05.Réunion arrosée

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Note de vocabulaire :

SRDP : Salle de Réunion Du Personnel

Bonne lecture !!!

Joyce

SRDP* d'A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

Mes doigts serraient douloureusement mes genoux sous la gigantesque table mais je me faisais violence pour conserver un visage impassible et calme, malgré les battements frénétiques qui animaient ma cage thoracique. C'est lui. C'est vraiment lui. Alec. L'homme qui m'avait brisé le cœur onze années auparavant, sans la moindre explication ni aucun signe avant-coureur. Notre rencontre, je m'en souvenais comme si elle avait eu lieu l'avant-veille...

Lycée public de Springer, Oklahoma

Novembre 2010

Un cri et des bruits semblables à ceux d'une bagarre se firent entendre dans le fond du couloir. Comme à mon habitude, je préférais éviter les ennuis inutiles, alors je ne m'approchais pas. Un élève que je n'avais jamais vu dans l'enceinte de l'établissement retenait l'un des populaires contre un mur de la salle adjacente à celle de musique, où je souhaitais de base me rendre. C'est qui, lui ? Je fis machine arrière et pris le chemin de la salle d'art.

[...]

J'arrivais en cours d'histoire chargée de mes cahiers pour m'apercevoir que ma place était accaparée par Davis, le joueur de basket pour qui toutes les filles de ma classe avait le béguin. Merde. Est-ce que je pouvais le faire ? C'est pas difficile, hein Joyce. « Tu es assis à ma place, tu peux te lever s'il te plaît Davis ? »
Je m'approchais avec la ferme intention de m'asseoir à ma table habituelle.

— Si-s-S'il te plaît, t-tu peux te l-lever, Da-Davis ?

Mes balbutiements firent tourner toutes les têtes du groupe dans ma direction, celles de ses deux amis et l'une des trois filles, littéralement assise sur sa table, lâcha un bruit écœuré.

— Pourquoi faire, la bègue ? Souffla le joueur en me dévisageant avec un regard mauvais.

—C-c-c'est m-ma p-p-p-place, émis-je en lui résignant ma table.

—Q-q-quel dom-me-me-mage, m'imita-t-il de la manière la plus pathétique possible avec une expression faussement implorante sous l'éclat de rire de ses camarades.

— Abruti, soufflais-je tout bas sans pouvoir le retenir.

Il m'avait certainement entendu car il se redressa soudain et envoya son poing sur la pile de cahiers dans mes bras qui cédèrent. Mes affaires s'étalèrent au sol dans un fracas tandis que Davis me bouscula, hors de lui.

— Tu te prends pour qui, petite garce ? Tu crois vraiment que tu peux me parler comme ça gratuitement, hein ?

Ne dis plus rien, Joyce, tais-toi...
Il m'envoya une trousse au visage que je protégeais juste à temps de l'impact.

Un grand gars cogna l'épaule de Davis sur son chemin. Ce dernier allait se retourner pour le confronter, mais hésita en fixant son dos massif et imposant. J'en profitais pour ramasser toutes mes affaires sans demander mon reste, lorsque le professeur arriva pour poser sa sacoche sur son bureau.

— Veuillez vous installer sans trainer jeunes gens, on a beaucoup de travail à rattraper grâce à vos exploits de la semaine précédente. Oui, vous pouvez rire, Newton, c'est de vous dont je parle. Sans compter que j'ai deux annonces à vous faire...Carson, qu'est-ce que vous faites encore par terre ?

Je récupérais mon dernier cahier d'un mouvement crispé avant de me relever, le souffle court, et fixais ma place habituelle sous le regard moqueur du joueur de basket.

— J'aimerais m-m'asseoir à-à-ma p-place, commençais-je avant d'être interrompue par notre prof.
— Et pour ma part miss Carson, j'aimerais que vous accélériez la cadence lorsque vous ouvrez la bouche, mais on obtient malheureusement toujours ce qu'on souhaite, lâcha-t-il avec exaspération sous les hurlements de rire qui s'élevaient autour de moi. Il y a une place libre à côté de Jones, alors asseyez-vous, que je puisse commencer mon cours.
L'enfoiré. Je luttais contre les larmes et me retournais vers l'unique chaise de libre du fond de la salle, à côté du garçon pour le moins terrifiant que je ne connaissais pas encore. Et que je n'avais pas envie de connaître, ça allait de soit. Je m'approchais de notre table commune et m'installais en relevant que le dénommé Jones ne m'accordait aucun regard, à mon immense soulagement. Certaines filles se retournaient pour l'épier avec curiosité, tandis que d'autres chuchotaient et gloussaient.

— Silence, gronda notre prof avec agacement. Prenez plutôt exemple sur Alec Jones, votre nouveau camarade. On ne risque pas de l'entendre beaucoup puisque...

