39.A demi-mot

9 minutes de lecture

Alec

Brenham Ct, Houston, Texas

15 Novembre 2023

Je vais devenir dingue !

Marc Weaton, appelé par Brett, avait répondu présent. Tout d’abord rebuté de me voir, son visage avait exprimé un dégoût ostensible à la découverte de mon dépôt de plainte.

« Plus ils en ont, plus ils en veulent », avait-il marmonné en secouant la tête. Je me foutais royalement de son opinion. L’essentiel, c’est qu’il accepte d’entreprendre des recherches officielles. L’inspecteur n’était cependant pas parvenu à trouver la moindre image portant le matricule de la voiture suivant le treize Novembre. Le pote de mon bras droit avait assuré qu’il y travaillait encore, étendant le périmètre jusqu’aux limites des deux Etats. Les caméras de surveillance de l’hôtel n’avaient rien donné, pas plus que celles du centre de Gainesville et alentours. Elle ne s’est tout de même pas volatilisée en une nuit !

Plus tôt dans la soirée, l’inspecteur de Gainesville, dont je n’avais pas fait le moindre effort pour retenir le nom m’envoya un mail accusant réception, suivi d’un « si votre véhicule n’est pas retrouvé ou restitué dans les vingt jours et en fonction de votre assurance, il pourra être remplacé ou remboursé… ».

Rien à péter de cette caisse, moi je veux retrouver sa passagère !

Harassé et sur les nerfs, je repoussai mon clavier en jetant un œil au réveil, qui indiquait vingt-deux heures quatorze. Voilà deux heures que je n’entends pas un bruit, ni depuis la cuisine, ni d’aucune des chambres. C’en est suspect.

Fritzberg, qui ne me lâchait plus d’une semelle, se montrait exécrable depuis la disparition de Joyce. Tour-à-tour, elle se fustigeait, jurait, pestait, puis se remettait au travail. Cycle infernal duquel elle ressortait systématiquement plus emmerdante qu’auparavant.

« J’ai raté quelque chose que Joyce a trouvé, c’est obligé ! », se lamentait-elle.

Hors de moi et incapable de trouver les phrases pour la rassurer sur le long terme, je l’avais foutu hors de mon bureau. Et maintenant, je me demande ce qu’elle fout.

Mon regard se porta sur mon téléphone, puis celui de Joyce, branché sur la table basse. Enfin chargé. Je me levai pour aller le débrancher. Puisque la géolocalisation n’a rien donné sur le pro… J’allumai son téléphone pour le consulter, m’impatientant. S’il existe ne serait-ce qu’une chance pour y trouver une piste, des coordonnées rentrées sur Google maps, une recherche internet quelconque… Brett avait passé plus d’une heure le matin même à fouiller minutieusement son bureau, ses pc, sans résultats.

Et une fois de plus j’en arrive à la même conclusion. Rien. Bordel. Je notai qu’un message, resté en brouillon, m’était directement adressé. Merde, Carson ! Est-ce que tu m’as laissé une indication pour te retrouver ? Est-ce que c’était là, depuis des heures, dans ton tél ?

Moi

« Ne conclus-tu jamais une affaire qu'en ayant tous les éléments en main ? Pour ma part, je viens enfin de le faire. »

A ma grande surprise, je découvris trois photos d’un texte manuscrit, que je lu avec attention. C’est de sa main. Les miennes me parurent moites, ma salive passait difficilement dans ma gorge au fil de ma lecture. Alors que j’arrivais à la fin du troisième extrait de son journal, mon palpitant hurlait à ma place dans ma poitrine. J’eus l’impression que je venais d’encaisser un coup de poing dans les tripes. Carson. Alors que toutes mes certitudes acquises à torts s’effondraient avec la fragilité d’un château de cartes, je réalisai l’irrégularité de mes inspirs.

Joyce

Cette fille que je m’étais complus à détester, à en vomir le prénom.

Joyce

Cette femme à qui j’avais estimé ne jamais pouvoir pardonner ses mensonges et son acte de trahison.

Joyce

Celle-là même que j’avais laissé souffrir sous mes yeux en la traitant de traitresse par le passé.

Joyce…

Que je laissais souffrir encore au présent, puisque j’étais dans l’impossibilité de la protéger, de la réconforter alors qu’elle était très certainement retenue contre son gré.

Le traître…c’est moi.

