42.Retrouvailles inopinées
Joyce
Houston, Texas
17 Novembre 2023
Un choc sourd m’éveilla en sursaut, et je bondis le plus loin possible des barreaux qui me séparaient de l’extérieur et levai les avant-bras pour me protéger les yeux et la bouche.
— C’est l’heure de la soupe, ricana la voix de D. à travers la grille qui s’entrouvrit, juste le temps d’introduire un plateau dans ma geôle et l’habituel Tupperware en plastique.
Le métal de la serrure claqua aussi secs et, lentement, j’abaissai les mains sur mes genoux. Une assiette comprenant des légumes, des œufs visiblement assaisonnés ainsi qu’une tranche de pain et un verre d’eau. Après une journée et une nuit sans nourriture, mon estomac se manifesta tandis que je grimaçais.
— Fais pas cette gueule, poupée, c’est un festin de roi ! J’ai cuisiné moi-même.
Sans me faire prier, j’approchai quasiment à quatre pattes, courbée comme je l’étais dans la cage pour animaux d’à peine plus d’un mètre de haut dans laquelle j’étais coincée. Un peu plus longue et large que haute, ma cellule était pourvue de barreaux d’acier semblables à ceux d’une prison, d’un futon au sol et d’un oreiller. Mon logeur s’installa sur une chaise, me scrutant alors que je mangeais, ou plutôt m’empiffrais malgré moi.
— Bien. Ça y est, tes envies de te faire la bel sont passées ?
Certainement pas, sale con ! Un frisson me secoua malgré moi toute entière au souvenir de ma tentative de repousser mon assaillant, la veille…
Un jour plus tôt, quelque part dans Houston, Texas
16 Novembre 2023
Trois jours, trois longues successions de vingt-quatre heures viennent de s’écouler. Je le savais parce qu’un peu plus tôt, j’avais demandé à D. depuis combien de temps j’étais bloquée dans ce trou à rat. Ne rien avaler, ne dormir que par à-coup et être privée de la lumière du soleil m’avait fait perdre toute notion de temps. Mais depuis lors, je m’étais calmée. Je dois trouver le moyen de sortir d’ici. Par la force, c’est tout bonnement impossible. Mon environnement, je le connaissais déjà quasiment par cœur. Deux chaises autour d’une table, au centre de la pièce. Une poutre en arrière-plan, à laquelle était reliés des canalisations dont l’une gouttait de façon régulière, obsédante. A me rendre barge. Les murs, noircis, gris par endroit, inégaux à la surface, similaires à ceux que l’on trouvait dans des entrepôts désaffectés. De ce que je parviens à distinguer, en tout cas. Avec la faible lueur dégagée par les halogènes du plafond, je ne pouvais déterminer leur couleur de façon certaine. Je les avais pourtant fixés à m’en abimer la rétine. Presque autant que cette autre cage, identique à celle où j’étais cloitrée, à quelques mètres de la mienne. J’espérais le deviner, mais rien ne me permettait d’identifier les lieux. A quoi cela aurait servi ? Je ne peux prévenir ni contacter personne. Je repensai à mon portable, laissé à l’hôtel. Quand bien même Alec l’aurait déjà trouvé… Brett s’est certainement déjà arrangé et porté volontaire pour « se mettre à ma recherche ». Je n’étais pas parvenu à distinguer son visage, mais j’avais la certitude qu’il s’agissait bien de lui. Ce faux-jeton, ce traitre.
J’inspirai fermement, guettant l’heure du repas avec impatience et appréhension. Je vais tout donner, je n’aurais qu’une seule chance, à moi de ne pas la gâcher.
***
Le moment temps attendu arriva avec mon plateau. Reculant mon talon sous mes fesses pour compter sur mon pied d’appui, j’écoutai les pas se rapprocher de ma cellule, prête à passer à l’action.
— Tu dois avoir la dalle, y a de quoi manger poupée. Sage, ordonna-t-il en entrouvrant la porte de la cellule.
Ni une ni deux, je bondis et précipitai tout mon poids sur celle-ci, misant sur l’effet de surprise autant que sur le manque de vigilance de mon gardien. Le bruit d’une vaporisation résonna et je criai de douleur, fermant les paupières avec tant de force que la tête m’en tourna. Mes yeux, ma trachée, mon nez me brulaient affreusement, comme rongés par de l’acide. Un choc sur l’épaule me propulsa au fond de mon trou alors que j’étouffai.
