L'appartement

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 Jack et Julie tournèrent dans une étroite rue pavée, mal éclairée. Il en existait des dizaines semblables dans le centre-ville. Ces rues conféraient un certain charme à l'ensemble. C'était le patrimoine historique et sauvegardé de la cité. Jack avait l'impression de revenir quelques siècles en arrière, déambulant entre les échoppes et les artisans, croisant des hommes et des femmes d'un autre âge, traversant les centenaires. Il imaginait les drames, les joies, les guerres et les révoltes, les vies qui passaient et trépassaient et qui n'avaient pas même érodé la pierre. Le temps s'était chargé de réduire en poussière toute forme de vie. La postériorité n'avait gardé seuls que les constructions, le décor et l'évolution humaine à travers le matériau, la connaissance et les livres. Le reste n'était que fantômes du passé.

 Les deux amis s'arrêtèrent en-dessous d'un lampadaire, au numéro seize de la rue. Jack leva les yeux en l'air et tomba sur un immeuble de quatre à cinq étages, typique du quartier. La façade était de composé de grandes fenêtres en forme de croix. Une de ces ouvertures attira son attention. Ils pouvaient y entendre de la musique et des rires en provenir.

 Il regarda Julie pour lui faire comprendre qu'ils devaient être arrivés à destination. Il sortit son portable pour s'en assurer :

« Re, Lily:) Voilà l'adresse : 16 rue du Puits. A tout à l'heure. »

 Jack regarda la porte d'entrée, un petit bloc rectangulaire faisait office de digicode :

– Tu sais ce qu'il te reste à faire ! Fit remarquer Julie.

 Jack soupira. Il n'aimait pas le ton que prenait son amie depuis leur conversation à la brasserie. Il saisit son portable et appela Lily.

– Allô ? Fit une voix décomposée par l'alcool.

– Allô, c'est Jack, je suis avec mon amie Julie, on est en bas de ton immeuble, tu peux nous ouvrir ,s'il te plaît ?

– Ouuuuaiiiiss, alors le code en bas c'est 0307A, au troisième étage. Ensuite, vous pouvez pas vous tromper, j'arrive pour vous ouvrir. Pas d'ascenseur, tout à pied !

 Jack n'eut même pas le temps de raccrocher que Julie était déjà en train de taper le code sur le bloc. Une sonorité furtive mais bruyante indiquait que la porte s'était ouverte. Julie, avec un dédain sans pareil, fit signe à Jack de s'engouffrer en premier. Ce n'était par politesse mais par agacement. Jack leva les yeux au ciel et s'engloutit dans l'immeuble, suivi de son amie. Ils suivirent un long couloir étroit pendant quelques mètres et tombèrent sur un escalier tournoyant. Jack stoppa net son élan et prit le temps de regarder plus loin en face. Il tomba sur une magnifique cour intérieur intacte, qui n'avait pas pris une ride.

 L'intérieur de ces immeubles étaient à la fois discrets, étroits et majestueux. Julie le poussa de manière forte dans le dos, comme pour lui ordonner d'avancer et manqua de le faire tomber. Il pesta en silence. Il adorait contempler les vestiges du temps et n'aimait pas être bousculé.

 Ils montèrent les escaliers par deux et la musique, à mesure qu'ils grimpaient, devint de plus en plus forte. Elle parvenait maintenant à leurs oreilles. Jack reconnut le rythme battant de la techno. Il sourit, se retourna vers son amie et fit quelques gestes désarticulés, s'improvisant une danse.

 Elle esquissa un sourire. Il avait enfin réussi à la détendre un peu. Ils s'approchèrent de la porte entrouverte au moment où Lily sortit du palier.

– Hey ! Vous voilà ! Bégaya-t-elle.

 Lily les accueillit à bras ouverts. Elle n'avait apparemment toujours pas déssoulée. Cela s'empirait avec les heures, remarqua Jack. Mais il la trouvait toujours autant sublime. Ça n'altérait en aucun cas sa perception. Elle leur fit signe de rentrer et indiqua le salon qui se trouvait au bout du couloir.

– Sympa ta pote, encore une pute alcoolique ! Remarqua ironiquement Julie.

 Jack ne releva pas. Il la connaissait, dès qu'une fille s'approchait de lui, elle ne pouvait s'empêcher de la juger, d'être en compétition. Cette-fois ci, c'était encore pire, il sentait la jalousie l'envahir au fil de la soirée.

 Des néons de couleur violet accompagnaient les deux amis le long du couloir, indiquant une flèche jusqu'au salon. Jack se crut à l'intérieur d'une discothèque comme il en existe des dizaines dans les tréfonds de Berlin. La techno bondissante commença à s'enraciner dans son corps. Telle une mélodie organique et primitive. Un frisson le parcourut.

