43.A la vie, à la mort

12 minutes de lecture

Note de vocabulaire :

IB : International Baccalaureat ou l’Advanced Diploma, soit « l’équivalent » du baccalauréat européen aux USA.

Bonne lecture !

***

Angélina

Houston, Texas

17 Novembre 2023

— Je préfère CONNARD, égrenai-je alors que la porte se refermait.

— Ne gueule p-pas, on v-va se retrouver sans lumière. S’il t-te plaît.

Je pivotai en direction de Joyce, partagée entre le soulagement, la colère et l’appréhension. Qu’est-ce qu’ils comptent faire de nous. Est-ce que Bret…est-ce que Noah va vraiment nous laisser nous en sortir vivantes ?

— Donc, D. pour Duncan, hein, souffla mon amie en se laissant retomber contre les barreaux pour y appuyer sa tête. Comment est-ce que tu t’es fait attraper ?

Je lui racontai sommairement mes doutes, mes indices, le logo, puis mon excursion dans l’immeuble Gallagher.

— Je soupçonne les ramifications de la multinationale de distinguer les dossiers dont elles ont la charge par ce biais, conclus-je..

— Ceux trop sensibles ou trop compromettants si on parvenait à remonter jusqu’à eux, comprit mon binôme. Ce coup de tampon constituerait la preuve qu’il s’agit des demandes directes d’Evy-Earth auprès de ses subordonnés au sein des entreprises comme Alterwhite. Les documents sont donc de prime abord filtré, puis redistribués en fonction de la manière dont ils doivent être traitées aux bons agents. Les agents classiques et… les agents comme Duncan. Et Bre… Noah ?

— Quel rôle a-t-il ? Je ne l’avais pas vu venir, avouai-je.

Sa voix dure, son regard glacial, la haine viscérale qui l’animait à la mention du rédacteur-en-chef. Il a tellement bien su cacher son ressentiment, s’en est terrifiant.

— Jusqu’où s’étend sa marge de manœuvre ? réfléchit Joyce à haute voix en tapotant sur son oreiller. Qu’a-t-il commandité, depuis sa prise de position dans l’A.J. jusqu’à notre enlèvement ?

Je lui réclamai des détails sur sa capture, et elle me narra la nuit à l’hôtel, son réveil dans la cage, sa panique.

— ça m’intrigue, argua-t-elle en me fixant droit dans les yeux. J’étais prévu au programme, mais… je pense que cette prison n’était pas censée être pour toi.

Je haussai un sourcil.

— Qu’est-ce qui te fait croire ça ? la pressai-je.

— Riley souhaite rester maitre du jeu, être intouchable. Il ne fait rien de lui-même, reste à l’écart. Noah éprouve de la rancune et semble être motivé à s’en prendre à Alec.

— Depuis le nombre d’années durant lesquelles Brett…Noah, me réctifiai-avec agacement, travaille avec Alec, il aurait moulte occasions pour lui faire passer l’arme à gauche, en effet.

— Ce qu’il n’a pas fait jusque-là parce que Riley ne le lui a pas permis.

— Tu crois que… la rencontre même entre Noah et Alec est factice ?

— C’est le plus probable, opina-t-elle en troquant l’oreiller pour un des barreaux de la cage pour support de ses doigts.

— Si c’est vraiment le cas…Noah est un acteur hors-pair, annonai-je. Quel rapport avec notre enlèvement ?

— La cible, c’est Alec. Depuis des années. Noah le surveille, mais ne peut battre des cils sans l’aval de son supérieur. J’ai postulé à l’A.J., j’y ait été embauchée, énuméra mon binôme, les sourcils froncés. Noah m’a confié une multitude de dossiers, m’a fait crouler sous le travail durant un mois, de connivence avec Alec. Mais dans le lot, il m’a sciemment refilé le dossier du cabinet Dudson.

— C’était prémédité ? réalisai-je, encore un peu paumée. Pourquoi ?

— ça, c’est ce que j’aimerai savoir. Le paramètre qui semblait encore flou à ce stade restait de savoir si j’allai poursuivre au côté d’Alec ou m’abstenir.

— Alec possède un dossier sur chacun d’entre nous, révélai-je constitué par un détective privé. Il est probable que ce soit aussi le cas de Noah.

Joyce médita mon aveu quelques secondes avant de secouer la tête.

