12.Rejet et au revoir

9 minutes de lecture

Brett

A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

J'arrivais bien plus tôt qu'à l'accoutumé au journal, et s'il y avait bien une personne que j'escomptais trouver en premier, c'était une charmante demoiselle et plutôt qu'un pote en colère. J'expirais de soulagement en apercevant la sublime blonde attendre l'ouverture des portes de l'ascenseur et avançais vers elle pour l'arrêter.

— Angélina ! Merci d'être venue en avance aujourd'hui, lui sourie-je chaleureusement en me détestant pour ce que j'allais entreprendre. J'ai besoin de vous demander quelque chose d'assez délicat mais...un café pour commencer, ça vous tente ?

Ses prunelles semblaient s'être mises à scintiller à mon approche et je me retins de la déshabiller du regard. Sa tenue était certes, très éloignée des codes conventionnels et du style sobre de la plupart des employés de la boîte. Mais c'était ainsi qu'elle brillait. Littéralement d'ailleurs. Sa silhouette élancée, parfaitement mise en valeur avec un haut à paillettes, complétée par un pantalon bordeaux et satiné, épousant impeccablement la forme de ses hanches, surmonté d'un ceinturon où...Mince, plus haut, on a dit. Ses yeux.

— Angie, me corrigea-t-elle aimablement. C'est tout à fait normal Brett. Avec plaisir.

Même son maquillage, discret mais bonifiant, s'assortissait à ses vêtements. Ses grands yeux bleus dévoilaient un tempérament de feu paradoxalement à son apparence soignée. Ce fut la première chose qu'elle m'avait annoncé en pénétrant dans mon bureau le jour de l'entretien d'embauche. « Ne vous fiez pas aux apparences, monsieur Samson, je n'ai absolument pas peur de me rendre sur des sites difficiles d'accès dès lors où je peux prendre de bons clichés. J'ai toujours un sac de rechange pour ce type d'occasion ! », avait-elle annoncé fièrement en sortant de sa sacoche un bas de survêtement et une paire de tennis sous mon regard amusé.

Je me réprimandais intérieurement encore une fois pour mon examen un peu trop prolongé en l'invitant à m'accompagner. Une fois le gobelet entre ses mains, je fis couler un second café pour moi en tentant de choisir au mieux mes mots.

— L'affaire sur laquelle travaillait Joyce jusqu'à hier lui a été retiré.

Le coup d'œil que j'octroyais à son expression me confirma qu'elle était déjà au parfum. Le message que j'avais eu en réponse de la part de son binôme avait été tranchant.

Joyce Carson

« Je déteste être destituée d'un projet en cours. Je n'ai pas l'intention d'acquiescer sagement. Ca va bien au-delà d'un simple poste, sachez-le, j'ai toujours fonctionné ainsi. Alors je vous informe que j'irai m'entretenir avec le rédacteur-en-chef dès demain, quelle qu'en soit les conséquences. »

Elles n'allaient pas me rendre la tâche facile, je le savais par avance.

— Et je pense que vous le savez, alors je ne prendrais aucun détour, affirmais-je en la regardant dans les yeux. Vous devez la convaincre d'abandonner. Il y a d'autres sociétés qui réclament de l'attention, mais celle-ci n'est plus de son ressort. Peut-être vous écoutera-t-elle, en qualité de co-équipière...ou même d'amie, supposais-je.

Les sourcils d'Angie se froncèrent.

— Vous me demandez de la convaincre de ne pas se battre pour une cause qui lui parait injuste, clarifia-t-elle avec une désapprobation évidente. Sans qu'aucune raison ne lui ait été fournie ? Même moi, je blâmerai la décision. Vous ne pouvez pas me demander ça !

On avait vraiment atterris dans un siècle où la supériorité hiérarchique n'inspirait plus la moindre crainte pour personne. Non pas que j'appréciais le fait d'en user et j'étais foncièrement le premier ravi, peu importait les conséquences, même si je butais contre le camp de mon meilleur pote. J'inspirais profondément en fermant les paupières un instant, puis hochais la tête en retrouvant ses iris, choisissant la diplomatie.

— Vous formez un excellent duo Angie, et le boss n'a pas ma patience d'explication. Cette affaire est réellement dangereuse.

— Je connais les risques de notre profession et Joyce les connais aussi. Vous nous aviez prévenu que...

— Joyce va se faire broyer, l'interrompis-je. Je ne remets ni en cause votre détermination ni votre courage, mais les grands patrons de cette société pèsent tellement lourds qu'une disparition aussi anodine que celle d'une simple journaliste ne leur poserait aucun problème. Si le PDG récupère cette affaire, c'est pour une question de sécurité, insistais-je. Le nombre de ses partisans et ses relations sont suffisamment grandes pour qu'on ne puisse pas l'approcher aussi facilement, et encore.

