La femme en rouge
Une entrée ressemblant à une arche se tenait devant les deux amis. Le maître d'hôte s’avança et ouvrit, non sans difficulté, une grande porte en bois. Elle devait poser des tonnes. Un individu, sûrement un agent de sécurité au vu de son imposante présence, nous accueillit. Il avait un air dément, de grosses mains charnues et une allure d'ogre n'attendant qu'à vous manger cru. Il nous fit signe d’avancer. Ils rentraient maintenant dans un vaste hall, sorte d’accueil préambule aux futures festivités. Jack sonda la pièce de son regard et aperçut une monumentale fresque au plafond. Hommes et femmes, complètement dévêtus, se côtoyaient autour d’un festin abondant. La fresque lui donna la chair de poule. Ils arrivirent dans un endroit sortant de l'ordinaire. Il sentit la richesse ruisseler à travers les murs. Le plafond était si haut que Jack eut l'écrasante impression de se sentir minuscule. Comme étriqué dans cette pièce, pourtant immense.
Julie attira son regard sur un portique semblable à ceux des aéroports. Ce dernier bouchait un accès devant un long rideau rouge éclatant, qui attira l’attention de Julie :
- Qu’est-ce qu’il y a derrière à ton avis ?
- Je ne sais pas mais on devrait pas tarder à le savoir. Et ton ami, il devient quoi ?
- Aucune nouvelle..., marmonna Julie.
Le colosse à l'allure déséquilibrée amena les deux amis vers un comptoir qui se situait à droite du portique. Derrière, une femme, vêtue d’une robe rouge, se tenait debout, immobile. Sa robe plongeante dévoilait une forte poitrine. Ses cheveux, aux reflets pourpres, étaient mi longs, plaqués en arrière. Ses traits étaient fins et sa bouche pulpeuse. Pulpeuse et rouge carmin. Elle était très belle. Trop même. Jack ne put s’empêcher de penser à une poupée mécanique ou à une sorcière. Venant d’un autre monde. Il y avait une sorte d’aura qui l’entourait. Une aura énigmatique, insondable. Ses yeux bleus glace transpercèrent son regard. Elle leur adressa un sourire anormalement grand, presque sadique. Elle déplia son bras, laissant apparaître de longs ongles écarlates. Elle fit bouger lentement son index d’avant en arrière, les forçant à s'avancer :
- Bonsoir, Messieurs-Dames, vos noms s’il vous plaît ?
Sa voix était celle d’une dame sûre d’elle, arrogante, se servant de ses atouts pour manipuler. Elle avait tous les attraits d’une femme fatale, aussi séduisante que vénéneuse. Julie tourna son regard vers Jack. Elle le vit, absorbé et dévoré par la présence magnétique de cet étrange personnage. Elle lui passa la main devant les yeux mais il ne broncha pas. Julie leva les yeux au ciel en signe de désespoir :
- Bonsoir Madame, j’ai un ami qui m’a invité ici, je ne sais pas si vous…
- D’abord vos noms, coupa la femme en rouge.
Julie fut prise de court. Elle n’appréciait sans doute pas le ton hautain que prenait cette femme. Quelle garce ! Quel culot ! Pensa-t-elle. Elle se retenait de l'insulter de vive voix. Restes diplomates, ne t’emballes pas ma grande.
- Je m’appelle Julie Pinseault et voici mon ami Jack.
- Jack comment ? Rétorqua-t-elle au jeune homme, en prenant bien soin d’ignorer Julie.
Julie donna un coup brusque dans les vertèbres de Jack pour le faire réagir. Il poussa un petit cri de douleur et revint à lui-même. Il se redressa sur ses épaules et secoua la tête :
- Pardon, je fuyais dans mes pensées.
- Ton nom Jack ! Dis ton nom ! Se crispa Julie.
- Euh… Oui, Jack Herer, madame, répondit-il, encore secoué.
