04.Binôme et PDG

11 minutes de lecture

East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

Joyce

Mon nouveau chef me présenta à une jeune femme de vingt-cinq ans tout juste sortie d'un stage de deux ans suivant la faculté de Sul Ross. Elle était petite avec un visage de poupée et ses yeux clairs, mis en valeur par un fin trait d'eye liner, paraissaient immenses. J'appris qu'elle s'appelait Angelina Fritzberg et qu'elle s'avérait être passionnée par la photographie depuis son enfance. Je la saluais d'un sourire poli avec lequel elle répondit avec un enthousiasme évident. Brett nous fit faire le tour des locaux, plus grand finalement que je ne l'aurait présupposé. Ma nouvelle partenaire s'extasia devant le matériel disponible en salle de repro tandis que notre nouveau chef se tournait vers nous.

— Je vais vous laissez le loisir de faire connaissance durant la prochaine heure avant de vous présenter le projet sur lequel j'aimerais que vous commenciez en priorité. Les premières affaires réunissent généralement trois membres de terrain dont l'un expérimenté, et le fonctionnement se réduit au binôme pour les suivantes. Vous rencontrerez ce midi d'autres collaborateurs ainsi que le rédacteur en chef. Je vous laisse à votre espace de travail, à plus tard, les filles !

Le feeling entre Angélina et moi semblait naturel. Nous décidâmes d'aller profiter d'un thé avant de rejoindre notre impressionnant bureau commun, et durant ce court trajet, une chose m'apparue de façon très claire. Mon nouveau binôme est une incorrigible bavarde. Et elle attendait de moi que je participe à la conversation.

— Et toi, as déjà visité le Musée de Sixth Floor à Dallas ?

Ses pas claquaient au sol à une fréquence régulière sur laquelle je me concentrais pour calquer mon élocution.

— N'est-ce pas là l'une des premières attractions pour touristes ? Souris-je avec un brin de sarcasme.

— Ils ont tenu une expo de clichés fabuleux, sourit-elle, on pourrait y aller toutes les deux si ça te dit...ne m'écoutes pas, se corrigea-t-elle en levant et secouant les mains, tu préférerais sûrement qu'on aille boire une bière dans un bar, c'est plus fun !

— L-Le Sixth Floor à l'occasion, ris-je en recommençant mécaniquement à pianoter des doigts sur ma cuisse pour trouver mon rythme. D'ailleurs...ma sœur organise une soirée pour fêter mon post. Rien d'extraordinaire, juste une petite verre et si tu veux te joindre à nous...

Après s'être assurée de ne pas être de trop, elle acquiesça avec joie.

— J'espérais tellement me faire une place ici, je suis complètement folle et je ne parle que de mes propres hobbies ! Et toi qu'est-ce que tu fais de ton temps libre ? Qu'est-ce qui t'as amené à A.J. ?

— Je lis beaucoup, abrégeais-je.

Nous découvrîmes notre espace de travail avec un plaisir indicible. Je sifflais d'admiration à la vue de la surface commune dédiée au travail que je devais partager avec mon binôme, deux fois et demi supérieure à celle que j'avais connu dans le journal où j'avais évolué ces trois dernières années. Les ordinateurs n'avaient rien de semblables aux machines préhistoriques que j'utilisais, les tiroirs débordaient de tout types de blocs notes et supports. Je beuguais devant le pot à crayons et saisis l'un des stylos plume. Mon cœur s'emballa en soupesant l'objet, fin et léger, maniable, avec le nom de Cardin gravé sur le corps.

— Je...je c-crois que l-l'un des chefs a oublié son stylo personnel sur mon côté du b-bureau, soufflais-je, avant de lever les yeux vers ma collègue qui haussa un sourcil.

— Alors il en a également oublié un autre de mon côté, constata-t-elle en désignant son propre pot.

