Lily

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 Son chef acquiesça. Il n'allait pas l'empêcher d'aller bosser. Jack traversa la cuisine, s'approcha d'un lavabo, se lava les mains et sortit en terrasse reprendre les commandes. Un groupe de personnes d’une trentaine d'années venaient d'arriver à une table. De loin, ils paraissaient éméché. Jack sortit discrètement son portable. Toujours aucune réponse de Julie. D'un coup de main aussi rapide qu'un pianiste de génie, il mit son mobile sur le mode vibreur. Quelle rapidité d'exécution pensa-t-il, non fier.

 Jack s'approcha de la table. Deux filles et deux garçons étaient assis. Les jeunes femmes, toutes les deux brunes, étaient très charmantes, habillées de manière séduisantes. Le style de tenue porté quand on sort en ville le soir. Et où l'on espère ne pas rentrer seul. Elles portaient toutes les deux une veste en cuir qui cachaient, ou plutôt dévoilaient, un débardeur plongeant. Leur visage était finement maquillé. Elles savaient se mettre en valeur. Les deux jeunes hommes étaient pour leur part habillés sobrement mais élégamment, chemise et veste d'automne accompagnaient leurs cheveux courts, bruns et bien coiffés. Des personnes soignées dans leur apparence. Jack misa sur deux couples de jeunes actifs. Tandis qu'il s'approcha de la table, il essaya de ne pas trop attarder son regard, absorbé par les courbures excitantes que formaient leurs seins.

– Bonsoir Messieurs dames, qu'est-ce que je vous sers ? Proposa-t-il, sourire aux lèvres.

– Vous avez quoi comme bières ? Demanda une des jeunes filles.

 Jack soupira doucement. Il avait horreur de cette question. Lui qui était plutôt taiseux, timide, aimait quand les clients regardaient la carte avant de commander. C'était une question de bon sens. Pour gagner du temps. Jack posa un temps avant de reprendre la parole.

– Qu'est-ce que vous aimez ? Brune, blonde, ambrée ? Nous servons de très bons cocktails aussi ! Fit remarquer Jack, dans un élan commercial.

– Hum, eh bien écoutez, moi j'aime bien le rhum quand il est mis en valeur ! Vous avez ça pour moi ? Sonda la jeune fille, la plus jolie des deux.

 Jack remarqua son changement de posture dans un mouvement harmonieux. Son attitude venait de changer. Elle prit une allure de séduction. Accoudée à la table, la main fine posée délicatement sur la paume de sa joue. Elle prit une bouffée de cigarette en lui jetant un regard sulfureux, l'invitant à rentrer dans son jeu. Intimidé, il évita ce dernier. Un bref silence s'installa. Jack déglutit. Cela le mit mal à l'aise. Il dut se concentrer pour ne pas rougir. Et mettre fin à ce silence pesant :

- Eh bien, je peux vous proposer un Punch Cobain, il y a du rhum bien sûr, de l'ananas, de l'orange de la limonade et grenadine ? C'est excellent ! Ça vous irait ? Cria presque Jack pour mettre un terme au mutisme ambiant.

– Je vous fais confiance, ce sera parfait ! Merci ! Finit la jeune fille, un peu amusée.

 Jack n'oublia pas qu'elle était un peu ivre. Désinhibée, elle aimait peut-être séduire les serveurs pour obtenir leurs faveurs sur les prix. Mais cela relevait un peu de la paranoïa. Elle avait été quand même été expressive. Il hocha la tête, comme pour se mettre d'accord.

– Et vous ? Questionna Jack adressant un regard à ses trois autres amis.

– Pour ma part, une pinte d'ambrée !

– Moi ce sera un mojito, classique !

– D'accord ! Très bien je note ! Et vous pour finir, Madame ?

– Un coca, merci, j'ai assez bu...

 Ses quatre amis rigolèrent. Elle avait l'air la plus timide des quatre. Ou la plus raisonnée, Jack hésitait.

– Ça vous fera 31 euros et 50 centimes s'il vous plaît ! Vous réglez comment ?

 La jeune fille au rhum sortit subitement sa carte. Elle était de toute beauté. Au départ impatient de prendre la commande, Jack aurait voulu maintenant rester des heures à la contempler. Ses amis la remercièrent d'offrir la tournée. Jack ne savait pas si elle était généreuse avec ses amis ou si elle voulait continuer son jeu de séduction. Peut-être un peu des deux. Il était déstabilisé. Dans un sursaut de courage, il sortit promptement l'éponge à droite de sa ceinture et passa un coup sur la table. Il se mit soudainement à sentir le parfum envoûtant de la fille qui le troublait. Un mélange épicé de fleurs. Subtil mais prenant. Il était captivé. Jack se rattacha au réel et remit l'éponge à sa place. Il finit par sortir de quoi payer la note.

– Voilà ! Vous... vous gardez voulez... euh vous vous voulez garder la note ? Désolé, la fatigue ! Dit-il hésitant, comme pour s'excuser sans trop en faire. Il n'était pas du tout fatigué mais dérouté.

– Non ça ira, merci !

