immortalité

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Un peu d'ennui et, l'éternité vous est offerte.
Je vais vous conter l'histoire d'un homme banal ayant tout qui devint un être banal n'ayant rien. À premier vu, cela semblerait être peu attrayant, voire ennuyant. Mais rassurez-vous chers lecteurs, vous serez surpris et cela, je vous le garantis. Tout d'abord, ne confondez pas banal et ennui, ils sont loin d'être semblables : banal renferme un goût plus vivace et « conforme » en serait le synonyme le mieux adapté pour parler de cet homme dont je vais conter l'histoire.


Je disais donc, il était une fois l'histoire d'un homme banal ayant tout. Notre homme était riche, galant homme bien éduqué, un mariage heureux, des enfants parfaits, en somme une vie réussie pour qui s'intéresse à l'image renvoyée dans une société où le superficiel remplace l'intelligence, où le physique prime sur l'esprit.

Malgré l'image d'une vie parfaite que cet homme nous procure, la réalité était tout autre à ses yeux : il s'ennuyait profondément et qu'il ne savait comment y remédier. Alors, il se tenta aux jeux d'argent, aux achats démesurés de voitures, vêtements, demeures et bien des choses, aux sciences et autres domaines qui sollicitent notre intelligence et un peu de concentration, … Il se pencha sur toutes choses que l'Homme avait créées et que la Nature lui avait données, et pourtant, rien ne le satisfaisait pleinement. Il ressentait toujours ce manque qui l'oppressait violemment, un sentiment qu'il ne saisissait pas au départ mais qu'il comprit au fil des années : il avait le mal de l'ennui, cet ennui qui s'installe confortablement chez son hôte et contraint ce dernier à se plier à ses moindres volontés.

Un matin, n'en pouvant plus, il voulut s'envoler à jamais des profondeurs de cet enfer languissant au possible. Pour ce faire, il prit une corde, monta sur le fauteuil familial avec ses chaussures noires cirées du matin. Une fois en équilibre sur ce fauteuil, il passa cette corde autour de la poutre, serra solidement, puis en fit de même autour de son cou. Ses mains tremblaient, la sueur dégoulinait de son front soucieux et tiré par l'effort. Il ne lui restait qu'une chose à accomplir, la dernière action qu'il se devait d'achever à son terme, la seule chose qui comptait dorénavant : sans crier gare, d'un coup de bascule de sa part, l'homme fit tomber le fauteuil à la renverse, la corde se tendit et il se trouva la tête pendue au lustre, tandis que ses pieds se dandinant dans le vide, cherchant désespérément un appui quelconque pour sauver son âme perdue dont le goût amer du renoncement y avait été imprégné.


« Cet homme avait tout réussi, tout sauf sa mort », voici les mots qu’emploierait la presse face au suicide de ce dernier, ce que penseraient les gens ayant l'esprit corrompu par la norme sociétale. En d'autres termes, cet homme a échoué dans la seule tâche qui importe aux yeux de l'honneur et de la dignité de notre espèce : cet homme se suicida. Mais ne vous laissez pas berner par cette morale populaire que vous prenez pour argent comptant : le suicide demande du courage, une décision mûrie depuis quelque temps, une idée salvatrice à la grandeur indéniable dans l'esprit devenu étroit et tordu. Alors oui, le suicide n'est pas forcément l'acte d'un lâche mais celui d'un homme qui a la force de faire lui-même la sale besogne du faucheur.

Notre homme était ainsi mort, ses proches étaient en deuils, la société était comme toujours inébranlable, et le monde se portait bien... rien ne changea vraiment, un de plus ou un de moins, cela n'avait pas d'importance chez les humains pour lesquels la mort est une invitée quotidienne mais surtout très ponctuelle quand vient le moment de se serrer la main et de dire « adieu ». Rien de très affligeant, rien d'anormal : une vie avait été prise et s'était achevée par la volonté de son détenteur.
La Mort, curieuse et fâchée d’être ainsi devancée, se rendit dans le sanctuaire des âmes mortes. Elle y chercha celle de cet homme suicidé. Elle le trouva. Elle le questionna avec ce fameux adverbe qui fascine un tel monde : pourquoi ?

L'homme habile, mania avec grâce et éloquence deux, trois vers qui content sa vie. Assise à ses côtés, dans toute sa puissance et sa beauté, la Mort écouta attentivement ses raisons qui n'en étaient pas, ses réflexions qui manquaient de vigueur, ses phrases floues qui paraissaient suspectes : cet homme parlait superbement mais il n'avait rien d'intéressant à dire... simplement que l'ennui fut plus fort que son envie de vivre, qu'il était déjà mort de son vivant, qu'il était déjà mort avant de réaliser l'acte officiel qui guillotinera sa vie.

Cependant, la Mort fut prise de frayeurs : elle, qui trône sur la vie, berce d'angoisses les rêves les plus exquis des hommes d'ambitions, reste victorieuse en tout temps surtout quand la paix s'amincit, est une bien triste réalité mais cet homme ne la craignait pas. Pire, il lui témoignait simplement une profonde indifférence. La Mort était prise de court : l'ennui trônerait-il sur la vie et la mort à un tel point que ces deux derniers ne soient qu'illusoires dans le cœur de cet homme ?

Effectivement, cet homme semblait fuir l'ennui comme la peste : il se rendit d'abord chez la Vie mais elle ne put le soulager de sa souffrance alors il se rendit chez la Mort mais ce qu'il y vit n'était point trépas et néant... non, hélas c'était toujours cet ennuyeux ennui qui lui ouvrit la porte et le nargua. Même la Mort avait déçu cet homme qui cherchait avidement une distraction quelconque chaque jour. Finalement, aucune de ses deux natures opposées n'a su combler cet homme.