L'inquiétude commençait petit-à-petit à se manifester dans les yeux de la photographe qui les baissa avant de retrouver mon visage. Je jouais une carte sensible et culpabilisais quelques peu, mais je ne pouvais pas révéler à Angélina qu'Alec reprenait cette affaire pour raison personnelle. Je ne lui mens pas après tout, le danger est bien réel.

— Parlez-lui, insistais-je avec ferveur, c'est en grande partie pour votre protection à toutes les deux que nous faisons ça.

— Il y a une autre raison ? Me questionna-t-elle en me fixant attentivement avant de boire une gorgée de son café.

— J'ai décidemment eu raison de vous choisir, lui répondis-je un ton plus bas. Vous avez la curiosité et le soupçon d'effronterie qu'il faut pour ce métier, ajoutais-je avec un sourire enjôleur et une œillade qui, me sembla-t-il, ne la laissa pas de marbre.

Elle accepta la porte de sortie et nous finîmes notre pause sur un dialogue beaucoup plus léger avant de monter dans l'ascenseur pour rejoindre l'étage. Alors qu'elle allait arriver au sien, elle se tourna vers moi en se mordillant la lèvre inférieure une fraction de seconde. Pleine juste ce qu'il fallait. Comme j'aurais aimé mordre dedans. Je me repris en découvrant son sourire.

— J'ai deux places pour le match de vendredi soir qui oppose Arizona contre Texas pour l'ouverture des World Series. Vous voudriez m'accompagner ? Me proposa-t-elle.

Putain, oui j'aimerais ça ! Je me figeais imperceptiblement. Je suis son supérieur, je ne peux pas faire ça. J'étais tiraillé par l'envie d'accepter, alors que ma conscience me sommait impérieusement de refuser, incertain de rester sur un terrain professionnel. Mon combat entre la morale et ce que je voulais vraiment ne dura pas longtemps. Bien sûr que je le voulais.

— J'en serais ravi Angie, malheureusement j'ai déjà des projets pour vendredi soir.

Quel con. Ses épaules s'affaissèrent à peine, juste suffisamment pour exprimer sa déception, et j'avais envie de m'étrangler. Mais elle ne se départie pas de son sourire.

— Oh, dommage ! Je proposerai à Joyce dans ce cas, lâcha-t-elle sur un ton enjoué avant de sortir de l'ascenseur.

Les portes se refermèrent et je m'adossais au mur dans mon dos avec abattement. Je travaillais avec elle depuis seulement deux semaines, alors que j'avais bossé pendant des mois aux côtés de subordonnées féminines au physique non moins élogieux. Je les avaient dispensées du même traitement sans distinction, alors que je me cherchait toutes les excuses possibles pour éviter d'investir le deuxième étage à tout bout de champ, à l'heure actuelle. Pourquoi ça me foutais dans cet état ? La réponse s'imposa d'elle-même. Elle était charmante. Pleine d'entrain, de vie. Pétillante. Audacieuse. J'avais envie de la connaître.

Angélina

A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

Non mais quelle cruche ! Qu'est-ce qui m'avait pris, moi encore ?

« Oh, dommage ! Je proposerai à Joyce dans ce cas ». Ca relevait du rattrapage de l'extrême. Je soupirais en m'asseyant sur ma chaise avec un sentiment de déprime naissant. Ses sourires, sa façon de me regarder et son côté avenant m'avait fait supposé qu'il partageait peut-être mon attrait, mais je m'étais royalement plantée. Il fallait me rendre à l'évidence. Il n'avait fait aucune contre-proposition suite à son refus, donc c'était claire comme de l'eau de roche. J'espérais que son attitude n'allait pas changer avec moi. Non mais quelle cruchonne !

La sacoche de Joyce s'écrasa sur le bureau commun, me faisant lever les yeux vers son air furieux. Lorsqu'elle aperçut mon manque d'entrain cependant, elle s'assit en face de moi.

— Un p-p-problème ? Bégaya-t-elle avec une inflexion soucieuse dans la voix.

— Tu as en face de toi la plus grande gourde de l'humanité. Je viens de demander à notre chef sexy de sortir pour aller voir un match baseball.

Elle écarquilla les yeux et s'approcha.

— Heu...

— Voilà, il a fait exactement la même tête que toi avant de refuser, et avec le sourire en prime, soupirais-je de nouveau. J'ai même pas parlé de rendez-vous.

— Il n'aime peut-être pas le baseball. Tu veux un café ? Suggéra-t-elle avec compassion en me tendant le sien.