 Jack fit un signe de la main pour les remercier et tourna les talons. Il s'en allait vers d'autres vents quand la jeune fille le sollicita.

– Excuse-moi de te déranger à nouveau, tu t'appelles comment ?

– Jack.

– Il est chaleureux ton service, on te reprendra des commandes ce soir alors ! On va te faire bosser ! Dit-elle d'un ton farceur mais affectueux.

 Ses trois amis rirent. Jack, de plus en plus mal à l'aise, resta paralysé un instant. Aucune partie de son corps ne répondait. Il pestait contre lui. Il devait combattre sa timidité, avoir l'air naturel, mais elle était tellement céleste et magnétique que cela lui était compliqué et difficile. Heureusement, son téléphone vibra une fois, d'une façon brève. Il sortit de sa léthargie. Un message. Sûrement Julie. Une fois de plus, son portable l'avait sauvé. Il se défigea.

– Merci c'est gentil ! A tout à l'heure, alors !

 Il s'adressa à la jeune fille avec un immense sourire. C’était le moment propice pour lui demander son prénom. Simple retour des choses. Il chercha tout l'héroïsme qui se cachait en lui et demanda avec ardeur :

– Au fait... et toi ? C'est comment ?

Elle pencha la tête, sortit son plus éclatant visage et pénétra le regard de Jack :

– Lily, je m'appelle Lily.

– Enchanté Lily, je reviens vous voir tout à l'heure ! D'autres clients m'attendent.

 Gonflé à bloc, Jack ne pensait plus à rien. Il était déterminé à faire le meilleur service de sa vie. Il n'y avait plus de Julie. Il n'y avait plus de soirée. Il n'y avait plus de problèmes. Plus de guerres. Plus de crises. Plus de politique. Plus de violence. Il n'y avait que Lily.

 Il arbora un large sourire en allant servir un couple quelques tables plus loin. Il profita d’une pause pour dégainer le portable de sa poche. C'était bien un message de Julie. Elle avait pris connaissance de l'article et demandait quel était le rapport avec la soirée.

 Jack leva les yeux au ciel, déçu de la réponse un peu condescendante de son amie. Il décida d'attendre la fin de son service pour lui en parler. Julie avait ce côté sûr d'elle, presque trop selon lui, qui lui permettait d'aborder les situations de la vie avec une confiance inébranlable. Elle n'était jamais méfiante, avait un côté carriériste qui lui permettait de passer les obstacles avec confiance. Tout le contraire de Jack. Il se disait souvent que c'était pour ces différences qu'ils s'entendaient, mais ne s'accordaient pas.

 Il n'avait jamais éprouvé quelconque sentiment pour son amie. Il la trouvait mignonne, plutôt sexy, ils aimaient partager des instants de vie car ils étaient complices mais cela ne dépassait jamais le stade de l'amitié. Fort heureusement. La frontière était toujours étroite, sinueuse, entre l'amitié et l'amour, comme si nous jouions sans cesse l'acrobate en constante recherche d'équilibre. Cherchant à éviter de tomber plus à droite ou plus à gauche. La vie était comme ça, vertiginieux fil du vide.

 Jack voyait Julie comme une confidente, une épaule sur laquelle se reposer, presque comme une sœur, lui qui n'en avait pas. S’il avait envie de décompresser, il l'appelait. Elle débarquait aussitôt. Et ils prenaient un malin plaisir à s'enivrer à deux. De toute évidence, ça leur allait très bien. Il passa l'heure suivante à se concentrer. Ses problèmes pouvaient attendre, le devoir l'appelait.

 Jack traversa la terrasse de son regard. Il s'arrêta un instant sur la table où il avait servi Lily. Leur verre était pratiquement finie. Il s'approcha d'eux, plus pour revoir cette fille majestueuse que pour véritablement les resservir.

– Vous désirez autre chose ? Questionna t-il.

– Oui je vais te reprendre la même ! Demanda Lily avec sa voix toujours sensuelle. Il est vraiment bon !

– Merci, c'est gentil. Et vous ?

 La jeune fille qui avait pris un coca lui demanda cette fois-ci le même cocktail que Lily. Jack était fier, il avait parfaitement choisi la boisson et fidélisait le client. Peut-être lui laisseront -ils des pourboires.

– Vous ne reprenez pas la voiture après ? Demanda Jack pour lancer la conversation.

– Non on habite juste à côté. En fait, on est une colocation. Mixte. Dans les règles de l'art.

– Je ne vous ai jamais vus ici pourtant.

– Parce qu'on vient d'emménager.

– Ah vous connaissez la ville ?

– Pour trois d'entre nous, oui. Alicia non.

Lily désigna la fille qui lui faisait face.

– Je viens de Toulouse ! Fit cette dernière.

Jack l'ignora complètement.

– Vous vous êtes trouvés comment ?

– Nous cherchions tous les quatre un grand appartement dans le centre, où mettre un peu de vie dedans. Nous sommes encore jeunes et tous les quatre salariés. C'était le bon plan pour profiter quelques temps ensemble.

– La colocation parfaite ! S'exclama Jack.