— Si tel est le cas, l’existence de Brett Samson est un mensonge bien échafaudé. Ou alors…

— Le détective a soutenu le dossier bidon, adhérai-je, la mine sombre. Alec est entouré de trompeurs stratégiquement bien placés autour de lui, et depuis longtemps.

A l’évocation de cette éventualité, nous gardâmes le silence, que je m’astreignis à rompre au bout d’une minute.

— Encore une fois, tu ne réponds pas à la question.

Joyce soupira en regardant le plafond.

— Je n’ai rien trouvé. Je suis restée bloquée sur des pistes sans réponses, et j’ai malgré tout disparue. Mes liens avec Alec font de moi l’otage idéal, souhaité, voilà pourquoi j’ai été emmenée ici. Toi, tu n’étais pas supposée progresser autant. Tu es tombée sur un élément trop important pour te laisser continuer. L’existence du logo, l’identité de Noah…tu t’es rendue gênante, tu allais tout foutre par terre.

Je frissonnai en comprenant que je ne représentai qu’un accident, qu’un dommage collatéral en devenir.

— Il aurait pu te t-tuer, rappela-t-elle. Il ne l’a pas fait.

— Pourquoi ? Et pour combien de temps... ?

Comme aucune de nous ne possédait la réponse, nous nous tûmes.


Alec

Brenham Ct, Houston, Texas

17 Novembre 2023

Debout face au mur, l’oreille scotchée à son portable, Weaton scrutait la carte punaisée tandis que, un feutre en main, je cerclai minutieusement de rouge les zones du Texas qui nous intéressait. J’y avait inclus les lieux liés à Riley, de près comme de loin.

Le cabinet Dudson, mon premier véritable indice. L’hôtel HomeHouse, où j’avais retrouvé non pas Marvin, mais son cadavre. L’agence Alterwhite, l’un des ex-centres névralgiques directs des mercenaires de la multinationale. La clinique privée Axton Médical, qui avait fourni un alibi à Riley treize ans plus tôt. L’A.J., ou le journal d’investigation d’irréductibles emmerdeurs. L’hôpital Methodist West, où j’avais été interné. Enfin, le lycée d'Houston Height, qui avait manqué d’être mon tombeau.

L’ex-agent de police du central raccrocha puis verrouilla son téléphone avec énervement.

— Grayson a appelé la clinique pour interroger le chef de service, mais il n’a trouvé qu’un remplaçant. Kenneth a posé sa démission officielle il y a deux semaines. Aucune trace de lui depuis.

J’arrive même pas à être surpris. Je détournai les yeux vers Weaton qui me renvoya mon regard, avant de se laisser tomber sur le tabouret le plus proche.

— Je ne voulais pas y croire. Qu’un mec aussi haut placé se donne pour objectif de mettre minable un simple journaliste incapable de prononcer un mot. J’étais certain que tes succès précédents t’étaient un peu trop montés à la tête, que tu te donnais trop d’importance. Ou que les drames que t’as vécu t’avaient rendues complètement parano.

Marc m’accorda un demi-sourire raté, plus proche de la grimace, tant ses mâchoires semblèrent se contracter.

— On attrape mon chef par les bijoux de famille pour m’évincer seulement parce que j’ai pris en considération ton témoignage. Les individus en lien avec ton affaire, d’aujourd’hui comme d’il y a treize ans disparaissent les uns après les autres…

« Reste Thomas Dickens. », objectai-je.

Il opina.

— Y a plus qu’à espérer qu’il identifiera ton détective comme le fameux Thirston. T’as mis un souk monstre dans ma vie en moins de quarante-huit heures, Jones.

« Je préfère quand c’est une femme qui me dit ça », ironisai-je.

Après un nouveau rictus, ses yeux se fichèrent sur la carte qu’il réévalua à son tour, puis désigna de l’index les dossiers épars sur la table basse, préalablement étudiés durant les dernières heures.

— C’est là tout ce que tu possèdes sur les Hart, je présume ?

Lorsque j’acquiesçai, il se leva pour s’approcher vivement de la surface et s’empara des feuillets imprimés par Grayson.

— La preuve d’une falsification, énuméra-t-il en passant ses doigts sur les lignes ainsi que les certificats de naissance des Peterson.

Un goût de bile remonta le long de ma trachée, et j’inspirai à fond.