— Si je peux me noyer dedans, soufflais-je avant de secouer la tête et de claquer mes mains ensemble. Bon, c'est pas grave ! Je vais m'en remettre. Je vais aller regarder Arizona Diamondbacks se faire éclater par les Texas et me trouver un bellâtre sur place, plaisantais-je avant de sourire à ma collègue. Tu m'accompagnes ? Non, ajoutais-je découvrant son expression contrite, ne me lâches pas toi aussi !

Elle pouffa avant d'accepter.

— Consoles-toi en te rappelant que ta situation n'est pas la seule catastrophique, souffla-t-elle en faisant cliqueter son stylo sur la table. Je vais devoir te laisser le temps d'aller retrouver mon ex SLASH rédac-chef SLASH meilleur ennemi SLASH voleur d'enquête, boucla-t-elle en se relevant.

— Heu, alors attends, m'exclamais-je. Tu devrais éviter. Il ne te retire pas cette affaire pour rien.

J'utilisais les mots de Brett avant de résumer notre échange, non sans montrer mon angoisse.

— Je ne pense pas qu'il dise tout et il doit y avoir une autre raison, soufflais-je, mais il a raison sur un point. Ce n'est pas à toi d'endosser cette responsabilité si le boss t'en décharge.

Elle secoua la tête.

— Je ne peux pas laisser tomber, Angie. Moi aussi, j'ai une bonne raison de continuer.

Je la regardais se lever, l'air calme mais emprunt de détermination et me questionnais. Chacun semble avoir des motivations plus que personnelles à poursuivre cette affaire. Je me promettais d'interroger Joyce plus tard.

Joyce

A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

Je frappais énergiquement à la porte du rédac-râleur-en-chef et entrais sans prendre la peine d'attendre d'y être invitée. Je tombais immédiatement sur le regard froid d'Alec, debout face à son bureau. Ses cernes se voulaient plus violacées que la veille et ses traits tirés indiquaient clairement qu'il avait peu ou mal dormi. Ses prunelles encore plus glaciales que d'ordinaire, si j'étais honnête, m'apparaissaient comme terriblement flippantes. Je regrettais presque de ne pas m'être pointée à son bureau munie d'un café à lui poser. C'est pas ton problème Joyce, penses à toi. J'avais aussi eu du mal à trouver le sommeil et la cause se trouvait en face de moi.

— Je viens vous faire savoir que je refuse d'abandonner cette affaire, affirmais-je avec un aplomb que je m'efforçais de ressentir et d'afficher. Je ne peux pas laisser un dossier en suspens.

Du coin de l'œil, je le vis desserrer le poing pour plonger la main dans la poche intérieure de sa veste en m'octroyant un rictus sardonique et en sortir son portable avec nonchalance.

« Je ne vous laisses pas le choix Carson, c'est un ordre. Vous oubliez ce dossier et vous vous concentrez sur ceux que Brett vous a d'hors et déjà transmis par mail. »

— Je ne peux pas, répétais-je avec compulsivité en tapotant l'extérieur de ma cuisse du bout de l'index avec discrétion. Je dois terminer. Laissez-moi vous aider à...

« Je n'ai pas besoin de votre aide, vous allez m'encombrer. »

J'étais inutile. Une douleur fit vibrer ma poitrine et un mélange de colère, de frustration profonde et d'angoisse latente commençait à grimper en moi. Mon souffle s'accélérait sans que je ne parviennes à le maîtriser. S'il te plaît, ne me fais pas ça Alec. Tu sais que c'est vital pour moi de...

« Dehors, Carson. »

Mon nom prononcé d'une voix sans timbre et âcre racla mes oreilles et la colère reprit le dessus, annihilant mon départ de panique.

— Dans ce cas vous n'avez qu'à me virer ! Je ne veux pas ! M'étranglais-je presque.

Il me considéra en silence durant une minute avant qu'un sourire ne franchisse ses lèvres.

« Parfait. vous êtes licenciée. Dégagez, maintenant. »

-------------------------------------

Bonjour tout le monde !!!

Voilà un chapitre inattendu où Brett choisi la morale à ses fantasmes, où Angélina ne se laisse pas abattre après un rejet, où Joyce s'affirme et révèle un trouble sous-jaccent... avant de se fait virer (voilà qui donne une nouvelle fois l'envie de détester le personnage d'Alec x)

La carrière de Joyce au sein de l'A.J. semble définitivement terminée, alors que va-t-elle faire par la suite ? Il y a de fortes probabilités que nous le découvrions au chapitre suivant ! A bientôt !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Rose H. Amaretto ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0