Chapitre 14: Wormy
Les chevaux ralentirent et s'arrêtèrent au milieu de la forêt. Hector et Fabius d'un côté, Élise et le capitaine de l'autre.
Le chevalier avait la mâchoire crispée, le regard sombre. Il finit par descendre de sa monture.
- Je continue à pied. Je dois voir ce qu'il en est au front, lâcha-t-il sèchement avant de s'éloigner entre les troncs.
Fabius lança un regard noir à Élise, mais ravala sa jalousie sans un mot.
- Bien ! Petite leçon, annonça Hector en claquant des mains.
Il ramassa un bâton et traça un cercle dans la boue humide.
- Interro surprise : qu'est-ce qui est le plus important pour un mage ?
- Le pouvoir, répondit aussitôt Fabius, gonflé de certitude.
- Non, fit Hector, amusé.
- Le contrôle ? tenta Élise.
Le mage s'immobilisa, son chapeau légèrement redressé, un sourire satisfait étirant ses lèvres.
- Réponse pertinente. Très intelligente, même. Mais non.
Fabius croisa les bras, feignant l'indifférence, mais ses joues rouges le trahissaient.
- La bonne réponse, reprit Hector, c'est la protection. Vous valez plus qu'un soldat. Vous êtes des cibles prioritaires. Alors, sur un champ de bataille...
- Je reconnais, c'est un géosort ! s'exclama Élise, incapable de contenir son enthousiasme.
Hector se retourna vers elle, sourire carnassier.
- Correct. Je ne m'attendais pas à ce que ta grand-mère t'enseigne ça.
Il fit tournoyer son bâton entre ses doigts.
- Dis-moi, peux-tu me dessiner celui d'Ignis ? Voyons si ta théorie est aussi brillante que ta pratique.
Élise s'agenouilla sans hésiter. Ses doigts serrèrent le bâton, et bientôt des lignes prirent forme dans la boue. Chaque trait vibrait avec une clarté instinctive : l'éther dansait dans son crâne, résonnant à ses gestes.
- Ça veut rien dire, ton truc, c'est complètement bidon, se moqua Fabius.
- Non ! C'est comme ça que je l'ai appris ! protesta Élise, piquée au vif.
Hector examina le tracé, la pointe de son bâton suivant les courbes. Ses sourcils se haussèrent.
- Fascinant... souffla-t-il enfin.
- Il y a un problème ? murmura Élise, la gorge serrée.
- Tout le contraire. Ce tracé est plus complexe, mais il respire la stabilité. Une harmonie rare... C'est de la belle géométrie. Dire que tu as réussi ça à ton âge... Tu es un prodige.
- Ce n'est pas moi qui l'ai inventé, murmura Élise.
Hector releva brusquement la tête.
- Comment ça ?
- C'est... c'est Shara. Ma grand-mère.
Un silence s'abattit. Le bâton resta suspendu.
- Shara ? répéta Hector, incrédule.
Élise hocha la tête.
Le rire sec d'Hector éclata, sans chaleur.
- Non. Impossible.
- Pourquoi ?
- Parce que Shara est une ratée, cracha-t-il. Une véreuse. Pourrie jusqu'au trognon.
Fabius ricana.
- Même moi, je l'avais vu !
- Tu ne l'as jamais vue lancer un sort, hein ? insista Hector, ses yeux perçant Élise.
- Si... enfin... elle faisait revenir des choses, comme si elles redevenaient comme avant...
Hector écarta son manteau avec agacement.
- Ce n'est pas de la magie. C'est une hérésie. Une aberration. Les véreux ne lancent pas de sorts. Leur éther est instable, nauséabond.
Il eut un sourire froid.
- Les dieux soient loués qu'elle ne t'ait pas contaminée. Tu mérites mieux. Et si tu restes avec elle, tu vas tout gâcher.
Puis, comme si rien n'était, il reprit :
Sa voix s'adoucit à peine, reprenant un ton professoral :
- C'est pour ça que je t'enseigne ce que tu dois savoir. Pour que tu survives là où d'autres s'effondrent. Et ça commence par ceci.
D'un geste sec, il effaça le cercle imparfait tracé par Élise.
- Regarde bien. Le premier trait forme un carré : la base. Sans lui, ta barrière s'effondre. Ensuite, on l'aère avec des courbes : elles canalisent la pression. Chaque ligne a un sens. Une erreur, et la mort passe. C'est clair ?
- Oui... je crois, bégaya Élise, encore tremblante.
Fabius avait les yeux rivés sur le tracé, concentré comme jamais.
- Quand vous avez besoin de vous protéger, prononcez d'une voix claire Praesidium. Pendant quelques secondes, tous les projectiles physiques seront repoussés. Plus votre sort sera maîtrisé, plus il durera longtemps et moins il puiserait dans votre éther.
Hector attendit qu'ils acquiescent avant d'effacer le tracé d'un revers du bâton.
- Bien. Ça, c'était la théorie. Maintenant, la pratique, annonça-t-il avec un sourire froid, en s'avançant dans la forêt.
