Fabius et Élise se tenaient à la lisière, à l'écart, guettant le retour des survivants.
Hector faisait des allers-retours incessants entre la ligne de front et la tente médicale, ramenant les blessés un à un. À chaque passage, son regard glissait vers son apprenti, au loin, sans jamais s'attarder.

La tente était un bain de sang.
La toile, tachée de rouge, pendait mollement sous le poids de l'humidité.
Un chaudron fumant trônait au milieu de l'espace, répandant dans l'air un parfum d'amande âcre.
Les civières s'alignaient, chargées de corps entiers ou réduits à moitié.
De l'intérieur, des cris éclataient par vagues, brisant le silence hivernal.

- Putain... ça fait mal ! hurla un soldat en se tordant.

De son ventre jaillissait un liquide épais, pâteux, qui collait à ses mains.
Le souffle court, les yeux écarquillés, il grinçait des dents pour ne pas hurler plus fort.

- Bouge pas, ordonna Shara en lui plaquant la tête contre la toile.
Elle saisit une gourde et l'aspergea d'un liquide orangé, lui noyant presque le visage.

- Vous êtes complètement malade ?! beugla le soldat en crachant, manquant de s'étouffer.

- Ta gueule. Avale.

Sans attendre, elle le noya à nouveau sous la mixture.
Puis, se redressant à demi, porta la gourde à ses lèvres, en but deux gorgées et s'essuya la bouche du revers de la manche.

Shara disparut un instant dans un coin de la tente, fouilla sur une table, puis enfonça son poing dans le ventre du blessé dans un bruit humide et gélatineux. L'homme hurla à plein poumon.

- Maintenant, t'appuies fort dessus. Jusqu'à ce que ça arrête de pisser du bide, lança la véreuse en se dirigeant vers une autre civière.

- Vous devriez être plus douce avec eux, commenta Hector en déposant un corps au sol comme on jette un sac de patates.

- J'suis pas clerc. Si vous êtes pas content, faites-le vous-même, grogna la vieille femme, toujours penchée sur un autre patient.

Hector se pencha alors sur le chaudron, intrigué. Les bulles couleur braise éclataient à la surface, projetant des éclats orangés sur la toile.
Il plongea la louche, huma longuement le liquide, fronça les sourcils.

- Hmmm... un parfum d'amande... Un calmant, je suppose ?

Shara lui arracha presque la louche des mains.

- Je boirais pas ça, si j'étais vous.

- Oh, je vous laisse faire... Les femmes ont toujours eu la main pour ce genre de mixtures. Question d'instinct, paraît-il, répondit-il avec un sourire entendu.

Shara cracha au sol.

- Si vous savez pas faire la différence entre du cyanure et du Glaireux, c'est votre problème. On voit ça en troisième année de cycle, je vous rappelle.

- Peu importe vos méthodes, tant que vous vous occupez d'eux, je saurai comment m'occuper...du reste. Coupa Hector

Il n'attendit pas la réponse. Écartant la toile d'un revers de main, il sortit dans l'air glacé du matin.

Ses flammes s'éteignirent aussitôt qu'Hector posa les yeux sur elles.
Elles semblaient étouffées par une force invisible.

Le mage applaudit lentement, en s'avançant vers eux.
Élise tremblait encore, les yeux brillants de colère, tandis que Fabius oscillait entre la peur et la stupeur.

- Je vois que vous chahutez un peu, souffla Hector avec un sourire.

Élise relâcha le col de Fabius en le repoussant d'un geste brusque.
- T'es complètement malade, espèce de folle ! cria le garçon en tapotant son vêtement, comme s'il voulait se débarrasser de la souillure de ses doigts.

- Tu as appris ça toute seule ? demanda Hector en s'interposant, ignorant complètement son apprenti.
- C'est ma grand-mère qui m'a appris, corrigea Élise en lançant un regard noir à Fabius.

Hector se planta dans son champ de vision, l'empêchant de voir les grimaces du garçon derrière lui.
- Tu pourrais le refaire pour moi ? dit-il d'une voix mielleuse.

Élise hésita.
- Je ne suis pas sûre que ma grand-mère voudrait...

- Pourquoi ? Tu as peur ?

- Non... mais elle dit que c'est dangereux de s'en servir à tout bout de champ.

Hector posa une main sur son épaule.
Un geste, et des billes de lumière dansèrent autour d'elle comme des lucioles.
- Pourtant, c'est magnifique, non ? Ne t'inquiète pas... je viens de la voir, elle m'a dit qu'elle était d'accord. Avec moi, tu peux.

Élise eut un début de sourire.
- Je peux ?
- Allez, montre-moi.

Elle tendit la main, ferma les yeux, inspira profondément.
Des étincelles jaillirent de sa paume, formant une sphère de flammes tourbillonnantes.

Hector éclata de rire, exalté.
- Fascinant... tu n'as même pas eu besoin de formuler. Tu es douée !

- Vraiment !? s'écria Élise, radieuse.
La sphère se désintégra dans l'air, se dissipant comme un souffle.

- Tu sais faire autre chose ? Demanda Hector

Son sourire s'éteignit aussitôt.
- Non... pas vraiment. Je sais rien faire d'autre.

- J'en étais sûr ! railla Fabius.

Le claquement sec d'une gifle résonna.
Fabius s'effondra au sol, une main sur la joue, les yeux pleins de larmes.

- C'est la dernière fois que tu te moques d'elle. Ai-je été clair ?

L'enfant hocha la tête, incapable d'articuler.

Hector se retourna vers Élise, radouci, presque tendre.
- Suis-moi. Il est temps que tu voies autre chose. Je vais t'apprendre de vrais sorts.

Élise resta figée un instant. Son cœur battait à tout rompre.
Hector venait de l'appeler « douée » - et jamais Shara ne l'avait fait.
Une chaleur diffuse lui montait au visage, mélange d'orgueil et de peur.

Elle jeta un coup d'œil furtif vers la tente.
La silhouette noire de sa «grand-mère» n'en sortait pas.
Son ventre se serra d'un poids étrange - honte ou soulagement, elle n'aurait su dire.

La main d'Hector, ferme sur son épaule, chassa ce doute d'un geste.
- Allons-y, dit-il.

Et Élise le suivit.

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