Ce sont vraiment NOS outils ? Je balayais une nouvelle fois les fauteuils, particulièrement confortables ainsi que les instruments disposés et m'interrogeais. Le PDG devait être financièrement très à l'aise pour fournir des ustensiles aussi coûteux à ses employés. Sans y connaître quoique ce fut dans le domaine de la photographie, j'avais compris au visage emplit de ravissement d'Angélina et à ses petits sauts d'impatience combien le matériel photo devait être sophistiqué et valoir son pesant d'or. J'étais curieuse. Quel type d'homme pouvait et voulait mettre à disposition un tel luxe pour ses employés ?

Les propos nonchalamment blagueurs de Brett à son propos ne m'avait guère rassuré, et le rencontrer me paru plus intimidant encore, après ces constats. J'haussais un sourcil et me tournais vers mon binôme, déjà installée et tournoyant sur son siège de bureau.

— Dis, Angé-gélina, est-ce...

— Angie, me corrigea-t-elle avec un sourire malicieux, à moins que tu ne veuilles payer le prochain thé à la pause du midi. En plus, tu bégaies dessus, alors prends le raccourci !

Aucune méchanceté ni moquerie dans son timbre, seulement du constat.

« J'ai besoin de votre aptitudes à manier la plume et de vos capacités d'analyses, Joyce, pas de votre éloquence. »

A l'instar de notre chef de projet, elle se montrait bienveillante et complètement indifférente à ma perte de contrôle. Elle a raison. Je m'étais laissée déconcentrer depuis que nous avions gagné l'espace de travail, comme je l'avais fait lors de mon entretien plus formel qu'autre chose avec Brett. Avec une grande inspiration, je me focalisais sur le tic-tac de l'horloge centrale, m'imprégnant de sa récurrence régulière et repris la parole.

Angie, appuyais-je avec un demi-rictus entendu avant de retrouver mon expression curieuse, est-ce que tu connais le nom de notre rédac chef ? Brett ne l'a pas évoqué une seule fois.

— J'aimerais te dire que c'est le cas, je me pose la même question figures-toi. Regardes ça de plus près !

Elle brandit sous mes yeux l'appareil photo que lui avait confié Brett dans un élan d'allégresse proche de l'hystérie, comme s'il avait s'agit d'un diamant.

— C'est le tout dernier model hybride, un R6 Mark II+ RF 24-105 F4 L IS USM...bref, ajouta-t-elle en remarquant ma grimace d'incompréhension. Tu sais combien vaut un Canon comme celui-là ? On avoisine les 4 000 dollars, meuf ! Brett me l'a tendu comme si c'était son premier Kodak jetable...Et je ne te parles même pas de ce que représente le matos que tu as vu dormir au troisième étage ! Des bijoux de pro ! Je lutte pour ne pas t'abandonner et retourner là-haut !

Elle inspira pour s'obliger au calme et se pencha vers moi. Je pris place en face d'elle tandis qu'elle baissait le ton tout en zieutant un employé qui s'installait à son propre bureau, le nez plongé dans la pile de document qu'il apportait avec lui.

— Ce mec est clairement pleins aux as ! Et de ce que j'ai compris, c'est lui-même qui se prononcera sur la validation de renouvellement de notre contrat post période d'essai. Et il a la réputation d'être intransigeant sur la qualité de rédaction et de présentation...J'ai entendu dire avant de postuler qu'une trentaine de stagiaires avait été congédiés en moins d'une semaine sans avoir édité le moindre article ni même terminé leurs recherches ! Faut mettre le paquet pour l'impressionner, si on veut garder notre fauteuil doré !