Le champ de bataille s'étalait en contrebas comme une bouillie décharnée, une masse grouillante où chair et fer se mêlaient sans répit. Les deux armées s'usaient l'une contre l'autre, labourant la plaine de sang et de cris. Les éclats des lances et des casques brillaient par intermittence sous la lumière crue du jour, comme des écailles sur un monstre agonisant.
Hector gravit la colline d'un pas tranquille, ses bottes s'enfonçant dans l'humus détrempé. À ses côtés, Élise et Fabius peinaient à suivre. Plus haut, le capitaine les attendait, une longue-vue à la main. Son visage était tendu, sa gorge nouée par une inquiétude palpable.
- Quelle est la situation ? demanda Hector en tendant la main.
Le capitaine lui remit la longue-vue sans discuter.
- Mauvaise... la moitié de nos troupes sont mortes, une boucherie, répondit-il, la voix grave.
Hector observa longuement. En contrebas, la mêlée paraissait infinie, un charnier en mouvement. Des catapultes fracassaient les lignes. Les archers ajustaient leurs tirs. Et, dans cette marée, Hector paraissait étranger au carnage, presque serein, comme s'il contemplait un échiquier.
En le voyant, les soldats hésitèrent. Certains archers abaissèrent leurs arcs, troublés par cette silhouette drapée d'assurance. Le vent s'engouffra dans son manteau sombre, lui donnant l'allure d'un prédateur prêt à fondre.
Il tendit la longue-vue au capitaine et se retourna vers ses apprentis.
- Fabius. Élise. C'est à vous de jouer, dit-il d'une voix calme.
- Quoi ?! s'étrangla Élise, suivie d'un Fabius tout aussi paniqué.
Mais déjà, un sifflement monta. La première volée venait de partir. Des nuages de flèches obscurcissaient le ciel, une pluie noire prête à les engloutir.
- Allez-y. Lancez le sort, ordonna Hector.
- Mais... on ne l'a jamais fait ! protesta Élise.
- Qu'est-ce qui vous prend ?! hurla le capitaine en reculant d'un pas. Vous allez nous faire tuer !
Hector tourna légèrement la tête vers lui, son sourire froid accroché aux lèvres.
- Si vous bougez ne serait-ce que d'un pas, je vous fais fondre sur place, murmura-t-il sans hausser la voix.
Puis il reporta son attention sur ses élèves, impassible.
- Concentrez-vous. Je suis sûr que vous pouvez le faire.
Le ciel était maintenant saturé, un voile noir qui descendait sur eux avec la certitude d'un couperet. Hector observait, stoïque.
Élise ferma les yeux, sa respiration haletante. Ses doigts tremblaient. Les sifflements se rapprochaient. Puis, d'un cri arraché à sa gorge :
- Praesidium !
L'air se contracta. Une pulsation sourde fit vibrer ses os. Une sphère translucide éclata autour d'eux, d'abord fine comme un souffle, puis dense comme du verre. Les flèches heurtèrent la barrière dans un vacarme sec, se brisant net, stoppées à un cheveu de leur peau. Le monde sembla se suspendre. Les projectiles s'écrasèrent contre le vide comme si le ciel lui-même les avait trahis. Et, l'instant d'après... silence. Tout avait disparu, comme si rien n'avait eu lieu.
Élise chancela. Ses jambes cédèrent et elle s'effondra à genoux. Sa gorge brûlait. Un goût métallique envahit sa bouche. Elle vomit dans la boue, des larmes brouillant sa vision. Quand elle releva les yeux, Hector la regardait. Son sourire s'était élargi.
Hector s'accroupit à côté d'elle avant de lui donner une tape amicale dans le dos.
Fabius était resté transi de peur, incapable de mouvement.
- Tu t'es bien débrouillée, sourit Hector avant de se retourner vers le capitaine. La moitié, tu disais ?
Le mage releva sa manche et retira ses gants. Son bras était craquelé de cicatrices et de taches sombres. À ses doigts brillaient des bagues serties de gemmes étincelantes.
L'air se gorgea d'électricité. Le ciel devint gris, parcouru d'éclairs.
Hector semblait se concentrer, murmurant des paroles inaudibles. Des arcs électriques se formèrent autour de son bras, pulsant d'énergie, brillant d'un bleu azur.
Le silence dura une seconde, suspendu dans l'espace et le temps.
Une colonne blanche éventra la plaine, suivie d'une autre. Et encore. Le sol brûla. Les rangs ennemis s'effondrèrent dans un fracas de lumière.
Il venait de renverser le cours de la bataille à lui tout seul.
- Qu'est-ce que vous avez fait ? demanda le capitaine, horrifié.
- J'ai rééquilibré la balance, capitaine. À vos hommes de faire la différence maintenant, répondit Hector en lui tapant l'épaule.
Son autre bras semblait pris de spasmes, fumant. Le mage contenait la douleur, mais son membre était tétanisé, couvert de nouvelles cicatrices.
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