 Ils finirent par tomber sur une vaste pièce éclairée par plusieurs lumières. Un grand tapis ornait le sol surplombé d'une table basse en bois. Sur les côtés de la pièce, des canapés et chaises de bureau investissaient le sol, le tout encerclant la table. Des grandes affiches et tableaux décoraient les murs, lesquels étaient peints en blanc immaculé. Il pouvait apercevoir l'affiche du film Eyes Wide Shut, une copie de la Jeune Fille à la perle de Vermeer, une carte géographique ancienne de la ville, des photos psychédéliques et quelques citations encadrés dans un tableau. C'était à la fois accueillant et grandiloquent, artistique et démesuré. Il retint son attention sur une citation :

« Si vous attendez la réponse alors que vous ne posez pas la question, vous n'aurez jamais la réponse. »

 Jack souffla dans sa barbe. Il trouvait la phrase bateau, quoique bien vrai. Il tourna cette-fois ci son regard sur la gauche où il vit un bureau. Un ordinateur portable était posé dessus et en suivant les fils, il tomba sur deux haut-parleurs insérés à même le mur, qui crachaient un son rapide et rythmé. Sous le bureau, au-dessus d'une palette, se trouvait le caisson de basse. Au-dessus du bureau, il remarqua la présece d'une tenture. Des cercles rouges, jaunes et bleus étaient dessinés, s'entrelaçant en un temps infini dans un espace restreint.

 Jack attira son regard sur la table. Il était rempli de cendriers, de paquets de cigarettes, de bouteilles de bière, de rhum, de gin. Des cartes s'étaient envolées sur tous les bords et des stickers décoraient le tout dans un joyeux bordel.

– Installez-vous, n'hésitez pas, faîtes comme chez vous ! Fit un des colocs.

 Jack et Julie se regardèrent, un peu timides, ne sachant pas où se mettre. Il finit par prendre la parole en premier :

– Merci de nous accueillir ! C'est gentil à vous, on se connaît à peine, fit remarquer Jack.

– Ahah pas de souci, on a l'habitude des inconnus, c'est presque un squat ici. Au fait moi c'est Louis, le plus vieux !

– Ahah ça marche, voilà Julie, ma plus vieille amie ! Et moi bah tu me connais, on s'est vus tout à l'heure !

– Yep bienvenue à vous deux ! Vous voulez un truc à boire, on a des bières, du rhum, je crois qu'il reste un peu de gin ?

– Un bon verre de rhum avec du coca, merci.

– Moi ce sera une bière pour commencer, demanda Julie.

 Jack remarqua un pouf près de la table sur lequel s'installer. Il s'empressa d'y aller au moment où Louis lui tendit le verre :

– C'est sympa chez vous ! Remarqua Jack.

 Il ne restait plus que Lily et Louis dans le grand salon. Elle tituba un peu quand elle s'approcha de Jack et s'installa tout près de lui. Ils s'échangèrent un regard complice. Il ressentit un profond sentiment de sérénité à ses côtés. Jack sentit la chaleur émaner de son corps ainsi que son parfum envoûtant le submerger. Des petites boucles brunes frôlèrent ces épaules et une poussée d'adrénaline s'empara de lui. Un frisson parcourut son corps, ses mains devinrent moites et sa respiration s'emballa. Discrètement, Lily, à l'abri des regards, attrapa la main de Jack. Son cœur battit la chamade, il put sentir les palpitations de Lily à travers leurs mains entrelacées.

 Les deux commencèrent à tisser un lien amoureux, une sphère intime qui leur appartenait. Lily plongea son regard dans les yeux brillants de Jack, envahis par les vagues d'énergie et d'émotion :

– Excuses-moi je suis un peu bourrée, je vais un peu vite peut-être mais j'en avais envie.

 Jack était troublé. Aucun son de sa bouche ne pouvait sortir. Il se contenta d'approcher sa main près du visage de Lily, caressa doucement sa joue, puis effleura le bout de ses doigts sur ses petites bouclettes.

 Il approcha son visage et tendit ses lèvres vers Lily. Ils s'échangèrent un baiser timide, furtif mais savoureux par respect l'un pour l'autre.

 Julie bougeait nerveusement sur sa chaise. Elle avait vu Jack embrasser Lily et ressentit une pointe de douleur à l'intérieur de son cœur. Jack remarqua qu'elle se sentait mal à l'aise. Il la regarda pour savoir si elle allait bien. Elle détourna son regard et plongea dans son smartphone. Jack comprit. Julie, tout ce temps, ressentait plus que de l'amitié à son égard. Voilà pourquoi elle était aussi brute, aussi insaisissable, parce qu’elle voulait simplement se montrer détaché. Il s'en voulut de n'avoir pas compris plus tôt. Il se mettait dans une belle galère et n'avait aucune envie d'avoir une discussion avec Julie. Elle devait pourtant avoir lieu. Il fallait mettre les choses au clair. Il revint sur Lily :

– Je suis content de t'avoir rencontré tu sais, je pensais pas qu'il se passerait quelque chose, je suis pas très doué pour faire le premier pas, je t'avoue ! J'aimerais bien rester avec toi, mais on va pas pouvoir avec Julie, elle doit m'emmener à une soirée mystérieuse, j'ai oublié de t'en parler en arrivant, s'excusa Jack.

