40.Case prison
Alec
3h heures plus tôt, centre pénitencier d’Houston, Texas
16 Novembre 2023
Les couloirs étroits, d’un blanc mat immaculé, ne renvoyaient cependant que peu la lumière du jour. Plus j’avançais en compagnie d’un agent à la carrure aussi imposante que la mienne, plus j’avais la sensation que la couleur gris sombre du sol s’étirait pour s’étaler de part et d’autre de nous. Illusion d’optique. On m’avait fait fouiller, sevré de tout objet tranchant ou contendant avant d’inspecter une nouvelle fois mon autorisation. Me fus permis de conserver portable, calepin quelques effets personnels et, à titre exceptionnel, mon stylo, à condition que je conserva ce dernier hors de portée du prisonnier, et ce, sous la surveillance constante, quasi étouffante du gardien. J’entendais presque le sarcasme de Brett « le cadre idéal pour un date, quoi ».
Je fus invité dans une pièce disposant d’un miroir, d’une caméra, d’une table entre deux chaises pour toute parure. Je m’installai, sans hâte, d’apparence calme, alors que le sang pulsait dans mes tempes, altérant faiblement les sons.
— Dickens, te fais pas prier, beugla le surveillant alors qu’une silhouette hésitante se devinait au bas de la porte. Celle-ci s’ouvrit, et un homme au cheveu brun et court, l’œil marron, s’approcha encore plus lentement que je ne l’avais fait de son siège pour y prendre place, les deux paumes en évidence vers le maton. Outre sa carrure fine mais athlétique, ce qui me frappa en premier fut sa gestuelle.
— Y a pas l’feu, Garry, lâcha-t-il d’une voix légèrement éraillée.
Tout dans son attitude laissait transparaître une désinvolture certaine, mais lorsque ses yeux désabusés se posèrent sur moi, ils s’assombrirent, nettement contredit par le rictus amusé qui passa sur son visage. Il me dévisagea un long moment, singeant mon silence et lui retournai son regard, alors que leurs visages flashaient sous mes prunelles. Evan. Des gens qui hurlaient. Il se pencha sur sa chaise, comme pour installer une connivence entre nous, sous l’œil acéré du gardien de prison.
— Il avait dit que tu viendrais, commenta-il.
Qui ça, il ? Joshua ?
Les couloirs sombres, les portes coupe-feu. Les toilettes. Kara. Lui.
— Tu te demandes pourquoi j’suis venu cette fois, pas vrai ?
Dans un mouvement lent mais très conscient, je hochai la tête, toujours rivé sur la gueule de Thomas. Il est là, à portée d’un coup de tête, de mes mains. Je me visualisai aisément, mes doigts encadrant son cou, oppressant sa carotide jusqu’à en faire éclater tous les vaisseaux. C’était toujours là, sous-jacent la façade d’impassibilité, cette envie de le ramener à l’état d’amas de chair, de sang. Une autre vision se calqua sous mes rétines, le sourire d’Evan, puis ses yeux vides. Alors que ceux du meurtrier s’obstinent à me fixer. Ce dernier s’affala sur la chaise métallique pour remettre un peu de distance plus de distance entre nous, comme s’il avait perçu la folie qui habitait mes yeux.
— J’étais curieux de savoir ce qu’un survivant pouvait bien vouloir d’un salaud qui croupit en taule après toutes ces années, avoua-t-il en balançant sa tête vers l’arrière pour fixer la paroi dans mon dos. Hey, Gary, t’as pas une clope ? Ou Matt ?
Le gardien grogna en le voyant lever le bras pour faire un signe au miroir sans teint.
— Ta gueule Dickens, on n’est pas buralistes et t’es pas là pour ça.
Je sortis mon calepin, puis inscrivit lentement deux phrases dessus avant de replacer mon stylo dans ma poche interne, puis repoussai le support vers Thomas. Il me jaugea un instant, puis, comme s’il avait la journée devant lui, s’en saisit et le parcourut.
— Je pensais que tu me demanderai en premier pourquoi j’avais vrillé à l’époque, admit-il. Bien sûr que je me souviens de toi. Tu t’es interposé quand un emmerdeur…Sully-la-grande-gueule se défoulait sur moi, une fois, une seule. C’aurait été bien si t’avais recommencé, j’aurais pas dit non.
Quelques secondes passèrent avant qu’il ne réagisse à la seconde question, se verrouillant.