- Vous ne fuyez pas dans vos pensées mais dans mon décolleté, jeune homme. Aucun problème, j’aime que les hommes m’admirent. Au lieu de baver dessus, vous pourrez les toucher plus tard, peut-être, conclut-elle en lui envoyant un clin d’œil.
Julie n’en revenait pas. Elle le connaissait à peine et invitait Jack à venir dans son lit. Quelle grosse salope ! Jack, de son côté, rougit. Il avait la bouche grande ouverte et resta stoïque, dépassé par l’événement. La femme en rouge était, quant à elle, confiante et sûre de son pouvoir. Julie, pourtant si forte d’habitude, était désarmée. Elle chercha un soupçon de courage et balança à la femme :
- C’est mon copain ! S’exclama t’elle sans vraiment y mettre de conviction.
- Il faut savoir partager, ma jolie.
Elle venait d'anéantir Julie sur place. Mystifiée, elle était k.o debout. Le sol s’était comme dérobé sous ses pieds. Sidérée, les yeux écarquillés, elle ne bougeait plus. L'impitoyable vipère avait engloutit Julie en une poignée de secondes. Elles ne jouaient pas dans la même cour. La femme en rouge eut un sourire mesquin. Son visage s’étira, commençant à trahir son machiavélisme. Julie et Jack se regardèrent, ne sachant plus où se mettre. Un silence de cathédrale avait envahi la pièce. Julie entendit les respirations brutes du colosse derrière elle. Elle pouvait sentir son souffle chaud envahir sa nuque. Tout était figé. La tension montait. L’adrénaline aussi.
- Bon, je suppose que vous venez ici pour la première fois, poursuiva la femme en rouge. Je vais vous expliquer les règles. Pour commencer, vous allez devoir laisser ici vos vêtements avec vos portables. Vous pouvez rester nus ou mettre une toge que nous vous donnons. Il y a des vestiaires juste derrière moi. Ensuite, vous devrez porter le masque trouvé dans la voiture toute la soirée et passer par le portique. C’est pour des raisons de sécurité…
Jack tilta sur le mot sécurité et sortit de sa stupeur. Il avait des centaines de questions qui lui traversaient l’esprit, son cerveau bouillait, mais son corps restait paralysé. Il avait envie de s'en griller une pour évacuer toute cette angoisse, la nicotine commençait à lui manquer :
- Excusez-moi mais nous venons ici pour la première fois. Vous savez ce qu’il se passe à l’intérieur ?
La femme en rouge posa ses mains au-dessus du comptoir et bascula vers Jack. Elle effleura volontairement ses lèvres de sa féroce poitrine. Elle s’approcha de son oreille. Il sentit son parfum qui le fit chavirer dans les profondeurs des limbes. Ensorcelé, elle lui murmura d’une voix douce, presque enfantine :
- Le désir, Jack, ici tu pourras faire ce que tu veux, rencontrer qui tu veux, coucher avec les plus belles femmes, faire des expériences que tu n’aurais même pas imaginer. Pour la première et dernière fois de ta vie, tu effleureras le vrai pouvoir et tu pourras m’avoir moi, si tu le désires….
Elle termina sur ses derniers mots en lui apposant délicatement un baiser dans le cou. Elle se tourna vers Julie, et tout en la regardant, passa sa langue sur la bouche. Un regard pervers, menaçant. Jack sentit une décharge électrique l’envahir, une bosse apparut dans son pantalon. Il n’avait jamais ressenti une telle excitation de toute son existence. Quelle était cette femme ? D’où venait-elle ? Julie, de son côté, n’avait pas bougé d’une oreille, toujours tétanisée, effrayée par les regards glaçants et incessants de cette femme.
Jack déglutit et essaya de couper court à ce moment gênant.
- Est- ce qu’on peut…euh… nos cigarettes, on peut les garder ?
- Vous aurez tout ce qu’il faut à votre disposition dans la soirée, mon chéri.
Julie commençait sérieusement à s’agacer. Elle serra ses poings de toutes ses forces pour ne pas exploser.