Le grincement sourd des pieds de notre table résonna ainsi qu'une bruit métallique. Du coin de l'œil, je vis mon voisin laisser tomber son taille-crayon au sol, qu'il venait de broyer dans son poing. Ses yeux étaient plantés dans ceux du prof qui pâlit légèrement.

— Prenez vos livres à la pages 57. Quelqu'un pour lire le chapitre sur la mondialisation ?

— Pourquoi pas Joyce, suggéra Kimberly provoquant un nouvel accès d'hilarité général.

Je serrais douloureusement les poings sur mes cuisses jusqu'à sentir mes ongles s'enfoncer dans mes paumes.

— Arrêtez de plaisanter Sullivan...nous n'avons que deux heures de cours.

Nouveaux rires. Je haïssais les cours d'histoire, mais m'obligeais à ouvrir et fixer mon livre, avant de constater l'inaction de mon voisin. Il n'avait peut-être pas encore eu ses manuels. Je me fis violence et décalais légèrement le mien dans sa direction, de sorte à ce qu'il puisse suivre aussi. Il tourna la tête vers moi et ses prunelles me toisèrent avec un soupçons de colère. Mes yeux s'écarquillèrent et je plongeais vivement mon intérêt sur le chapitre en question.

Pas un merci, pas un seul mot, d'ailleurs, il se contenta de m'ignorer.

Les deux heures passèrent lentement, durant lesquelles j'entendais mon voisin griffonner sur un calepin. à la sonnerie, il se leva le premier et sortit. Je fis ce que je n'avais pas oser faire depuis le début du cours, je pris une grande inspiration en rangeant mon livre, et constatais qu'une feuille plié en deux se cachait dessous.

« J'ai pas besoin de ta sympathie, alors fous-toi ton livre où je pense. »

Je froissais la feuille convulsivement avec une colère croissante. Je voulais juste l'aider...

SRDP* d'A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

Alec ne semblait pas m'avoir aperçu. La voix de Brett se chargea de nous accorder, à Angie et moi, un court moment de lumière duquel je me serais amplement passée.

— Pour ce projet, deux jeunes journalistes viennent d'être recrutées par mes soins, Angélina ici présente, dont les clichés je n'en doute pas, sauront illustrer à la perfection le travail de Joyce, à sa gauche. J'attends de vous un accueil chaleureux pour une bonne intégration au sein de l'équipe. En ce qui concerne le roulement de...

Les prunelles d'Alec, à l'élocution de Brett, passèrent de mon binôme à moi. Son visage était de marbre et son regard demeura inchangé, avant qu'il ne se recentre sur le centre de la salle. Mon souffle s'était tari, et je peinais à respirer. Focalisant mon attention sur mes mains qui pianotaient sur mes genoux, je retrouvais lentement l'usage de mes voies respiratoires, encore sous le choc. Il ne m'a pas reconnu ? Mon regard, de temps à autre, se permettait de le chercher des yeux, mais il ne me prêtait aucune attention. Aucune reconnaissance, même pas de la colère...Rien. Un sentiment étrange m'assaillit, proche de la dévastation. Il m'avait oublié. Alors que j'avais mis des années à me remettre de son départ, lui...Il avait aisément tourné la page, jusqu'à l'oubli de mon visage. Je n'avais visuellement pas tant changé pourtant.

La réunion s'acheva sous les encouragements de Brett et un clin d'œil de sa part pour nous deux, auquel Angie répondit avec un immense sourire en levant les deux poings. Alors que tout le monde quittait la SRDP, une voix métallique et sans timbre me figea sur place.

« Mademoiselle Carson. »

Echappée du portable d'Alec, mon nom me paraissait presque être celui d'une inconnue. Il se souvient de moi ? Qu'est-ce qu'il aurait à me dire, autrement ? Je levais les yeux vers lui, interdite et rencontrais les siens, froids.

« Ayez à l'avenir l'obligeance de frapper à la porte de mon bureau avant de vous y introduire, vous n'y êtes pas chez vous. »

Ma bouche s'entrouvrit légèrement tandis qu'il me passait devant sans accorder plus d'attention à mon visage qui s'enflammait de surcroit.

Bar du Krocs, proche Midtown, Houston, Texas

Octobre 2023

— A votre embauche les filles ! S'extasia Emma en choquant nos cocktails avec enthousiasme, au point d'en répandre quelques gouttes sur la table sous l'éclat de rire d'Angie. Racontez-moi tout, je veux absolument tout savoir sur votre boite !

Une heure que nous étions dans ce bar bondés et que nous échangions sur nos vies respectives, à mon initiative. Malheureusement ma sœur enjoint trop rapidement mon binôme à donner les détails que j'avais espéré se perdre, comme le nom de notre rédacteur en chef. J'interviens.