— Mes liens avec… ? Aucun, j’ai rien à voir avec un multimilliardaire.
Me prends pas pour un con.
« Il était présent. Vous étiez quatre au bahut le 29 Janvier 2009 au matin. »
Sous mon froncement de sourcil, il poursuivit avec plus d’impatience, brisant le calme feint de la pièce.
— C’est à ma place que tu vas finir, et moi à la morgue, même si ça, tu t’en fous, cracha-t-il dans un court accès de gaîté mensonger. J’en ai vu d’autres défiler, des demandes de parloirs. Même des noms que je ne connaissais pas. Des dizaines de miraculés qui voulaient satisfaire leur soif de curiosité. Des familles de victimes qui voulaient comprendre, avoir une posture, en plus d’une tronche à haïr. Même des inconnus, y en a eu beaucoup. Les médias aussi, je suis devenu une vraie célébrité. Autant de demandes que j’ai refoulé.
Il commença à se balancer sur sa chaise, le regard soudainement dans le vague.
— Warner, Scott, Preston, Steward, Mildred, Bayronn, Ceslas…
Tant de noms que, comme ce déchet, je méconnaissais au moment des faits. Dont j’ai découvert les vies, changées à jamais, au fil de mon investigation.
— Clemson, Holloway, Welburn…
A la mention du patronyme de mon meilleur pote décédé, j’envoyai un coup de poing sec dans le bloc-notes, et relevai mes yeux que je devinais flamboyants. Il du voir le diable en eux, parce qu’il cessa de respirer, tandis que le surveillant se rapprocha d’un pas.
— Veuillez vous calmer, monsieur Jones. Aucun contact, ou je devrais mettre fin au droit de visite.
A mon tour je me calai contre le dossier de ma chaise, inspirant profondément et fis un signe de complaisance au gaillard qui hocha la tête. Je fouillais ma poche intérieure et en sorti un paquet de cigarettes que j’ouvris pour en extraire deux. J’en calai une entre mes lèvres et déposai la seconde sur le rebord de la table, puis me saisis de nouveau de mon calepin, complétement déformé bien que toujours utilisable.
« ça ne te rend pas fou ? D’être coincé ici, alors que ce connard vit sa meilleure vie dehors ? Buffet, fringues sur mesure, femmes, drogues, pouvoir. Il a eu tout ce qu’il voulait sur ton dos avec l’aide de son cher papa. Donne-moi les détails, Dickens. Je vais le faire tomber mais j’ai besoin de preuves. »
Je tournai derechef mes prunelles vers le gardien. Celui-ci fit la navette entre le miroir sans teint et moi, puis, dans un soupir, s’avança, sortit un briquet et tendit le bras pour allumer ma cigarette. Avec un regard d’assentiment de ma part, il fit de même avec le second cylindre de nicotine qu’il embrassa lui-même avant de la tendre à Thomas qui s’en empara avec joie.
— Ça c’est de la camaraderie…à toi l’honneur, on n’est pas des sauvages, me signifia-t-il d’un mouvement engageant vers moi.
Je n’avais pas fumé depuis des années, et je pouvais résumer mon expérience à quelques essais foireux d’adolescent rebelle, aussi, la première inhalation m’agressa la trachée. Les suivantes me donnèrent une faible sensation de tournis, mais j’en fit abstraction et repoussai le calepin vers le détenu. La colère agrippa son expression, suivit par ce que j’interprétai comme l’amertume. Je compris aussitôt que j’avais tiré sur la bonne corde pour le faire coopérer.
— T’as bien dit, un connard. On a été de bons bouc émissaires, bien droits, bien carrés, bien obéissants. Ça nous a apporté quoi ? cracha-t-il avec du fatalisme dans le ton.
Ce que vous méritiez, et encore, c’est trop doux.
« Tu me confirmes son implication ? »
— Ce sera pas suffisant, Jones. La parole d’un taulard face au dirigeant et gestionnaire d’un aussi grop groupe, ça vaut des prunes et tu le sais. On a plus rien. Rien du tout, reconnut-il. Y a aucune preuve. On a mis des mois à tous préparer, à tous organiser. Mais c’est dans l’une des résidences secondaires du père de Riley que tout a été monté, quand on était gamins. Y a eu des perquis’ chez nous tu crois quoi ?
Et aucune chez les Hart, je suis au courant.
« Des adresses, Thomas, quelque chose ! »
Il secoua la tête, abattu.