Je ne réalisai pas immédiatement que mes membres tremblaient. J’étais gelé et moite tout à la fois en dépit du loft surchauffé. Au bord de l’implosion, j’essayai. Du bout des lèvres, je tentai, de toutes mes forces.

— J…

Pardon, Joyce. J’essayai encore, alors que ma vision se flouait.

— …

Où es-tu, Joyce Carson ?

— J…Joy…

L’expir quasiment inaudible qui s’extirpait à grand peine de ma bouche me donna envie de fracasser chaque objet présent dans cette pièce. La sonnerie d’un mail me fit sursauter, mettant un terme brutal à ma colère, dirigée à l’encontre de nul autre que moi-même.

« De : prison d'état de Houston. Objet : demande de parloir. Monsieur Jones, veuillez trouver ci-dessous votre autorisation de visiter le matricule dans l'institution de haute sécurité de l’’Etat. »

Voilà quatre ans que je n’avais plus tenter le moindre coup de fil aux trois centres pénitenciers. J’avais envoyé une véritable bouteille à la mer, quelques jours plus tôt. Et cette fois…

J’appuyai plus brutalement que nécessaire sur le clic droit de la souris en fixant le numéro que j’avais vu de nombreuses fois. Thomas. Le droit de visite était fixé au lendemain.

Dix ans pour qu’il accepte enfin.

Dès ma sortie de l’hôpital psychiatrique, j’avais rassemblé tout ce que la presse se complaisait à cracher sur le compte des trois tireurs. Près d’un an plus tard, j’avais trouvé le la force de faire une demande de visite. J’avais voulu voir leur visage, connaître leurs motivations. Comprendre. Et, surtout, les pousser à parler, à me révéler le nom de leur complice. Dernier argument que, bien évidemment, j’avais tenu secret face à ma psychiatre. Elle avait donné son accord, jugeant ma requête valable pour un meilleur chemin vers « l’acceptation et le deuil de mon passé ». En vain. J’avais poireauté comme un con dans le couloir, mais aucun d’eux ne m’avait fait grâce de leur présence. J’avais réitéré mes demandes de visites, mais jamais je n’avais obtenu gain de cause. Jusqu’à aujourd’hui.

Moins d’une vingtaine d’heures à attendre.


Angélina

Brenham Ct, Houston, Texas

15 Novembre 2023

Je prenais des notes sur chaque photo qui me passait devant les yeux. Disposition des objets, contenu des dossiers que j’avais photographié, jusqu’à la couleur des Bic utilisés pour les signatures et la police d’impression des documents. Des pas se firent entendre, mais je n’y prêtai pas attention, les yeux rivés sur le logo en bas de page.

— C’est bizarre on dirait qu’ils l’ont foiré sur certains rapports, marmonnai-je.

« C’est quoi ce foutoir, Fritzberg ? Une vendetta contre les forêts d’Amérique du nord ? »

Je levai finalement la tête pour caresser du regard l’état du comptoir de la cuisine, lequel était jonché de boulettes de papier que j’avais rageusement ou compulsivement constituées au gré de mon humeur. Et en effet, j’ai vidé au moins sept ou huit calepins entre mon bureau improvisé et le sol. Je levai les yeux vers mon PDG polaire avec un brin de sarcasme.

— Avouez que j’écris plus que vous, patron.

Il jaugea un instant mon demi-rictus d’un œil sévère, se pencha pour ramasser l’une des feuilles froissées qu’il déplia et parcourut, puis se mit à de pianoter de nouveau.

« Je m’exprime autant que nécessaire, rétorqua-t-il, saisissant très bien l’allusion à son manque de discussion. Vous avez trouvé quelque chose ? »

Mes sourcils se froncèrent en réponse, témoignant du résultat toujours insignifiant des dernières heures écoulées.

« Lorsque vous aurez fini, faites une pile et détruisez-moi tout ça avant que nous ne finissions enseveli. Demain, je me rends à la prison centrale. »

— La prison où sont détenus Thomas et Joshua, me souvins-je.

« Vous m’accompagnez ou vous restez ici ? », questionna son portable d’un ton monocorde.

— Pour quoi faire ? La priorité c’est de retrouver Joyce, pas d’obtenir des preuves ou des aveux à l’encontre de Riley Hart, m’exclamai-je. Et puis vous n’avez plus de voiture pour l’instant.

« J’utiliserai la vôtre ou prendrai un taxi. Est-ce que vous m’accompagnez, oui ou non ? »

Sidérée, je le dévisageai en me levant.