— Angie l-lâche déjà des œillades, souris-je malicieusement.

— Joyce, tu es aveugle ou quoi ? S'exclama cette dernière en levant les yeux au ciel. Bien sûr que j'y réponds, Brett est trop canon ! Et bien plus avenant que le PDG, même si lui aussi est à tomber. Oh, oui, compléta-t-elle à mon plus grand damn, notre grand patron n'a pas décroché un mot de toute la réunion et il a laissé son bras droit nous faire le speech. Je me demande si on va souvent être amenées à travailler avec Alec Jones, il a l'air très antipathique.

Le regard d'Emma changea, avant qu'elle ne le darde sur moi.

— Elle a dit Alec Jones ? Joyce, c'est LE Alec ? Grinça-t-elle avec sévérité.

Mon expression suffit à lui donner sa réponse, tandis que je baissais les yeux avec résignation. Contre toute attente, mon aînée frappa du poing sur la table.

— Démissionnes, Microbe.

Angie fixa ma sœur, les yeux ronds.

— Tu es folle, une place chez A. J. Investigation, ça ne se jette pas à la poubelle !

— Cet enfoiré ne mérite pas que tu travailles pour lui, dit-elle sans tenir compte de l'intervention de ma collègue qui ouvrit des yeux ronds comme des gallots.

— Vous le connaissez ?

Avant que je ne puisse en placer une, Emma me coupa avec hargne.

— Alec est un enfoiré, et comme la grosse merde qu'il est, il a fait pleuré ma sœur il y a une dizaine d'années.

—Em, soufflais-je.

— Tu ne dois pas t'obliger à bosser pour ce gros con, petite sœur, assena-t-elle en attrapant ma main pour la presser entre les siennes. Des bonnes boîtes, y en a pleins.

Tu plaisante ou quoi ? Je secouais la tête.

— J-je veux travailler là-bas, dis-je d'une voix sourde. C'est notre ch-chef de projet que je vais c-certainement le p-plus côtoyer.

Le regard d'Emma passa de la douceur à l'inquiétude. Je lui souris et me mis à tapoter le rebord de la table de ma main libre.

— Tu ne dois pas t'inquiéter Em'. Alec semble avoir tourné la page et il n'est pas le seul. Pour l'instant, je veux profiter de cette soirée entre filles et apprécier la bonne nouvelle ! Ajoutais-je avec un engouement que je ne ressentais pas.

Le reste de la soirée s'acheva sur des anecdotes, une ambiance pour le moins euphorique et un abus sur la boisson de la part de ma sœur. Avec un regard d'excuse envers Angelina, je raccompagnais ma sœur chez elle. Le plus laborieux resta l'ouverture de la porte d'entrée, et les pas mi—dansants mi—titubants qui la conduisirent jusqu'à sa chambre, non sans mon aide indispensable.

— J'ai...peut-être un peu abusée, ricana-t-elle dans un hoquet, alors que je l'aidais à retirer sa veste.

Non, tu crois ? Je gonflais les joues en la poussant gentiment dans son lit.

— Pourquoi il faut toujours que ce soit moi la moins responsable, sifflais-je entre mes dents avant de la dévisager.

— Tu vas pas le laisser te marcher dessus, pas vrai Joyce ? Bougonna mon aînée alors que sa tête touchait l'oreiller. Tu vas lui montrer, bailla-t-elle.

— C'est ça, exactement, soufflais-je, tandis que je tirais sur le talon de sa botte. Ce qui faut pas faire...

— Personne n'a le droit...de causer du tort à mon Microbe, articula-t-elle difficilement en me tournant le dos, apparemment prête à rejoindre Morphée.

— Je vais te laisser un seau et de l'eau à portée. Tu as besoin que je reste ? Lui demandais-je.

Elle me répondit par un grognement inaudible, et je soupirais en fermant la porte de sa chambre pour me rendre au salon, pensive quant à la manière dont Alec m'avait apostrophé, avant que je ne quitte la réunion. Je ne savais pas quoi en penser. Allais-je laisser les choses en l'état et continuer d'agir comme si nous étions deux inconnus ?

Qu'il avait-il à rajouter, seulement ?

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Bonjour à tous !!!

Je me suis plantée en beauté dans mes prévisions, c'est Joyce qui a prit la parole, et je trouve que c'est bien mieux ainsi ^^

(Navrée si quelques fautes se sont glissées dans ce nouveau chapitre, j'y remédierai plus tard, évidemment)

Reste, normalement, à savoir ce qui se passe dans la tête d'Alec et cette fois, c'est presque certain, il répondra pour nous à quelques unes des interrogations de Joyce dans le prochain chapitre...à bientôt !

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