— Foutu pour foutu, crois-moi, j’ai envie qu’il paye. Joshua se chie dessus, mais moi j’en ai plus rien à cirer des promesses ou de ce qui peut m’arriver. On a eu ordre de ne s’adresser à aucun membre des familles de disparu. Surtout la tienne.
La mienne ?
« Moi, donc, clarifiai-je. Voilà pourquoi tu m’as mis dans le vent durant des années. Qui ? »
— Ouais, toi et ton paternel, aussi. Il dit qu’il est l’avocat de Riley, son bras droit et son bourreau personnel. Pour les deux derniers qualificatifs, je veux bien le croire, mais avocat, il en a pas la gueule, j’en ai côtoyé suffisamment pour le savoir. Il s’appelle Duncan Thirston.
Mon…
Je mis quelques secondes avant de réaliser et de digérer la nouvelle. Christopher Jones avait demandé à le voir aussi ? J’entrevis, immédiatement, le motif qui l’avait poussé à une telle démarche. Moi. Jamais il n’y avait fait référence. Est-ce qu’il a voulu obtenir pour moi les renseignements que j’espérais glaner depuis ma sortie du coma ? quand avait-il… N’ayant pas le temps d’entrer dans des détails qui n’avait qu’une importance relative au sein de l’enquête, je changeai de trajectoire, me promettant d’interroger mon père plus tard.
« Duncan Thrirston. »
Le meurtrier multirécidiviste haussa les épaules.
— C’est un dur. Il est venu à plusieurs reprises avec un grand blond, moins gaillard que lui, très causant et très clair sur ce qui pourrait se passer si je me manquait. « nos contacts à l’extérieur comme à l’intérieur du centre pénitentier sont multiples, et des accidents sont bien vite arrivés. Nous ne vous feront pas exécuter, m’avait-il murmuré, le supplice sera bien plus long. Vous vous souvenez de Banner, votre co-détenu. Il ne vous dérange plus n’est-ce pas ? ». Ce mec, poursuivit-il en jetant un regard provocateur au miroir dans mon dos, c’était un gars exécrable. Et son sort est loin d’être enviable. Il a été torturé ici, on l’a retrouvé plusieurs fois dans un état proche de la mort mais bien vivant. A la fin, avant son transfert, il lui manquait presque tous les doigts, la langue, et je sais meme pas comment il pissait. Ils lui ont certainement fauché un rein, aussi, mais ça c’est une rumeur, personne n’en avait la preuve.
« Le blond. », l’interrompis-je en claquant le bloc face à lui.
— J’sais pas comment il s’appelle. Enfin si. Seulement son prénom. Noah. « Vous n’avez pas besoin de connaître mon nom. Si vous l’apprenez, vous ne serez plus en mesure de le répéter. », qu’il m’a dit. Tout ce que je sais, c’est qu’il fait froid dans le dos, avec son sourire du Joker. Y a personne dans la pièce à côté quand il vient, souffla-t-il en désignant une nouvelle fois mon dos du regard. Ou alors, ce sont des potes à lui.
« La dernière fois où il est venu, c’était quand ? »
— Il venait tous les ans pour me rappeler de la boucler. Après 2015, il s’est contenté d’une visite par an, quelquefois moins. La dernière, c’était le mois dernier.
« Tu connais les relations que lui et Duncan entretiennent avec Riley ? »
— Il venait de sa part, c’est tout ce que je sais. Ril’ fait surveiller tout le monde, c’est certain. Il est déjà au courant de ce que tu mijotes, quoique tu fasses. Il a des yeux et des bras partout.
Sans blague ?
— Mais le blond, il a l’air de bien le connaître, ajouta-t-il.
« Qu’est-ce qui te fait croire ça ? »
Thomas haussa les épaules sans enthousiasme.
— Sais pas. Sa façon de me regarder la seule fois où j’ai prononcé son nom. On aurait dit il protégeait un dieu ou le leader d’une secte. Duncan m’a fait une clé de bras dont je me souviens encore…
« Tu peux me le décrire ? »
— châtain blond, yeux bleus, beau gosse, il doit faire tomber pleins de nanas…Mais il a…il y a le néant dans ses yeux, quand on regarde au fond. Riley était cruel, mais ce type, il est profondément vide. Il a pas besoin de se mettre en rogne mais quand il le fail…
Le corps de Dickens fut traversé d’un frisson qu’il ne chercha pas à masquer.