— Foutue tigresse, c’est qu’elle essaye de mordre en plus, ronchonna D. Ça te plait, le gaz moutarde ? Dans le cas contraire, apprends à te tenir tranquille. La tambouille de c’soir, elle te passera sous le nez.
Toussant, crachotant, j’essayai de me redresser, d’ouvrir les paupières, et j’y parvins, juste pour apercevoir le battant se refermer sur mes espoirs. D. envoya un coup de pied dans la cage, m’arrachant un feulement alors que la brulure me contraignit à refermer les yeux. Une souffrance lancinante s’épanouit le long de ma clavicule alors que je levai la main droite pour me frotter machinalement le visage.
Houston, Texas
17 Novembre 2023
Comme s’il devinait mes réflexions, D. se targua d’un grand rire en extirpant un paquet de cigarette de sa poche de veste.
— Content que tu r’viennes à de meilleurs sentiments, poupée. Ton épaule va comment ? Ça m’fait vraiment pas kiffer, de cogner une jolie blonde, s’excusa-t-il en grattant le chaume de ses joues.
Je pris un temps infini pour déglutir, et me résolus cependant à répondre.
— ç-ça va.
— Mmh…Noah ne va pas être content. Il est plus raffiné qu’moi.
Noah ? C’est qui, son chef ? Un ami des Hart ? Je relevai des yeux interrogateurs sur mon kidnappeur, mais comme son attention demeurait rivée sur son téléphone, je rassemblai mon courage pour l’interroger.
— No-Noah ?
Cette fois, il dévia son regard vers mon visage déconfit.
— Ouais, ben…va falloir qu’il se présente j’imagine. Tu le connais bien, apparemment.
Peut-être un nom de code, donc, ou une autre identité. Riley ? Chaque jour de plus que je passais enfermée semblait faire éclore une nouvelle énigme. Mais le puzzle, trop parsemé, ne me laissait guère l’opportunité de tisser les liens appropriés. Surtout compte tenu le laps de temps, bien trop court, durant lequel mon geôlier daignait me tenir compagnie. Heureusement pour moi, il se montrait bavard.
— Puisque v-vous m’avais dit que je n’allais p-p-peut-être pas m-mourir, c-combien de t-t-temps vais-je devoir p-passer ici ?
— Ca, poupée, ça ne dépendra ni de toi, ni de moi, mais de ton charmant patron.
Je fronçai les sourcils. Ma survie va dépendre de moi, pas ma liberté. Pourquoi Alec aurait-il le pouvoir de me délivrer ? Qu’est-ce que ça signifiait ?
— V-vous allez me proposer un m-marché ? compris-je.
Son sourire s’agrandit.
— Tu percute vite ! Pas moi, s’amusa-t-il. Je ne suis pas du genre à marchander quoique ce soit.
Ça, je m’en doute bien.
— Qu-quel genre de marché ?
Il secoua la tête en même temps que l’index dans ma direction.
— Doucement, faut savoir s’réserver des surprises dans la vie !
Comme je déteste les surprises ! Surtout les mauvaises. Faisant fi de la grimace que je devais probablement afficher, il poursuivit.
— A propos de surprise, y en a une en chemin. Tu vas te sentir moins seule, ajouta-t-il en désignant d’un mouvement de tête la prison vide.
Une boule pesa soudain lourd dans mon estomac, m’écrasant le bide. Mon Dieu, NON ! Pas ça ! qui ? Angie ? Alec ? Mon expression du refléter ma terreur, parce que mon gardien sembla traverser de pitié.
— T’en fais pas, va. Ce s’ra pas pire que pour toi.
Il se leva, mais je me jetai presque contre les barreaux de la porte pour les aggriper à deux mains, me cognant le crane au passage.
— A-A-Attendez ! D. ! Encore une q-question ! S-s-s’il v-vous plaît !
Ses pas s’arrêtèrent sur le seuil de la porte de l’entrepôt.
— Quoi ?
— Est-ce que…est-ce que vous p-pourriez laisser allumer ce soir ? S’il vous plaît, achevai-je à bout de souffle.
Un éclair de surprise, puis de compréhension traversa ses traits.
— C’est pour ça, ta crise d’hystérie, y a quelques jours ? T’as peur du noir, poupée ?
Incapable de verbaliser ma crainte, je hochai lentement le menton.
Il rit à gorge déployée, avant de claquer l’unique accès à l’extérieur. Je m’échouai à terre, les larmes affluant alors que les néons billaient encore.
Noah
Houston, Texas
17 Novembre 2023
— Qu’allez-vous faire de moi, maintenant ? Vous m’emmenez où ?