– Ahah, t'en fais pas, j'avais remarqué que je te faisais de l'effet et que tu bougerais pas ton cul ! S’exclama-t-elle en lui faisant un clin d'œil. Ah bon ? Qu'est-ce que c'est comme soirée ? D'ailleurs elle a pas l'air bien ta pote, il y a quelque chose entre vous ? Demanda Lily, pour se rassurer.

– Une soirée dans un grand appartement, on devrait nous chercher en voiture, il y aurait des gens importants, faudrait être masqué ou je ne sais quoi... Très bizarre ! Bah écoutes, pour Julie, je ne sais pas non plus, c'est censé être clair entre nous !

– Tu vas avoir le cul entre deux chaises ! Fit-elle en rigolant. Mais je veux pas foutre la merde.

 Jack soupira. Il ne voulait pas non plus faire du mal à Julie mais il commençait à apprécier Lily. Ils se connaissaient que depuis récemment mais elle lui plaisait beaucoup. Il allait sans doute devoir faire un choix qui n'allait pas lui plaire.

– Et cette soirée bizarre, pourquoi vous devez y aller ?

– Bah c'est Julie qui est invité par je ne sais qui, encore un grand mystère ! Et qui m'a demandé de l'accompagner. Au fait Julie c'est qui ce mec qui t'as invité ? L’interpella Jack.

 Julie sortit de sa stupeur. Elle dévisagea les nouveaux tourtereaux en adressant un regard mortel, plein de haine à Lily.

– Un mec rencontré à un séminaire avec qui j'ai couché. Il m'a envoyé les infos d'ailleurs.

 Jack leva les yeux au ciel. Il comprit que Julie voulait le rendre jaloux par tous les moyens. Il s'éloigna un peu de Lily pour détendre l'atmosphère électrique qui commençait à se répandre dans l'air.

– Et c'est quoi ces infos ?

– J'ai l'adresse, il nous donnera des masques à porter une fois arrivé et j'ai aussi le mot de passe. Une voiture, une Berline je crois, arrive d'ici trente minutes.

 Julie récitait son texte. Sa voix était grave, la colère montait et elle cherchait à l'étouffer. Lily voulut rentrer dans la conversation mais elle ne voulait pas contrarier Julie.

– C'est dans le centre ? Demanda Jack.

– Ouais à dix minutes d'ici en voiture, c'est dans les beaux quartiers.

– Parfait, conclut Jack.

– Est-ce que ça vous dirait une petite motivation ? Demanda Lily.

– C'est à dire ?

 Lily sortit une fine plateforme lisse qu'elle posa avec délicatesse sur la table. Elle alla chercher une petite boîte en métal et en sortit un pochon rempli d'une substance blanche et poudreuse.

– C'est bien ce que je pense ? Demanda Julie.

– Oui, de la cocaïne, ça vous motivera pour la soirée ! Je vous mets deux lignes maintenant et deux autres pour là-bas, ça vous va ?

 Jack et Julie hochèrent les épaules. Ils connaissaient cette drogue stimulante et ça ne pouvait pas leur faire de mal avant d'entamer la nuit, qui s'annonçait agitée.

 Lily, habituée, traça avec maîtrise deux grandes lignes d’une dizaine de centimètres sur la plateforme et tendit cette dernière aux deux amis.

 Jack sniffa en premier et se sentit pousser des ailes. Il venait d'embrasser la plus jolie fille de la terre et sentit la confiance monter en lui. Son cœur battait vite, ses pupilles devinrent dilatées et tout parut clair, limpide, sûr.

 Il n'avait plus peur de rien et était prêt à affronter tous les obstacles qui se mettraient en travers de leur chemin. Lucides comme jamais, les deux amis finirent leur verre et se préparèrent à partir.

 Lily s'approcha de Jack pour lui donner un dernier baiser et elle vit s'éloigner les deux amis. Une fois entrés dans la voiture, ils ne pouvaient plus reculer, ils ne savaient pas à quoi s'attendre ni sur qui tombé mais il était trop tard. Ils étaient lucides, un autre monde les attendait, fait de richesse et de beauté, de luxure et de plaisir mais aussi de cruauté et d'apparences.

 Jack leva une dernière fois la tête pour dire au revoir à Lily et monta avec Julie dans la Berline noir, en route vers l'inconnu...

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