— Votre priorité, ce sont les Hart ? Vous vous fichez pas mal de vôtre employée disparue !

Cette fois, les iris d’Alec devinrent glaciales. Il me darda longuement et sans me lâcher du regard, il s’approcha de moi et saisi un cayon. Ses mots se gravèrent avec tant de force sur le papier que j’en entendais presque ses hurlements inaudibles.

« Où est passé l’investigatrice qui voulait fouiller tout le comté il y a moins de quarante-huit heures et que Brett a sommé de se calmer ? Celle qui grince des dents à la pensée de rester coincée dans un bureau ? Votre derrière bien confortablement installé sur un siège, est-ce que vous avez progressé… ? Je n’ai pas entendu de réponse affirmative, Fritzberg ! »

Ses questions et son affirmation me percutèrent plus encore que son expression. Il est à bout et hors de lui, lui aussi. Et bien qu’il m’en couta, je ne pu faire autrement que d’admettre qu’il était dans le vrai. Sa tirade écrite ne s’arrêta pas là.

« Ces enfoirés ont grandi ensemble, ils se connaissent très, trop bien, même après toutes ces années ! Si je coince Riley, je retrouve Carson. Alors continuez à écumer vos précieux clichés, mademoiselle la photographe de terrain. Je me contenterai d’un taxi. »

Furibond, mon chef rebroussa chemin et remonta vers l’étage, renversant un lampadaire sur son passage.

Quel ours mal léché ! Il ne peut vraiment pas s’en empêcher ! Je louchai presque sur le mot qu’il venait de m’écrire avec l’impression de prendre une bonne gifle, bien méritée.

J’avais failli céder à la panique à la confirmation de l’enlèvement de mon binôme et pour couronner le tout, mes recherches ne menaient à rien. Investigatrice en carton, voilà ce que je suis. Abattue, je me laissai choir sur le tabouret, fixant les innombrables pages chiffonnées sans réellement les voir. Si seulement je pouvaisj’espère tant qu’aucun mal ne lui ait été fait ! Je me sentis de nouveau rattrapée par mon angoisse mortifère, celle qui rongeait silencieusement mes entrailles, mes forces, mon courage. Où es-tu binôme ? Quel genre de malfrat t’a emmené et où ?


***


Brenham Ct, Houston, Texas

16 Novembre 2023

Je m’éveillai en sursaut, proche de tomber du tabouret à l’entente d’un claquement sec. La porte d’entrée. Je balayai le sol, puis le comptoir immaculé du regard en étirant le haut de mon corps endolori. Tiens, j’ai oublié celle-là. Constatant qu’une preuve de mon travail de la veille subsistait, je me penchai pour me munir de la page restante, et mes yeux s’arrondirent.

« Je n’abandonnerai pas, je sais que vous non plus. Accrochez-vous Fritzberg, on va la retrouver, et vous retournez ensemble sur le terrain, sans protection ni escorte. Débrouillez-vous pour le café, fouillez les tiroirs, et retournez bosser. Débrief en fin de journée. Alec-râleur. »

Parce qu’en plus de ne pas ignorer le surnom le moins flatteur que lui donne Brett… il vient de le reconnaitre ?! Passée la surprise face à la signature, je relu une nouvelle fois sa note, ses simples mots faisant déborder mon cœur de détermination. Oui, chef !


Alec

Brenham Ct, Houston, Texas

16 Novembre 2023

Je sortis du centre pénitencier d'Houston, le cœur encore battant. Je le tien. J'ai enfin quelque chose de concret avec un témoin à l'appui. Ayant obtenu l'un des deux droits de visite express que j'avais requéri, je n'avais qu'une seule demi-journée pour voir les deux premiers meurtriers, le troisième étant étroitement surveillé, en isolement pour émeute. Si Joshua s'était montré trop retissant à me parler, Thomas, lui, avait fini par craquer.

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Bonjour tout le monde !!!

Un moment d'abattement pourAngie, à qui son binôme man,que cruellement. Et ne va rien lâcher. Alec, quant à lui, s'apprête à multiplier les interrogatoires. Ce chapitre nous permet d'entrevoir un coté de lui plus soucieux de ses équipes - Alec, c'est bien toi? -.

Au prochain chapitre, le flambeau de la narration lui sera une nouvelle fois prêté, et ses prochains échanges lui seront des plus utiles....à très vite !

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