— L’acte de décès de la mère Peterson, nom de jeune fille, Samson. Celui de son mari, Dylan Peterson. Donc, dans les 90, le petit couple aux revenus modestes donne naissance à deux garçons, Brett et Noah Peterson. La scolarité de l’aîné est une franche réussite. Il excelle en sport et décroche une bourse, il est apprécié par tout le monde… mais on n’a rien sur le second. Aucun bulletin scolaire, aucun bilan de santé, aucune location, attestation employeur, rien. C’est un fantôme. Faut croire que Paxton n’a pas été si précautionneux que cela, ajouta-t-il avec un sourire amer. Il a peut-être fait disparaître la vie du gosse, mais il a omis d’effacer le passé des vieux. Et par conséquent…

Son poing s’abattit sur la seule et unique preuve de l’existence d’un garçon que je n’eus sans doute jamais rencontré. L’article de la gazette du Denver City Independent School District.

— Il faut qu’on parvienne à mettre la main sur le véritable Brett Peterson pour comprendre les motivations de Noah à suivre les Hart. J’espère que tu aimes conduire de nuit, Jones.

Comme si on avait le choix.


***


9 heures plus tard, lycée Independent School District, Denver City, Texas

18 Novembre 2023

Il était près de six heures du matin lorsque j’arrêtai le véhicule de Weaton devant l’ancien établissement de Brett. L’agent Grayson fut éveillé de sa sieste en sursaut au claquement des portières, et s’extirpa de la banquette arrière en grommelant.

— T’es le seul habilité à entrer là-dedans, alors arrête de rouspéter, asséna son ancien collègue.

— C’est justement pour ça que je râle, Marc. Si toi, t’as été mis-à-pied sans sommation, ça va être quoi pour moi, puisque je fous volontairement les pieds dans le même bourbier ?

Une ébauche de sourire m’échappa. Ce flic parvient à bouder de manière flegmatique, j’ai jamais vu ce genre d’expression-là. Comme s’il avait entendu ma remarque, Weaton singea mon expression.

— A la vie à la mort, partenaire. Je ne te remercie pas assez.

L’agent leva les yeux au ciel, puis ouvrit la marche jusqu’au logi du gardien. Ce dernier fixa l’insigne de l’agent, puis nous, d’un œil suspicieux.

— Je suis accompagné par des camarades d’université de l’ancien étudiant. Je souhaite seulement confirmer son identité par leur intermédiaire, si vous le permettez.

Durant un instant, la tension parcourut mes muscles. S’il demande un mandat, on est morts. Contre toute attente, l’homme acquiesça et nous conduisit auprès du directeur de l’établissement. Celui-ci, d’une soixantaine d’années environ, nous reçut avec un scepticisme bien moins marqué. A la mention des Peterson, il sourit de façon mélancolique.

— Bien sûr que je me souviens d’eux. Rares ont été les élèves à la scolarité aussi brillante que ces deux garçons. Des modèles d’exemplarité au sein de notre établissement. Leurs professeurs étaient de l’ancienne génération, beaucoup sont retraités ou ne sont plus là aujourd’hui, mais ils seraient tous d’accord avec moi pour vous en faire les éloges. Vous avez donc fait vos années lycées ensemble ?

— Seulement l’université, rectifia Weaton. Avec B…Noah.

Cette fois, la tristesse s’imprima sur les traits du sexagénaire.

— C’est vrai…Brett n’a pas eu cette chance.

L’intonation de sa phrase, trop solennelle, trop grave, envoya une décharge d’adrénaline dans tout mon corps. L’agent et son ex-coéquipier échangèrent un regard alors que le mien aurait transpercé le crane du dirlo si j’en avait été capable.

— Que voulez-vous dire ? demanda Grayson avec autant de prudence que d’incompréhension.

L’homme leva les yeux vers lui, puis s’attarda sur Weaton.

— Vous n’êtes pas… ? Peut-être que Noah ne se montre pas loquace sur les circonstances de l’accident…ni sur le drame lui-même, ajouta-t-il devant notre ignorance manifeste.

Il secoua la tête comme pour chasser son chagrin avant de se montrer plus précis.

— Brett Peterson a été victime d’une collision sur une autoroute, proche du centre d’Houston, si mes souvenirs sont bons. Il a péri à la suite de ses blessures, moins d’une semaine plus tard, malgré un transfert.

Un silence glaçant envahi le minuscule bureau du directeur et s’éternisa. Je serrai violemment les poings à m’en faire mal aux jointures, juste pour m’empêcher d’envoyer mes phalanges dans la porte. C’est pas vrai… Brett qui crève à Houston… Alors, c’est… L’ex-agent posa la question qui me brûlait les lèvres.