J’ignorai ses questions, concentré sur la route.
— Comment je dois vous appelez, vous n’avez toujours pas répondu je vous signale ! Noah ? Brett ? Hey, je vous parle ! Connard, ça vous va bien, je me suis décidé…
Dans le rétroviseur, mon regard se ficha dans le sien, et mon expression eu le mérite de faire cesser son accès de bavardage.
— A ta place, je resterai tranquille et je ne me ferai pas trop remarquer. Même si pour toi, ironisai-je en lui lançant une œillade, c’est difficile.
Son expression se modifia, exprimant autant de dégout que de dédain. Tu ne faisais pas cette tête-là, la semaine dernière. Je ne réprimai pas mon sourire sarcastique en arrêtant le véhicule de remplacement et tirai sur le frein à main. A mon geste, je perçus le raidissement de ses épaules, malgré ses liens. J’avais pris la précaution de la menotter à la portière et de verrouiller les quatre. Bien m’en pris, puisqu’une fois sur l’autoroute, son premier réflexe avait été de tenter de sauter en route. Vaine tentative.
Je quittai la place passager, m’avançai vers la portière arrière droite, l’ouvris tandis que de l’autre main, je ramenai le canon de mon flingue dans sa direction. Ses yeux furent happés par ce dernier, et exprimèrent toute l’angoisse qu’elle se refusait d’admettre. Malgré moi, j’eus un sentiment de mal-être, de culpabilité à la terroriser ainsi. J’usai d’une voix calme, afin de la calmer.
— Angie ? Tu vas me suivre, sans faire d’histoire, d’accord ? Si tout se passe comme prévu, tu t’en sortiras indemne. Tu n’entendras plus jamais, jamais parler de moi.
Je fis sauter le cran de sécurité de mon arme pour contrebalancer le ton trop rassurant de mes mots et dans le même temps, la tirer de son immobilisme.
— Angie ? Ne m’oblige pas à faire quelque chose que je vais regretter s’il te plait. Je n’hésiterai pas.
Consciente que je ne plaisantai pas, elle se redressa et acquiesça. Dans mon dos, la vois de Duncan résonna, bien que basse.
— J’arrive pile à temps on dirait !
Je m’écartai légèrement pour permettre au mercenaire de libérer le poignet de la jolie blonde. Sous mon coup d’œil, il recula ensuite, néanmoins attentif aux mouvements de la photographe. Je m’emparai de son avant-bras pour l’aider à s’extirper du siège, mais une fois debout, elle repoussa ma main en levant le menton.
— Je sais encore marcher toute seule. A moins que vous ayez prévu de me ligoter les jambes ?
Ce trait de caractère chez toi, il m’a plut tout de suite. Refrénant mon sourire, contrairement à Duncan qui s’en amusa ouvertement, je l’incitai à suivre mon comparse, pressant le canon contre son dos.
La nuit était fraiche et l’obscurité recouvrait entièrement le complexe d’apparence désaffecté. Une fois à l’intérieur de la bâtisse, nous prîmes l’élévateur, traversâmes la courte passerelle en direction du couloir, puis entrâmes dans un ascenseur. Du coin de l’œil, je vis Angélina scruter chaque recoin, chaque issue. Elle tentait de conserver une carte mentale du trajet retour, comme elle l’avait eu fait tout au long du trajet, le nez pratiquement collé contre la vitre de la voiture. Elle a même relu plusieurs fois la plaque de la caisse. Ses piètres efforts me faisaient sourire. Je savais qu’une fois la mission terminée, rien ne subsisterait, ni du véhicule, ni des lieux. Aucune trace. Aucune preuve. Tout serait remis en l’état, à l’identique. Les hommes de Riley s’en chargeront.
Après quelques minutes de marche supplémentaires, durant lesquelles notre invité involontaire n’avait de cesse d’envoyer des coup d’œil à l’imposante ossature de Duncan, nous arrivâmes au fond du sol-sol. L’interrupteur externe était allumé.
— Ca fait un p’tit bout qu’elle te réclame, la p’tite, m’avertit le mercenaire. J’ai pas eu l’cœur d’éteindre. Elle flippe trop.
Je hochai la tête en soupirant.
— Ril’ ne sera pas aussi compréhensif.
Alors que Duncan déverouillait l’accès, je vis Angie se tendre davantage et esquisser un mouvement de recul. Ma présence derrière elle, ainsi que celle du canon la fit se raviser. Lorsqu’elle passa le seuil cependant, elle ne sembla plus vouloir en sortir.