Donc le PDG ne sélectionnait pas en personne les recrues mais passait leur labeur au crible. Bonjour la pression de folie...Je m'enfonçais dans mon siège de bureau, encore plus stressée que je ne l'étais. Pas de panique, Joyce. Je devais avoir confiance en moi pour garder la face. Croire en mon jugement. En ce qui concernait mon travail rédactionnel, sans prétendue fausse modestie, je savais de quoi j'étais capable même sans avoir jamais écrit pour un journal de cette ampleur financière. J'étais très souvent à contre-courant lors de mes travaux dirigés de cursus universitaire, ce qui m'avait valu de nombreuses notes assez médiocres. Mais je savais que pousser l'analyse et ne pas suivre la mouvance de pensée, dans un travail d'enquête, était plus que nécessaire. J'en étais capable. Mes trois dernières années d'acharnement chez New Canuum, le journal de mon ancien patron, m'y avait préparé et formé. Bien sûr, lorsque l'on se montrait trop borderline, on prenait le risque de se voir écrasé ou absorbé par des sociétés bien plus puissantes tenant à leur image prestigieuse et immaculée. Pour peu que les détenteurs desdites sociétés aient quelques paires de chaussures en politique et le tour était joué. À moins de céder, d'étouffer dans l'œuf tout scandale portant atteinte à l'intégrité des hauts placés et d'accepter la contrainte d'exercer pour leur compte, le journal se retrouvait démantelé, d'une façon ou d'une autre. Mon ancien patron, lui aussi, avait fait les frais de son incorruptibilité. Et il l'avait clairement regretté, alors que, pour ma part, je n'avais ressenti que fierté pour notre enseigne et une pointe d'admiration pour lui. Jusqu'à la chute. J'avais appris qu'après son dépôt de bilan dont les causes paraissaient à l'évidence trop mystérieuses pour être réelle, il avait ravalé sa fierté afin de retrouver un emploi auprès de la société à qui la fermeture du journal avait profité. Va savoir ce qu'ils lui ont promis. Je serrais les dents en resongeant momentanément à son retour de veste, puis secouait la tête. Il avait ses raisons et il a fait son choix.
Brett poussa la porte vitrée de l'étage et se dirigea vers nous.

— Votre bureau a l'air de vous plaire, même si la salle des tirages semblent plus stimulantes pour certaines, sourit-il avec une œillade en direction d'Angélina dont les pommettes rosirent légèrement.

Je rêve ou...? Elle l'avait tout de même qualifié de chef de projet sexy, en salle de pause. Je lui octoyais un coup d'œil amusé dans le dos de Brett qu'elle ignora, je le pensais, délibérément.

— Je vais vous présenter au reste de l'équipe, le chef arrive. Evan, héla-t-il l'homme qui lisait et prenait des notes depuis une quinzaine de minutes, tu viens aussi.

— C'est nécessaire ? Lanca-t-il à son attention dans lever les yeux de ses documents.

— Je peux aller demander au boss si tu veux, répliqua Brett.

— J'y vais, dit précipitamment le dénommé Evan en se levant à toute vitesse en délaissant ses dossiers pour se rendre vers l'étage du haut sous mon regard étonné.

Il était si effrayant que ça, le rédacteur en chef ? Brett se retourna vers nous en soupirant.

— Laissez-moi deviner, il n'a même pas pris une seconde pour venir vous saluer, c'est ça ?

Sous notre réponse négative, il rit.

— C'est un bon gars, mais un véritable bourreau de travail. Seul Al' est susceptible de l'obliger à une pause.

— Al ? Questionna mon binôme.

— Notre patron, précisa-t-il avec humour. Allez hop, présentations et petit débriff en salle de réunion, on va être en retard et j'en avais déjà en arrivant.

Nous suivîmes notre chef de projet qui, malgré ses mots, ne se pressait pas davantage pour autant jusqu'à l'ascenseur. Je le regardais appuyer sur le bouton du 2eme étage avec un sentiment d'inquiétude et de malaise grandissant. Rejouant mentalement le morceau de piano que je préférais en tapotant mes doigts sur l'un de mes bras croisés, je pris la parole avec lenteur.

— Le rédacteur en chef...quel genre de patron est-il ?

Brett pivota la tête dans ma direction, tandis qu'Angie contemplait discrètement son profil droit.