— Nous sommes navrés de l’apprendre. Quand est-ce qu’a eu lieu l’accident ? Je n’ai lu aucun rapport faisant mention d’un quelconque acte de décès.

— C’était en 2009, vers la fin de l’hiver. Je m’en souviens car il s’agissait de l’année de naissance de ma dernière fille... Nous étions nombreux à l’enterrement, les Peterson étaient des gens appréciés. Pauvre garçon…il aurait dû recevoir son diplôme seulement deux mois plus tard. Il l’a obtenu à titre posthume, avec mention. Tout comme Noah.

Début d’année 2009… soit la période où je venais de me faire allumer à Houston Height. Une myriade de questions me dévorait. Est-ce que Brett avait un lien direct avec l’un des tireurs ? Est-ce que Riley le connaissait ? Il faut que la visite soit accordée, j’ai besoin de cuisiner Thomas. Pourquoi n’en a-t-il pas parlé quand j’étais dans le parloir ? à moins que…

Grayson finit par rompre le chaos qui dévastait mes pensées par le biais d’une requête.

— Pourriez-vous nous en dire davantage sur Noah et Brett ? demanda Grayson sans grande conviction. Vous détenez une copie de leur IB* dans vos archives ?

— Non, imaginez le nombre de diplomes que nous devrions conserver si c’était le cas ! s’exclama-t-il, ouvrant grand ses bras. Vous pouvez en faire la demande auprès du département de l’éducation...

Déjà fait, sauf qu’aucun Noah n’existe.

— …Tous deux faisaient partie du podium.

— Le podium ? Répéta l’inspecteur.

— Venez, suivez-moi.

Ce disant, le directeur nous invita à sortir de son bureau pour emprunter le couloir principal. Il ouvrit l’une des portes adjacentes et désigna l’entrée d’une nouvelle allée bordée d’étagères sous vitres, chacune débordante de prix multiples.

— Vous trouverez ici, classées par génération, toutes les récompenses auxquels nos meilleurs étudiants ont pu prétendre…oh, Lauwrence, c’est notre plus jeune admise toutes années confondues…là…voilà…

Nous approchâmes tous les trois comme un seul homme face à une coupe. Du doigt, il désigna l’une des médailles enroulé autour de l’anse, aux couleurs de l’équipe de football.

— Le voilà…alors qu’il n’était qu’en deuxième année… Noah a décroché le prix du plus grand nombre de points marqués en un seul match et pour un seul joueur. Une saison incroyable, pour les Mustangs…

Au pied du trophée s’étendait un cliché encadré. Je parcourus l’entièreté des visages des joueurs, jusqu’à m’arrêter sur celui, souriant, du châtain blond. Ce regard, qui semble si franc…est-ce vrai ? Ou est-ce qu’au moment où cette photo avait été prise…

— Ah…il est ici. Il s’agit du numéro qui a obtenu le plus de tirages dans l’école, il en a même franchi les frontières, puisque Brett a gagné un concours littéraire régional.

… il était déjà dans la peau d’un autre ? A-t-il seulement…

— Alec, tu devrais venir voir ça, souffla Weaton.

Son murmure, presque paniqué, m’arracha à ma contemplation et mes réflexions. Je me rapprochai du directeur, qui ne tarissait pas de louanges envers Brett pour examiner le pan de vitrine. Un article encadré, que je reconnu aisément, provenant de l’une des pages du journal de l’école de Décembre 2008.

— Il avait ce qu’il fallait de poésie et d’éloquence. Même la…

A la seconde où je découvris la Journalists Team, la voix du dirlo s’éteignit. Ces yeux bleus-là, c’étaient les mêmes. Une copie conforme. Des jumeaux. Mon champ de vision s’étriqua et le souffle me manqua. Brett et Noah Peterson étaient des jumeaux. C’est quoi, ce mauvais plot twist ?

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Bonjour tout le monde !!!

Joyce et Angelina émettent des conjectures sur leur futur tandis qu'Alec, Weaton et Grayson (franchement, je n'imaginai pas faire bosser les deux premiers ensemble, mais ils m'ont convaincus x) découvrent une énorme pièce manquante du puzzle que constitue cette enquête. Le voile n'est pas encore totalement levé, mais ce n'est qu'une question de paragraphes.

Quant à Noah...il est temps d'aller le faire parler un peu, et les tentatives de Joyce ne seront pas de trop...à très vite !!!


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