— Il va revenir, murmura-t-il en fixant mon bloc-notes, la voix lointaine. Il va me le faire payer, mais ça vaut mieux que de rester dans ce trou. Je l’emmerde ! Je t’emmerde, Noah !
Le surveillant, jusque-là immobile, s’approcha, menotte en main.
— Fin des visites.
Je levai le doigt pour lui indiquer de m’accorder une dernière minute, et j’écrivis mes derniers mots avec frénésie.
« Cette ordure retient des otages, Thomas, j’ai besoin d’une adresse, de quelque chose qui me permette de le trouver ! »
Il lu la page, et claqua la langue contre son palais.
— Et qu’est-ce que tu comptes faire, lui demander bien gentiment de les libérer ? Si a des otages, il les a probablement déjà fait exécuter.
Je vais te buter. Il se redressa pour accepter le passage des bracelets.
— Ca va faire quatorze ans que je suis dans ce trou, je n’ai plus de contacts avec lui. La seule chose que je sais, c’est que Riley est fou. Il détruit tout ce qui fait obstacle entre lui et son ascension vers le pouvoir. Il aime ça, le pouvoir. Ce qu’il affectionne particulièrement, c’est le prouver.
« Comment ? », griffonnai-je à la hâte.
— Il revient toujours sur les lieux de ses crimes. C’est cliché, mais c’est vrai. C’est pour ça qu’il est toujours établi à Houston.
Mon palpitant cogna plus fort dans ma cage thoracique. Alors qu’il me tournait le dos pour partir, j’attrapai mon iphone et enclenchai la synthèse vocale.
« Tu viendras témoigner, le jour où il sera coincé sur le banc des accusés ? »
Il s’arrêta, toujours dos à moi.
— Si je survis jusque là.
***
Brenham Ct, Houston, Texas
16 Novembre 2023
Je vais quadriller la région entière, et je vais trouver. Je déverrouillai l’accès à mon loft, prêt à mettre mon assistance photographe sur le coup. Parce que je vais aussi avoir besoin de Marc et de Brett pour m’aider pour retrouver l’identité de ce Noah. Mon détective privé habituel aurait largement pu faire l’affaire, mais je n’avais pas ce luxe, la montre était mon ennemie. De tous les endroits susceptibles d’être utilisés pour séquestrer une journaliste, Riley avait pris grand soin de rester dans le comté. Quelque chose qui lui rappelle ses succès, pas ses échecs. Et si Dickens a vu juste...
L’absence de bruit m’interpela. Trônant sur le comptoir de cuisine, l’ordinateur de Fritzberg était encore allumé sur l’une des photos prises à Alterwhite. Je balayai du regard ses notes, fixai le logo qu’elle avait crayonné sur un calepin, en forme de fourchette retournée, puis regardai de nouveau le cliché sur l’écran et zoomai. Qu’est-ce que c’est, ce truc ? J’attrapai mon portable pour effectuer une recherche et comparai l’esquisse d’Angélina avec le logo officiel de l’agence. Il est légèrement différent. Dans le même temps, je relevai la seconde page du bloc.
Fritzberg
« Je dois vérifier quelque chose, je me rends au quartier résidentiel Gallagher. »
C’est une blague ! D’un bond, je gagnai l’entrée et la déverrouillai, tout en ouvrant l’appli de surveillance sur mon tel de l’autre main. L’image de mon garage s’afficha. Vide. La petite photographe avait mentalement retenu le code d’entrée ainsi que celui du garage, récupéré sa caisse, et filée sans prévenir.
Alors que j’allais la contacter, un MMS arriva dans la foulée, me prenant de cours. La tranche d’un livre, à côté d’une petite statuette que je reconnu aisément. Qu’…Bordel, c’est pas vrai, c’est pas possible, pas ça !
Moi « Fritzberg, barrez-vous immédiatement, c’est un ordre ! »
Mon portable vibra entre mes doigts et je décrochai à la seconde.
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Bonjour tout le monde !!!
Dans ce chapitre et bien..nous n'aimerions pas être à la place d'Alec, pas plus que d'Angélina.Cette dernière semble avoir fait une énorme découverte. Alec quant à lui, approche du but, il le sent. Mais à quel prix ?
Le prochain chapitre nous sera narré (surement sans être corrigé, comme les dix précédents -navrée - ) par Angie, avant d'être relayé par Joyce (enfin!)... à très vite !!!
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