— Professionnellement parlant, il est le meilleur, affirma-t-il sans l'ombre d'un doute. Il est très investi, et coriace. Ce qui le rend quelque fois très...rude sur le plan relationnel, ajouta-t-il avec un rictus amusé. Mais croyez-moi, on s'y adapte, lorsque l'on croit en ses convictions.

— Qui sont...? L'incitais-je à poursuivre, intriguée.

— Inébranlables, compléta Brett alors que les portes de l'ascenseur se rouvraient. Ne vous laissez pas impressionner comme ça a été le cas avec moi, Joyce. Peu importe ce que dit Alec, vous et Angélina êtes faites pour ce poste...

A...Alec...Alec comment ? Avant que je n'ait le temps de questionner Brett à ce sujet, il prenait déjà la direction de la salle de réunion, Angie sur ses talons, lui rappelant l'usage de son surnom. Alec...voilà bien longtemps que je n'avais pas entendu ce prénom. Ni repensé à celui que je connaissais et qui le porte dans mes souvenirs...Alec était un prénom très courant aux États-Unis, ce devait être une amère coïncidence...n'est-ce pas ?

Je rattrapais mon binôme et mon chef tandis qu'il entrait dans la salle de réunion déjà investie par une dizaines de personnes, quasiment paritaire en terme de sexe, bien plus disparate en ce qui concernait l'âge. Un bruit de talon derrière nous me fit tourner la tête et je reconnus sans peine le visage de la jeune femme du troisième étage du couloir voisin à celui du bureau de Brett. Recoiffée et remaquillée apparemment. Elle passa devant nous avec un sourire aguicheur pour lui avant de s'asseoir. Dans le brouhaha de discussion, je revis également Evan, assit entre une femme d'une quarantaine d'années aux cheveux retenus par un chignon, et un homme un peu plus âgé qu'elle, à sa droite. Deux sièges vides en bout de table, certainement destinés au PDG d'A.J. Investigation et son associé.

— Toujours l'un des derniers à arriver, Brett, l'apostropha un rouquin vraissemblablement plus âgé que moi.

— Toujours avant Alec, Billy, rit-il en s'asseyant à son tour avec un geste vers nous. Je l'imitais, m'installant à sa gauche tandis qu'Angie prenait place à sa droite autour de la table ovale.
Je me penchais discrètement vers lui et murmurais.

— Q-quel est son nom ?

— Qui, notre boss ?

Le temps que j'acquiesce, la porte s'ouvrit dans notre dos et les discussions diverses s'éteignirent pour laisser place au silence. Brett me fit un clin d'œil, sourit à Angie et se leva pour se diriger vers l'une des chaises vide, tandis que des pas claquaient derrière nous. J'allais me retourner avant de voir l'expression presque intimidée d'Angélina, et préférais me concentrer sur ma respiration et mon air de piano préféré. Le rédacteur en chef dépassa nos sièges et son profil entra dans mon champ de vision. Je me raidis instantanément. Il ressemble tant à...Impossible. Je fixais son dos alors qu'il se retournait vers l'assemblée.

— Bonjour à tous ceux que je n'ai pas salué ce matin, s'exclama Brett. J'espère que vous...

Les sons disparurent, le temps s'arrêta et l'espace qui nous séparait, bien que supérieur à plusieurs mètres, me paru dérisoire. Son regard perçant scannait chaque recoin de la pièce, avant de balayer froidement chacune des personnes présentes, comme s'il attendait que quelqu'un le défi.

C'était bel et bien lui. Alec comme...Alec Jones.

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Bonjour tous le monde !!!

Après avoir fait la connaissance de son binôme de travail, Joyce découvre le potentiel d'A.J. Investigation et se retrouve face à son PDG, qu'elle ne semble que trop bien connaître...

Il est temps de faire un petit tour du côté d'Alec pour avoir son point de vue personnel, dans le prochain chapitre...à bientôt !!

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