Chapitre 16: Blood and Metal

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Sa vision n'était plus qu'un voile trouble, saturé de poussière. Elle ne ressentait qu'un immense rien.
Un mélange poisseux de sang et de chair recouvrait ses yeux. La douleur vrilla son crâne aussitôt.
Sa gorge voulut hurler. Aucun son. Sa mâchoire n'était plus qu'un lambeau arraché.

Elle baissa les yeux.
Son corps s'arrêtait à la taille.
Son bassin gisait plus loin, grotesque, séparé d'elle.
Ses mains n'étaient plus que des moignons sanglants, muscles en charpie, bouillis par la chaleur.

L'odeur des cendres lui brûlait les narines. Chaque souffle saccadé lui lacérait la poitrine. L'air n'était plus qu'une fumée noire, épaisse, saturée de mort.
Des flocons de neige se déposaient sur son visage.
Elle avait si froid.

Son cœur se contracta violemment, refusant de s'arrêter. Mué par une pulsion de vie, il la ramenait. Lentement, ses jambes se rapprochèrent d'elle, comme attirées par une force invisible.
Son corps pulsa d'énergie. Elle sentit chaque fibre se reconstruire dans une lente agonie : os, nerfs, chair, peau... ses boyaux flottant encore dans l'air.
Suspendue entre deux états.
Sa douleur persistait, vestige d'un corps brisé.
Sa malédiction venait de la sauver d'un destin funeste.

Le nuage de ferraille s'évaporait. Les flammes dévoraient les toiles des tentes. En quelques minutes, le camp n'était plus que ruines : des silhouettes calcinées, figées dans des postures de terreur, les visages fondus par le feu.

Alors, il apparut.
Une silhouette noire, drapée comme un corbeau géant, avançait lentement. Une épée émoussée dans une main, une boule de feu dans l'autre.
Les flammes se reflétaient sur le métal poli d'un casque, effaçant son visage.

Il ne l'avait pas remarquée.
Shara, couverte de cendres et de chair, échappait à ses yeux.
Le mage de guerre poursuivait son avancée, seul, semant la mort dans son sillage de flammes.

Il lui tournait le dos. Elle n'aurait qu'une seule chance. Elle saisit une épée brisée sur un cadavre à ses pieds.

Son corps s'était reformé. La mégère se releva en titubant, le souffle haché.
Le glaive dans une main. Le pistolet dans l'autre.

La boue éclaboussait ses jambes à chaque pas. Elle fonça, portée par le vent qui lacérait sa peau. Chaque foulée la rapprochait du colosse.
Shara hurla — un cri muet dans le silence absolu — et planta sa lame dans la nuque.

Alors, le monde éclata.
Comme une bulle crevée, le vacarme revint d'un coup, vomissant les cris d'horreur accumulés sur le champ de bataille.

Le mage chancela. Sa concentration venait d'être brisée. La sphère de feu dans sa main se mit à luire avant d'exploser.
La déflagration arracha le souffle de Shara, lui vrillant les tympans. Les flammes lui dévorèrent la joue, carbonisèrent son bras, la projetant à plusieurs mètres.

Sous le casque, une gerbe de sang éclaboussa la visière. Le colosse crachait à travers les fentes, mais restait debout. Son bras n'était plus qu'un moignon calciné... pourtant il résistait.
Il restait debout.
Miraculeusement. Monstrueusement.

Shara serra les dents. Elle n'avait pas transpercé la gorge. Le heaume et l'épaisseur des tissus avaient amorti la lame.

Le mage se retourna lentement.
Ses pas s'enfonçaient dans la boue embrasée, chacun d'eux résonnant comme une sentence. De sa main valide, il brandit l'épée noircie. Le métal chauffé à blanc luisait dans la nuit comme une braise vivante.

Shara recula d'un pas, le souffle brûlant, les yeux brouillés de larmes et de sang. Sa peau cloquée se décollait déjà par lambeaux. Chaque mouvement faisait hurler ses nerfs. Mais elle serra plus fort le pistolet.

Le monstre avança. Aucun mot. Aucune incantation. Son silence pesait plus lourd que mille menaces.

Alors Shara tira.
Une détonation claqua, brisant le tumulte. La balle fusa droit vers l'œil du casque... et s'écrasa contre une barrière invisible, éclatant en pluie de métal. L'onde de choc la repoussa de deux pas, faillit la renverser.

Elle grogna, la main tremblante.
Encore une. Puis une autre. Le canon vibrait, l'entropie hurlait en elle, rechargeant sans fin. Mais chaque tir se brisait contre cette muraille invisible, ne laissant que des étincelles et des ricochets stériles.

Le mage leva sa main mutilée. Des flammes jaillirent des moignons de chair, se recomposant en une sphère titanesque. La chaleur seule faisait fondre les cadavres alentour, effaçant visages et armures dans une boue écarlate.

Shara comprit.
Ce n'était pas un homme. Ce n'était plus un mage. C'était une arme. Un gouffre.

Ses doigts glissèrent comme si elle tirait un fil invisible.
Elle sourit. Un sourire fou, féroce, arraché aux tréfonds de la douleur.

Alors, le nuage de ferraille qu'elle avait laissé dans la tente vibra dans l'air.
Cette pluie de mort dissipée, dispersée dans la poussière... elle l'appelait.
Les particules métalliques revinrent, irrésistiblement attirées vers leur origine : sa main.

Le champ de bataille gémit.
Une marée d'éclats fusa dans un sifflement aigu, revenant comme des balles inversées. Tout ce qui se trouvait entre la tente et Shara fut transpercé... y compris le mage.

Son corps colossal fut cloué de part en part, des centaines de fragments perçant chair et os, jaillissant de son armure, ressortant par les fentes du casque. Le sang éclata en geysers.
La grenade se reforma dans la main de Shara, dégoulinante de sang et de viscères, tremblant dans sa paume.

Le mage tomba à genoux, en état de choc, sa chair suintant le sang par tous les pores.
À travers le masque brisé, elle distingua enfin son visage.
Un adolescent.
Ses yeux, grands ouverts, étaient emplis de peur — avant de se teinter d'un vide irrévocable.
Il s'effondra face contre terre, englouti par la boue.

Alors, Shara sentit la morsure glaciale dans son ventre.
Le sang jaillit de sa bouche. Dans la fureur du combat, elle n'avait pas remarqué : la lame du mage la transperçait encore. Son dernier geste avait été de la condamner avec lui.

Elle chuta en arrière, haletante, chaque inspiration une torture. Elle avait atteint ses limites.

Dans un ultime sursaut de lucidité, elle concentra tout ce qu'il lui restait.
Les corps éparpillés par son explosion se reformèrent, os, chair et visages reconstitués comme figés dans le temps. Les soldats ressurgirent des flammes, tels qu'ils étaient avant la déflagration — seuls rescapés du massacre.

Les ombres se mirent à courir vers elle.
Shara ferma les yeux, livide.

Dans un dernier sursaut de lucidité, elle concentra toute ses forces à la reconstitution des soldats prient dans l'explosion de sa grenade.

Émergeant des flammes comme elle les avait laissées. Seul rescapé du massacre.

Des ombres accouraient vers elle tandis qu'elle fermait les yeux, livide.

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