- Mon ami m’a dit qu’il y avait des gens de la haute sphère, c’est-à-dire ? Demanda-t-elle en grinçant des dents.
- Ne sois pas naïve ma grande. Tu imagines bien que je ne vais pas te dire qui participe à cette soirée. Mais des gens puissants, certainement. Je ne vous en dirais pas plus. La discrétion est de mise ici. Vous imaginez bien que nous restons confidentiels.
Julie n’en pouvait plus. Elle voulait tout abandonner et partir en courant. Le comportement de cette femme lui sortait par les yeux. Elle était irrespectueuse, prétentieuse et par-dessus tout, aguichait ouvertement Jack, devant elle.
Jack et Julie s’échangèrent un regard tendu. Ils n’étaient pas dans leur environnement. A peine arrivé, ils étaient tombés sur cette diabolique créature et ils avaient la désagréable sensation que ce n’était qu’un début. Derrière ce rideau rouge, l’empire du vice les attendaient, ils en étaient certains. Ça dépassait toutes leurs attentes. Excités à la fois de découvrir ce monde, un profond malaise s’était maintenant emparé d’eux. Un mélange de peur et d’excitation. D’angoisse et d'agitation.
- Et pourquoi nous ? Interpella Jack, nous ne faisons pas partie de ce gratin-là.
- Il faut bien que des gens du petit peuple aient de temps en temps droit au plaisir de goûter au pouvoir. Mais nous ne choisissons jamais par hasard…
- Quoi ? C’est-à-dire ? Répliqua Julie.
La femme en rouge ne releva pas la dernière question et désigna aux deux amis les cabines où ils pouvaient se changer à l’abri des regards, avant de disparaître derrière une porte dérobée. Il restait maintenant que le colosse et eux. Jack serra fort Julie dans ses bras, essaya de la rassurer. Ils allèrent vers les cabines et se changèrent. Ils mirent leurs masques sur le visage. Le colosse n’avait toujours pas décroché un mot. De son regard froid, vide de vie, il désigna aux deux amis le portique. Il leur décrocha un sourire carnassier, celui d'un monstre prêt à jaillir pour étouffer sa proie. Jack détourna le regard, apeuré.
- T’es prête ?
- Je flippe un peu…
- Essayons de se mettre à l’aise, buvons un verre, restons ensemble, voyons ce qu’il s’y passe. Tu n’as toujours pas de nouvelles de ton ami ?
- Non… Jack t’imagines, il y a des diplomates ici, des banquiers, peut-être même des ministres ?
- De toute manière, il sera impossible de les reconnaître avec le masque, conclua t-il.
Jack passa en premier le portique, aucune alarme ne se déclencha. Il poussa un soupir de soulagement. Julie fit de même. Rien non plus. Ils étaient tous les deux vêtus d’une toge noire et d’un masque rouge. Jack eut l'impression de revenir dans le passé, dans des grands châteaux, à la cour, entouré de courtisans, discutant des derniers ragots sexuels des aristocrates et des nobles. Tout filait vite dans son cerveau, il pensa à la femme en rouge qui s’était offerte à lui, à Lily qui continuait sa soirée, à sa vie de serveur. Il pensait à ce qui l’avait amené là, dans les fêtes des riches, il pensait à ce qu’on pouvait y faire, des choses horribles ! Il essaya de chasser ses pensées, après tout ce n’était que des humains, certes richissimes, qui se rejoignait quelques fois pour décompresser et s’enlever toute pression en s’enivrant d’alcool et de sexe. Comme tous les clients de son bar. Il vit l’agent de sécurité s’approchant du rideau rouge et invita les deux amis à passer de l'autre côté.
- Mot de passe ? Dit ce dernier d'une voix grave, sans vie.
- Aphronysos.
Il ouvrit le rideau rouge et de son rictus dérangé et sa silhouette désincarné, regarda les deux amis s'éloigner. Il savait qu'ils se jetaient aveuglement dans la gueule du loup.
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