Le Chemin
Jack et Julie pouvaient entendre leur respiration. Ils étaient angoissés, ne parlaient pas.
Une vitre teintée séparait l'avant de l'arrière de la voiture. Ils n'avaient aucune information sur le chauffeur. Si c'était un homme, une femme. Son âge. Rien. Ils roulaient depuis cinq minutes et le conducteur n'avait toujours pas dit un mot.
Julie prit la main de Jack. Elle tremblait.
– Ça va ? Demanda Jack, essayant de rassurer son amie.
– Je ne sais pas si c'était une bonne idée d'y aller, je suis désolé...
– Tout va bien se passer, répondit-il, essayant de se rassurer lui-même.
– Le chauffeur n'a toujours rien dit, murmura-t-elle.
Jack toqua sur la vitre.
- Bonsoir, vous vous appelez comment ? Vous pourriez mettre un peu de musique ?
Aucune réponse. Jack soupira. Il regarda à travers la fenêtre pour voir le paysage défiler. Ils arrivaient maintenant dans les beaux quartiers.
De grandes bâtisses se dressaient devant eux, des hôtels particuliers, des maisons, des jardins, tout était parfaitement ordonné, beau, symétrique. Jack reconnut quelques allusions et emblèmes sur les maisons, les portails, faisant référence à la royauté, à la franc-maçonnerie et aux autres symboles de richesse et de grandeur.
Ils franchissaient un autre monde, même les architectes s’en donnait à cœur joie dans leur gigantisme et leur exagération. Rien n'était dû au hasard. Tout était calculé. Ils avaient leurs propres codes. Leurs réseaux. Leur pouvoir. Le jour, rien ne paraissait. C’était un quartier ordinaire. Où habitait des citoyens lambda. Payant leurs impôts. Travaillant pour la collectivité. Jack était déjà venu ici en journée et rien ne lui avait sauté aux yeux. Tout se fondait dans le décor. Mais la nuit tombée, un autre univers s'offrait à lui. Ils dévoilaient alors leur vrai visage. La nuit rendait le tout majestueux, exubérant, presque angoissant. La nuit, tout devenait limpide. La nuit éclairait leurs vices. Tout était imprégné de symboles et le poids de ces demeures écrasa Jack. Tout était propre, figé, silencieux. Ils montraient à la vue de tous leur penchant pour l'occulte et la débauche. La nuit venu, ils ne se cachaient plus et Jack comprit. Ils n'étaient pas les bienvenus…
Au même moment, les deux entendirent un bruit de clic et Julie poussa un cri étouffé. Un tiroir caché s'ouvrit entre les deux sièges passagers.
Jack plongea la main dedans et ressortit un petit papier parfaitement enroulé ainsi que deux enveloppes sur lesquels étaient inscrits leurs prénoms. Jack sursauta :
– Comment ils savent mon prénom ? Tu leur as dit ? S’énerva t-il.
– Non, simplement que je venais avec un ami !
– Quoi ? Ils t'auraient espionné ?
– Je ne sais pas Jack, soupira Julie.
Jack pesta dans sa barbe. Quelle idée absurde avait parcouru son esprit pour atterrir ici. Il repensa à Lily et à ses bouclettes, à ses fines lèvres qu'il venait d'embrasser pour la première fois et à leurs mains enlacées. Il s’était senti bien avec elle et voulut revenir en arrière. Il regarda à nouveau dehors et eut une idée. Il sortit son portable, chercha la localisation avec son G.P.S et envoya une adresse à Lily en lui écrivant « Au cas où ».
- Bon ouvrons ces enveloppes ! Fit Jack.
Les deux amis ouvrirent l’emballage et en sortirent deux masques. Tous les deux de couleur rouge, prenant la forme d’un visage. Deux trous étaient faits pour les yeux, leur permettant de voir :
– Faut les mettre quand ? Demanda Jack.
– Ouvres le papier, on devrait pas tarder à le savoir.
Jack défit la ficelle et déroula le papier de Chine. Des inscriptions à l’encre noir apparurent. Les deux amis se regardèrent, interloqués. Il insprira un bon coup pour se concentrer et entreprit la lecture à voix haute :
« APRHONISOS
1. LAISSEZ LIBRE COURS A VOS PULSIONS
2. CHERCHEZ LE NIRVANA PAR L'EXTASE
3. SEXE ET DROGUE SONT ROIS ET REINES
P.S : Il est bien entendu primordial qu'une soirée comme celle-ci reste secrète, aucun portable, appareil photo, dictaphone, caméra ou tout autre appareil ne sera toléré. Pour que cela soit respecté, nous vous demandons de vous mettre à nu. »
– Nous mettre à nu ? Qu'est que ça veut dire ? S'étonna Julie.