Sous un excès de colère de jalousie face à l'ennuie qui la rendait misérable, la Mort prit sa faux. Elle tendit cette dernière en direction de notre homme et murmura d'étranges paroles qui s'apparentaient à un chant d’obsèques obsolètes. Soudainement, une fumée grisante engloba l'homme : d'étranges dents aiguisées remplacèrent ses canines, sa peau bronzée devint pâle et translucide, ses cheveux bruns virèrent au noir foncé, et ses yeux d'ordinaire d'un bleu océanique se laissèrent envahir par un rouge vif qui force le respect et ploie le genou des guerriers les plus intrépides.

Notre homme était devenu l'une de ses créatures que l'on ne croise que dans les livres fantastiques. Il était un Vampire. Seuls les vêtements typiques, qui donnent du charme au mythe qu'est le Vampire, manquaient à l'appel. Mais celui-ci ne se plaina pas, il était bien trop occupé à observer avec curiosité puis effroi ce changement extraordinaire de son corps qu'il pensait enterré six pieds sous terre.

La Mort entrouvrit alors sa bouche, ses deux lèvres descellées laissèrent une voix rouillée par le temps parcourir le corps du Vampire et l’ensevelir de frissons :
" - Petit homme, tu oses te permettre l'indifférence face à la terreur des hommes que je représente. Je suis celle qui par pur sadisme prend la beauté à la vie, fait naître ce sentiment de peur face à l'attente douteuse, celle qui force les hommes à noyer leur désespoir dans un peu d'ivresse et de mensonges. Je rends l'homme mortel, soucieux du temps qui passe, affaibli finalement par sa tragique impuissance. Et toi, vil grain de sable en plein désert, tu te permets de me rabaisser au même titre que la Vie ! Puisqu'il en est ainsi, va ! Va goûter à l'Ennui pour l'éternité ! Va pourrir dans ses filets maladifs qui condamnent ceux qui s'approche de trop près de sa personne et dis-moi donc si elle te paraît toujours aussi impressionnante, si tu lui témoignes toujours autant d'attention après l'avoir côtoyé à jamais. "

Sur ces mots, la Mort prit la poudre d'escampette abandonnant notre nouveau Vampire sur son ancienne terre. Le Vampire erra longtemps voguant de continent en continent. Les siècles passèrent, le monde changea, son corps demeura, son esprit se vida peu à peu. Il oublia la raison de cette malédiction, il oublia ces sentiments dont l'homme est doté et qu'il convoitait tant dans sa vie antérieure. Il riait en pleurant, il jurait en murmurant, il pria sans croire, il entendait sans écouter, ... le peu d'humanité qui lui restait s'évaporer au fil des années, lui laissant que quelques lointains souvenirs qui, de temps à autre, lui rappelaient l'existence d'une vie meilleure.

Mais parfois, quand un gémissement de rage éclorait de ses lèvres pour se muer en véritable hurlement, il se souvenait. Il se souvenait, et sa colère n'en était que des plus violentes. Lui, bloqué ici pour éternité parmi ceux qui peuvent espérer, parmi ceux qui partent sans vraiment savoir où mais qui partent incontestablement, parmi des âmes chanceuses qui pourront se laisser bercer par la tendre mort.

Tandis que ces pensées égoïstes émergeaient et affluaient dans son esprit, les mains du Vampire se serrèrent et blanchirent sous l'excès de force, les traits de son visage habituellement inexpressifs se ternirent d'affreuses rides et d'un rictus à l'air féroce, ses yeux rouges devinrent l'égal de ceux des bêtes sanguinaires, et tout son corps fut pris de démangeaisons qui le convulsaient sous les vagues de colère qui prenaient peu à peu possession de tout son être. Notre Vampire était réduit à l'état d'un animal sous le courroux.

Éternité... immortalité... moi... seul... Il n'avait plus que ces mots à la bouche. Il rageait, il enviait les mortelles, il chassait la paresse et écourtait le temps du mieux qu'il pouvait, il faisait ce qu'il pouvait pour comprendre pourquoi la mort l'avait-elle puni lui et pas un autre... après tout, pleins d'humains se suicident et leur raison laisse parfois à désirer. Mais pourtant, c'était lui qui a dû goûter aux « joies » de l'immortalité : un temps indéfini qui devient interminable, une silhouette lumineuse qui s'enveloppe d'un manteau d'ombres maintenant que l'espoir de partir et d'oublier n'est plus qu'un simple souvenir mesquin, un avenir hasardeux qui devient un destin condamné aux plaisirs estompés, des moments uniques et merveilleux qui subissent la captivité de leur authenticité.

L'immortalité rendue notre Vampire encore plus malade qu'avant son châtiment. Il se mit à prier que la mort vienne le chercher définitivement, à connaître enfin le repos éternel qu'il lui avait été promis, et surtout, à quitter cette solitude et cet ennui qui vienne toujours en paire torturer quelques personnes au sommeil léger. Notre vampire était désormais une bête vagabonde, retenu dans les griffes du temps, au cœur noircit par la vaine attente du salut.

D'ailleurs, si vous tendez l'oreille, vous entendrez peut-être un cri haineux inhumain maudissant trop souvent la mort afin d'adoucir son ennui de, non plus vivre, mais simplement errer.


L'Homme qui s’ennuie ne vit que par usage, et reste contemplatif de sa propre chute dans les abysses du spleen.

L'immortalité est une souffrance, une agonie plus qu'un bonheur pour l'humain qui ne sait vivre seul.

Et la Mort est le baume qui apaise tous les maux, même les plus dévastateurs.

FIN


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Commentaires & Discussions

NouvelleChapitre8 messages | 1 an

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