Chapitre 1

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Une impressionnante tempête de neige faisait rage dans les Glaciers du Nord. La totalité du paysage était recouvert d’un épais voile blanc. Aucune autre couleur ne perçait au travers de ce rideau opaque. Hyana était allongée à l’entrée de la caverne et regardait inlassablement les flocons tirés vers l’aval. Alors qu’elle fermait les yeux pour savourer le hurlement du vent contre les falaises, une douce mélodie se mêla au chant des montagnes et vint envoûter Hyana. Ce son, elle ne pouvait le décrire avec de simples mots. Tout ce qu’elle pouvait percevoir était la saveur du miel, la légèreté d’une plume et la puissance d’un torrent.

Après l’avoir écouté silencieusement, Hyana se retira au fond de la grotte. Les pics de glace qui s’y trouvaient lui étaient familiers et logeaient là depuis des décennies. Sa mère, allongée contre la roche froide de la caverne, dormait paisiblement. Son imposante silhouette occupait la majeure partie de l’espace, au moins trois à quatre fois plus large que celle de Hyana. Elle s’approcha de l’immense masse immobile et colla son front contre celui de la bête. Dans un souffle silencieux, Hyana lui murmura quelques mots inaudibles et fit demi-tour.

A l’extérieur, la tempête n’avait pas cessé. Pourtant Hyana avait envie de sortir, de suivre ce mystérieux chant qui enveloppait son esprit depuis un moment. Les parois extérieures à la grotte étaient escarpées. Les prises difficiles d’accès et le vent violent ne facilitaient pas la tâche. Mais c’est sans aucune crainte que Hyana s'était lancée dans cette escalade risquée. Le chant la tirant vers le sud, elle grimpait toujours plus pour atteindre le ciel.

A ses côtés les nuages ne tardèrent pas à se découper sur les rochers. Encore quelques mètres et elle pourrait nager avec eux. Mais Hyana les dépassa vite. Bien trop vite à son goût. Elle avait hâte de partir, mais savait qu’elle ne reviendrait pas avant un bon bout de temps. Elle doutait même que les montagnes soient encore sur place à son retour. La neige avait elle aussi disparue. Seul le hurlement du vent parvenait encore à Hyana, donnant au chant de miel un fond dramatique.

Une fois qu’elle eu atteint le haut de la falaise, elle se laissa tomber. Les nuages, qu’elle avait pourtant quitté depuis un moment, se rapprochaient d’elle à une vitesse fulgurante. Bien vite Hyana ouvrit ses ailes. Le vent les épousa avec délicatesse jusqu’à arrêter totalement la chute de la draque, la laissant planer au dessus du vide comme si elle ne pesait rien.

Un nouveau paysage défilait sous elle. La pureté de la neige laissait peu à peu place à quelques buissons robustes. Les terres arides qui se découpaient sous ses pattes n’abordaient que les teintes orangées de fin d’année. Les branches des arbres à nues ne parvenaient pas à bloquer le vent qui s’infiltrait par la moindre faille. Hyana découvrait un monde qu’elle n’avait encore jamais vu. La seule vision d’un arbre lui était inconnue.

Alors qu’elle continuait de planer dans les airs en survolant des paysages désertiques, plusieurs nuits et jours étaient passés sans que la draque ne s’en rendît compte. C’est lors d’une nouvelle aube que Hyana vit se découper au loin des maisons. Sa mère lui avait appris que c’était dans ces bâtiments que vivaient les humains ; êtres avec lesquels elle devait désormais se confondre sans en oublier sa vraie nature. Hyana releva l’absurdité de la chose ; aussi longtemps qu’elle vivrait, jamais elle ne pourrait oublier le pouvoir qu’elle détenait. Aucun être ne pourrait la mettre à terre. Elle en était sûre. Mais ce n’était pas pour cette raison qu’elle ne devait se méfier d’aucune des créatures qui l’entouraient.

C’est donc avec une certaine méfiance qu’elle se posa à plusieurs mètres de la première habitation. Ses ailes battaient l’air avec force et ses membres touchèrent délicatement le sol. Sous ses pattes, l’herbe était légèrement gelée due à la rosée du matin, mais particulièrement agréable à Hyana qui n’avait connu jusque là que la rigidité de la roche. Elle enfonça ses griffes dans la terre meuble pour en apprécier la texture et délaissa sa nouvelle découverte pour pénétrer dans le village. De quelques cheminées s’échappait une fumée grisâtre à l’odeur de bois brûlé. Chacun des évènements qui se déroulaient autour de la draque attiraient son attention. Même les arbres encadrés de béton la laissèrent perplexe. Avec précaution, elle se glissa entre les bâtiments qui ne parvenaient pas à la dépasser.

Elle n’avait encore jamais adopté sa forme humaine et le changement physique lui paru étrange. Ses os craquaient, ses chairs se déchiraient. Tout son corps changeait. Un hurlement lui échappa alors qu’elle se retrouvait au sol dans son nouveau corps. Elle convulsait encore lorsqu’une fenêtre s’ouvrit. Mais déjà, Hyana se retrouvait dans une ruelles sombre, à l’abri des regards. Ses tremblements se calmèrent peu à peu. De la sueur coulait de son front et sa respiration saccadée s’apaisa. Doucement, elle reprit possession de son corps et accommoda sa vision à l’obscurité qui l’entourait. La voix qui l’interpella ne la surprit qu’à moitié.