– Je pense que pour éviter qu'une information importante ne soit divulgué, ils nous demandent de rester nus toute la soirée. Ça évite de pouvoir cacher un appareil et ça achète notre silence, en quelque sorte, si je comprends bien..., soupira Jack.
– Pourquoi ?
– Pour éviter, par exemple, que quelqu’un prenne une photo d’un homme politique pris en plein ébat sexuel avec un autre homme. Ou un magnat des médias qui se tape des lignes ! J’imagine que c’est le même milieu et qu’ils se protègent entre eux mais il peut y avoir des fuites pour ruiner une carrière, par ego, ambition ou jalousie. Qui sait ?
– Et le mot de passe ?
– Ça doit être Aphronisos ! Mélange d’Aphrodite et de Dionysos, déesse et dieu de l’amour et de la fête.
– Ça paraît logique, conclut Julie.
Au même moment, la voiture freina et s'arrêta devant un imposant portail. Jack vit un symbole ressemblant à un œil, érigé au sommet. L'œil qui voit tout, symbole de puissance et de pouvoir. Et de mégalomanie pensa Jack. L’entrée était éclairée par deux lampadaires fixés de chaque côté de la route.
Il s'ouvrit et les deux amis furent ébahis par ce qui se présenta face à eux. Une haie de sapins dominait une route. Au fond, il apercevait un rond-point et une impressionnante fontaine captiva le regard du jeune homme. Au milieu de celle-ci, se révéla la sculpture d’un homme massif et imposant qui fixait les étoiles. Il montrait avec son doigt la voûte céleste à une femme dévêtue.
Des lampadaires à trois têtes éclairaient le chemin et Jack eut l'impression d'entrer dans l'univers d'Harry Potter. Il n'osa s'imaginer le prix exorbitant de toute cette surenchère architecturale.
La voiture avança et fit découvrir aux deux amis l'ampleur de l'endroit. La demeure était une sublime villa éclairée par une fleutrée lumière violette. Jack sentit le pouvoir de ceux qui habitaient ici l’absorber. Il ne pouvait en aucun cas y faire face. La villa montait sur quatre étages et le jardin était rempli de cours d'eau, de bancs, de chapiteaux et autres cabanons. Jack put même distinguer plusieurs piscines et une forêt environnante. Des guirlandes de lumière multicolores éclairaient le tout.
Ils s'approchèrent de la fontaine et ils virent de plus près les deux statues regardant le ciel. Epousant la force universelle de Dieu. De l’eau se déversait dans un bassin imposant et Jack put distinguer des poissons nageant dedans :
- Qui peut habiter là ? Demanda Jack, abasourdi par la démesure de l'endroit.
– Forcément quelqu'un de très riche.
– Une dynastie... murmura Jack. Une richesse construite sur plusieurs siècles, sur le dos des hommes et en versant le sang. Créant des guerres et des famines. Une famille au passé lourd, sombre, glauque…
– N’abuses pas Jack ! S’énerva Julie qui n’appréciait pas ses envolées cyniques.
Le portable de Jack vibra et il vit un message de Lily. « C'est noté, courage ». On va en avoir besoin pensa t-il. La voiture contourna la fontaine et s’arrêta devant la villa. Un grand monsieur frêle et à l’apparence macabre, vêtu d'un smoking noir sur mesure s'approcha de la berline.
Il portait des gants en cuir noir et avait les cheveux longs et blancs platines, coiffés en arrière. Jack pensa tout de suite à un croque-mort. Il essaya aussitôt de faire disparaître cette macabre pensée. C’était plutôt une sorte de valet, un domestique. Le monsieur s’approcha de la voiture et ouvrit la portière de Julie.
– Bien le bonsoir Mademoiselle ! Vous êtes bien Julie Pineault ?
– Oui monsieur.
– Très bien, j'espère que vous avez fait bonne route, veuillez me suivre, vous et votre ami.
– Monsieur ! Attendez ! Est-ce qu’on doit se mettre tout nu ? Demanda Jack, en désignant le papier.
– Non, vous n’y êtes pas obligés, nous vous fouillons entièrement pour qu’aucun appareil ne surgisse pendant la soirée. Mais vous pouvez vous rhabillés pour la soirée. Aucun problème.
– Et les masques ?
– Après la fouille. Veuillez me suivre maintenant s’il vous plaît, s’empressa-t-il.
Jack tapota précipitamment sur son smartphone. Il eut le temps d'écrire « Portable interdit. Regarde sur google maps si endroit flouté. On est là. » avant de sortir de la voiture. Ils suivirent le sinistre monsieur et montèrent la vingtaine de marches qui les gudaient maintenant vers l'imposante villa.
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