Chapitre 15: Burnt Meat

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Le combat avait repris de plus belle. Le sort d'Hector n'avait fait que rétablir l'équilibre — pas inverser le cours de la guerre.
Le mage observait à la longue-vue le chaos en contrebas, tel un entomologiste patient étudiant ses insectes.

Élise tenta de se relever. Ses genoux tremblaient, ses muscles brûlaient. À sa surprise, une main ferme l'aida à se redresser.
Fabius.
Il la soutint sans un mot. Mais son regard... glacial, absent, comme vidé de toute lumière. Quelque chose s'était brisé en lui. Quand il fut certain qu'elle tenait, il la lâcha brusquement et retourna près d'Hector, la nuque raide.

Les mains d'Élise frémissaient. Chaque nerf hurlait, son corps entier semblait transpercé par mille aiguilles. Son crâne vibrait comme une enclume battant contre ses tempes. Elle voulut parler... aucun son ne franchit ses lèvres.

Alors, le monde se plia.
Une immense sphère, presque invisible, jaillit du champ de bataille, courbant la lumière comme un mirage. Le vacarme cessa d'un coup. Plus de fracas d'armes. Plus de sifflement de flèches. Plus de cris d'agonie. En contrebas, les visages continuaient de se tordre, mais aucun son ne franchissait le voile.
Un silence monstrueux.

Et au cœur de cette bulle irréelle, une silhouette avançait, drapée de lambeaux noirs. Son manteau en charpie traînait dans la boue sanglante. Sous la capuche, il n'y avait qu'une ombre abyssale.
Dans sa main droite, une épée émoussée, comme usée par des siècles. Dans l'autre, une sphère métallique, constellée de flammes sombres, lévitait paresseusement.
Un geste vif, sec, et l'orbe fendit l'air, traçant une traînée ardente avant d'éclater au milieu des lignes alliées.
L'impact fit rugir la terre. Une onde assourdissante se répercuta jusque dans leurs os. Des silhouettes jaillirent, projetées comme des poupées brisées. Une pluie rouge retomba, éparpillant la chair en éclats vermeils.

Hector soupira, las, comme si tout cela n'avait rien d'extraordinaire.
— Je m'y attendais... murmura-t-il en tendant la longue-vue au capitaine médusé.

— Vous n'allez rien faire ?! hurla le chevalier, blême.

Hector releva lentement sa manche. Son bras fumait encore, raide comme une branche carbonisée. Des stries noires le parcouraient, des cicatrices calcinées incrustées jusque dans la chair.
— Je me fais vieux, répondit-il calmement. Je ne peux plus me battre comme avant... Un mage capable de maintenir un sort de silence et lancer des Blasts à ce rythme... est un monstre.

— Alors vous désertez ?! cracha le capitaine.

Le sourire d'Hector se figea en une ligne glaciale.
— Cette guerre n'est pas la mienne. Ma maison a payé sa dette à la vôtre. Vous vouliez un mage ? Ils ont sorti le leur. Ce n'est plus mon problème.

Ses yeux se plissèrent, une étincelle presque carnassière brillant dans ses prunelles fatiguées.
— Que vous gagniez... ou que vous perdiez... cela m'importe peu. J'ai obtenu ce que je voulais.

Le capitaine tira son épée, les traits tordus par la rage.
— Espèce de lâche...

— Oh... Capitaine, je ne ferais pas ça si j'étais vous, souffla Hector, presque amusé.

— Je devrais vous trancher la gorge ici et maintenant !

Hector soupira.
— M'insulter, c'est insulter ma maison entière. Mais... je vais fermer les yeux, cette fois. L'émotion parle, c'est humain. Si vous tenez à votre peau... partez. Ou désertez. Il ne vous reste plus beaucoup de temps.

Une détonation sourde fit trembler la colline, ponctuant sa phrase.
— Voilà. La bataille est terminée, ajouta-t-il froidement en jetant un regard par-dessus l'épaule du capitaine.