— JOYCE ! hurla-t-elle.
Elle se précipita vers sa cellule avant de s’accroupir pour tendre les mains vers elle à travers les barreaux.
— Joyce tu va bien ? Tu es en vie, merci Seigneur, tu…
Sa voix s’entrecoupa de trémolos rejoint par ceux de son binôme qui se saisit de ses doigts.
— Je v-vais b-bien… toi aussi ? Ils ne t’ont pas fait de mal…et Alec ? Est-ce q-qu’il…
Mes dents se serrèrent à la mention du nom du survivant. D’un pas rapide, je m’approchai d’Angélina et la relevai d’un bras. Elle mit tout en œuvre pour se dégager mais je calmai ses ardeurs, la voix glaciale et le canon contre sa gorge.
— Un seul otage me suffit, tu te rappelles ? Ne m’oblige pas à me répéter.
Je l’obligeai à pivoter et l’horreur se peignit sur son faciès à la vision de la seconde prison. Elle se mit à trembler légèrement, mais s’indigna malgré tout dans une ultime dénégation.
— Je ne veux pas finir là-dedans !
— Ce n’est pas une demande, Angélina, c’est un ordre.
D’un bras j’ouvris le battant et ramenai ma prisonnière devant ses nouveaux quartiers provisoires. Si tout se passe bien. Elle tourna les yeux dans ma direction pour trouver mon regard. Sa voix s’adoucie, presque implorante.
— Brett…
Mes mâchoires se contractèrent sous son murmure, à l’invocation de ce prénom qui n’avait jamais été le mien. Justement, je fais ça pour lui, pour Brett.
— Dépêche-toi.
Mon propre timbre me laissa un goût de métal acre jusque dans la gorge. Mon regard du l’effrayer, parce qu’elle s’immobilisa et ferma les lèvres. Je l’expédiai dans sa prison de force, l’obligeant à se ployer pour y entrer. N’attendant pas qu’elle se retourne pour protester, je refermai la grille à double tour avant de la fixer.
— Crois-moi, j’aurais préféré t’avoir comme invitée volontaire chez moi plutôt qu’ici.
Alors que mes actes l’avaient ébranlé, mes paroles eurent l’impact strictement opposés. Son regard plongea dans le mien, plus assuré, plus déterminé, voire un brin moqueur.
— Dans d’autres circonstances, si tu ne m’avais pas kidnappé…
— Dans d’autres circonstances, apprendre à te connaître, la coupai-je. Peut-être même t’aimer.
Mais je ne peux pas.
Ses yeux fouillèrent les miens, cherchant à extraire tout ce que je ne révélai pas.
— Un homme obsédé par la vengeance ne peut que désirer, pas aimer. Jamais. Tes yeux et tes actions le crient. Qu’est-ce qu’Alec t’as fait pour que tu veuilles à ce point le détruire, Brett ?
Je la fixai un long moment. Le détruire. C’est bien ça. C’est ce que je veux le plus au monde.
— Si tu te tiens tranquille, je t’apporterai ton repas dans deux heures. Sinon, tu attendras demain soir. D… Duncan se chargerait avec joie de t’initier au règlement intérieur, mais… je pense que tu entendras mieux les conditions de séquestration de la bouche de Joyce.
Je souris froidement à la concernée qui me dévisageait avec consternation avant de me diriger vers la sortie, précédé du mercenaire.
— Amusez-vous bien les filles, j’suis sûr que vous avez pleins de choses à vous raconter.
— B-B-Brett, attendez.
Restant le dernier homme de la pièce, je m’arrêtai avant de me retourner avec lenteur.
— Je ne répondrai à aucune de vos questions pour l’instant. Angélina ?
La belle blonde me fusilla du regard.
— Mon nom est Noah. Noah Peterson.
Celui-là aussi, je devrais l’abandonner. Si Riley ne m’exécute pas.
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Bonjourà tous !!!
Chapitre casse, tête, voire même éprouvant à écrire, où le personnage de Noah-Brett reste une énigme (un peu moins pour moi, maintenant, faut justifier le virage à 180° x)
Angie à retrouvé son binôme, mais elle n'est pas en capacité de l'aider.
Va falloir compter sur notre nouveau duo...le prochain chapitre...j'aimerai pouvoir assurer qu'Alec raleur va reprendre la "parole", mais rien n'est moins sûr ! Bre...Noah a pleins de choses à nous raconter...à très vite !!!
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