  • C’est vraiment désagréable les transformations, mieux vaut les limiter si on ne veut pas souffrir.

A l’aide de ses jambes encore engourdies, Hyana tenta de faire quelques pas mais chancela sans réussir à se tenir bien droite. L’inconnu s’approcha d’elle et la soutint par le bras pour l’asseoir plus loin sur une caisse de bois. Elle se laissa faire, ayant étrangement confiance en celui qu’elle rencontrait pour la première fois. Elle savait que les dragons faisaient parti des rares espèces à ne jamais trahir leurs congénères.

Hyana toussa violemment et du sang coula hors de sa bouche. Elle avait froid. D’un main tremblante, elle essuya le liquide visqueux qui s’étala sur sa joue. Les tremblements s’intensifièrent et elle crut qu’elle allait exploser. Sa forme dragon menaçait d’échapper à son contrôle et de la plonger dans la mort. Jamais Hyana ne s’était imaginé devoir retenir sa propre nature.

Sans montrer le moindre signe d’agitation l’homme enleva sa veste et la posa sur les épaules de la draque. Il ne pouvait sans doute rien faire de plus et n’osait pas agir sans le consentement de la jeune femme. Il choisit de simplement s’asseoir à ses côtés en attendant que la crise se calme. Hyana bascula sur le côté, entraînée par ses spasmes, et prit appui sur l’épaule de son nouveau compagnon. A son contact, elle passa directement ses bras autour de son corps et s’accrocha à son t-shirt. Comme l’homme ne répondait pas à son étreinte, elle resserra sa prise autour de lui. Il mit un certain temps avant de se détendre et frotta l’épaule de Hyana qui doucement, s'arrêtait de trembler. Quand tout fut fini, la draque se redressa et quémanda d’une voix rauque :

  • Soif.

L’homme l’invita à le suivre et Hyana s’exécuta en faisant comme si rien ne s’était passé. La totalité de son énergie était déjà revenue mais sa gorge la brûlait. Déglutir lui était presque impossible. Toussant après avoir tenté un essai, Hyana rabattit la capuche de la veste de l’inconnu sur sa tête et la réajusta. Elle avait froid. Elle sentait ses cheveux dans son dos nu. La sensation n’était pas désagréable et elle appréciait ce semblant de couverture.

Le soleil était maintenant au-dessus de l’horizon et Hyana le fixa un moment. Il était son seul repère. Sa couleur rouge lui rappelait d’étranges fleurs aux pétales de la même couleur et aux tiges couvertes de piques qu’elle avait croisé quelques jours plus tôt.

Hyana marqua un arrêt lorsque l’homme l’entraîna dans la rue. De chaque côté, des maisons de bipèdes se dressaient. Quelques rares fenêtres allumées laissaient filtrer la lumière de la pièce à l’extérieur. La draque finit par suivre son guide à découvert. Contrairement à ceux de son compagnon, les pieds nus de la draque ne faisaient pas de bruits sur le sol couvert de pavés. Mais le froid les lui mordait sans retenue, la maintenant constamment en mouvement. Lorsqu’ils rentrèrent dans une maison, Hyana fut heureuse de les poser sur un sol bien plus chaud qu’à l’extérieur.

En s’avançant un peu plus dans l’habitacle, Hyana avait l’impression de découvrir un autre monde. Tout ce qu’elle avait sous les yeux différait totalement de ses connaissances.

  • Voilà de l’eau.

Hyana se retourna et attrapa le verre que lui tendait son congénère en le remerciant d’un bref signe de tête. Elle le vida d’une traite et le rendit à son propriétaire. D’un mouvement circulaire de la tête, elle balaya la pièce du regard.

  • Où sommes-nous ?

Sa voix était rauque et les mots sortaient difficilement de sa bouche. Toutefois le dragon dû comprendre car il répondit d’une voix bien plus claire que celle de Hyana :

  • Chez moi. J’habite ici.

L’homme passa sa main dans sa nuque, hésitant à continuer. Il finit cependant par reprendre :

  • Si tu veux bien, je vais te donner quelques informations.

Déjà la draque ne l’écoutait plus. Pas une phrase ne se terminait sans qu’elle ne puisse être concentrée jusqu’au bout. Elle regardait le plafond. Une fissure le traversait sur toute sa longueur. Les bords de celle-ci étaient d’ailleurs plus foncés, tirant légèrement sur le rouge. En faisant plus attention, Hyana remarqua une forte odeur. La javel imprégnait l’air, masquant presque celle du sang, plus diffuse. Hyana ouvrit sa bouche sur un bâillement silencieux.

Le dragon laissa sa phrase en suspens devant la piètre attention que lui portât son invitée. Il soupira, mais ne s’autorisa aucune remarque.

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