Le soldat blêmit, serra les dents et dévala la pente, hurlant des ordres.

Hector se tourna vers ses apprentis. Son visage s'adoucit — un masque bienveillant plaqué sur la glace.
— Il est temps de partir. Nous rentrons à la maison.

Il tendit la main à Élise.
— Viens avec nous.

Elle cligna des yeux. Sa gorge se serra.
— Et... Shara ? balbutia-t-elle, la voix étranglée. On ne devrait pas la prévenir ? Mes affaires... elles sont encore là-bas...

Un bref silence. Puis Hector s'accroupit. Ses mains vinrent se poser sur ses épaules frêles. Son regard s'enfonça dans le sien, tranquille, presque tendre — mais glacé jusqu'au fond.
— Ne me dis pas que tu penses encore à elle... Elle ne t'apportera rien. Tu vaux mieux qu'elle. Tu mérites une famille.
Il esquissa un sourire presque triste.
— Des affaires... ça se rachète.

Élise baissa la tête. Les larmes brouillèrent sa vision.
— J'ai déjà une famille... murmura-t-elle, brisée.

Le masque d'Hector se fissura une seconde. Ses mains glissèrent, presque avec dépit.
— Alors reste. Regarde-la brûler dans son incompétence... Quel gâchis... souffla-t-il, si bas qu'elle faillit croire avoir rêvé ses mots.

Il se redressa, tourna les talons. Fabius suivit sans un mot. Mais, au moment de partir, son regard croisa celui d'Élise. Et dans ses yeux, il y avait autre chose. Une ombre. De la colère ? De la pitié ? Ou les deux ?

Les deux silhouettes s'éloignèrent, avalées par les ombres des troncs.

Élise resta seule. Figée. Les poings serrés, la rage cognant à ses tempes. Elle frappa la terre. Un cri muet se déchira dans sa gorge. Puis... elle courut. Courut pour les rattraper.

Juste avant de franchir la lisière, elle se retourna.
Le ciel derrière elle flambait. Le camp se noyait dans la fumée.
Et, dans ce dernier regard, elle sut. Elle venait de trahir Shara.

La tente s'ouvrit à la volée, laissant entrer un homme couvert de boue et de sang.
Le capitaine. Essoufflé. Les yeux fous.

— Par les Cendres, il faut... il faut que vous veniez ! Ils ont lâché un mage de guerre !

Il l'agrippa au bras comme un noyé agrippe une planche.
— Sans vous, on est morts ! Vous êtes la seule...

— Un mage de guerre... ?! Élise !

Mais le sol vibra avant qu'elle ne termine. Une onde sourde traversa le camp. Les cris s'éteignirent d'un coup. Plus une voix, plus un râle, même le vent s'était tu. Le monde entier s'était figé dans un silence monstrueux.

Une lueur ardente gonflait dans l'air, se rapprochant de la tente. La chaleur faisait trembler la toile comme un souffle d'enfer.

Shara sentit ses tripes se contracter. Elle avait presque fini de préparer ses affaires. Une minute de plus, et elle disparaissait dans la forêt, loin de cette guerre, loin d'Hector, loin de tout.
Au diable Élise. Au diable ce camp. Il fallait fuir — mais il était trop tard.

La lumière approchait. Une boule de feu, énorme, avalant tout sur son passage.
Pas un battement d'ailes. Pas un cri. Juste... le vide.

Shara resserra la lanière de son sac, les doigts tremblants. Puis son autre main chercha une grenade. Le métal vibrait déjà, impatient, dans sa paume.

Elle tira la goupille. Une étincelle jaillit, minuscule dans ce néant étouffé.
Elle ferma les yeux.

La grenade éclata.

Un nuage noir de ferraille et de flammes dévora la tente. Les chairs se déchirèrent, les os éclatèrent, la douleur transperça chaque fibre de son être. Et Shara, au cœur du brasier, sut qu'elle les avait tués tous avant que la boule de feu n'arrive.

Une seconde. Une fraction. Mais dans cette seconde brûlait toute l'éternité.

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