– Oui pour l'instant ça se passe très bien ! On se prend pas la tête, chacun a déjà un emploi du temps bien rempli avec le travail et les loisirs donc on ne se marche pas sur les pieds. Ça nous va très bien. Mais nous sommes tous les quatre des fêtards. Donc le weekend et surtout les jeudis soir, on organise des grosses murges à la maison. Cent-vingt mètres carrés, on peut se le permettre !

– Intéressant..., poursuiva Jack

– Et toi ? Tu es serveur pour te payer un appart dans le coin ?

– Ouais c'est exactement ça. J'aime bien rencontrer des gens, j'ai pas de contraintes comme une femme ou des enfants et j'aime bosser le soir. Les weekends ça fait plus chier par contre. Mais bon, on s'amuse bien aussi !

– Et j'imagine que tu as d'autres plans de carrière ?

– Ouais j'aimerais bien faire de la politique mais à l'échelle locale ou du journalisme.

– Faire bouger les choses ?

– A mon niveau oui.

– C'est passionnant mais pas facile. Il faut de l'audace.

 Jack et Lily se regardèrent. Il ne se lâchaient pas. La tension était présente dans l'air, comme si tout le monde était conscient qu'une complicité venait à naître. Ils étaient dans leur bulle. Et personne ne pouvait les empêcher. C'était leur moment. Lily finit par briser le silence :

– On va continuer notre soirée à la maison si ça t'intéresses ? On a tout ce qu'il faut à boire et du bon son.

 Jack hésita. Il voulut dire oui tout de suite mais il devait convaincre son amie Julie de venir. Il ne pouvait pas la lâcher au dernier moment. Même si Lily lui plaisait. Il détestait ces moments. Ces choix cornéliens à faire.

– Il y a une amie à moi qui doit passer me chercher à la fin du service pour boire des coups, je n’ai pas envie de la lâcher mais je peux peut-être l'inviter ? En espérant qu'elle accepte, poursuivit Jack.

– Aucun problème ! Donnes-moi ton numéro, je t'envoie l'adresse. A moins qu'on reste jusqu'à la fermeture ! Dit Lily en lui adressant un clin d'œil.

 Il adorait ses prises d'initiative. Plus il apprenait à la connaître, plus il se sentait en confiance. Il y avait quelque chose entre eux, il le percevait, le sentait. Il ne savait pas si c'était chimique, qu'une simple corrélation d'éléments, une accumulation de probabilités. Ils devaient se rencontrer. Ils devaient s'entendre. Tout cela était peut-être déterminé. Couru d'avance.

 Ou alors si c'était bien plus chaotique. Quelque chose qui les dépassait, d'inattrapable, d'inquantifiable, de magique. Un lien si unique et si fort entre deux personnes, qui transcendait la raison, les frontières, les origines. Il préférait opter pour la deuxième option, bien plus merveilleuse à son goût.

 Jack n'avait connu qu'une seule et grande histoire d'amour véritable. Un lien fortement puissant, profond, intense, était né de cette relation. Une liaison qui avait très mal fini. Son amie Julie l'avait ramassé à la petite cuillère. Jack avait mis six mois à s'en remettre. Il avait sombré dans la dépression. Il avait noyé son chagrin dans l'alcool. Le monde s'était écroulé devant lui. Et il était tombé avec. Mais il avait fini par admettre que le prix à payer d'une grande histoire d'amour ne pouvait être autre qu'un infini chagrin.

 Jack finit par sortir de ses pensées et fouilla dans sa poche. Il prit son téléphone et regarda son numéro qu'il ne connaissait pas entièrement. Il l'énonça à Lily :

– Ok, c'est noté ! Je t’envoie un sms avec l'adresse, c'est à quelques rues, tu ne devrais pas te perdre ! Ou alors... on peut t’attendre ici ? Questionna-t-elle.

– Merci pour l'adresse, je préviendrais mon amie. Je dois aider à nettoyer et à ranger les tables et le boss n’aime pas trop qu'on reste dans les parages.

 Jack désigna les fenêtres et balcons alentours. Il ne fallait pas plus déranger les voisins quand la brasserie fermait. La terrasse était située dans une zone densément peuplée, rempli de bars. Ils n'étaient pas loin, ce n'était pas la peine qu'ils patientent dehors. Lily fit une moue compréhensive.

– On se tient au courant alors !

– Pas de problème ! Je t'écris.

 Jack vit s'éloigner Lily et ses amis. Il put enfin la voir debout. Elle était vêtue d'une jupe courte accompagnée de collants transparents et de petites bottines noirs luisants. Ses jambes étaient comme les plus beaux pinceaux des plus grands peintres. Et les collants la transcendaient en une œuvre d'art. Elle se retourna un instant et remarqua que Jack la contemplait. Lily fit un salut lointain avant de finir par s'évaporer à l'angle d'une rue.

 Jack profita de leur éloignement pour regarder l'heure sur son portable. L'écran afficha vingt deux heures passés, il n'était plus loin de rendre son tablier. Il ne restait que quelques clients, le froid venant avec la nuit avait découragé les plus courageux d'entre eux. Et les plus alcoolisés. Une fin de service qui s'annonçait calme, comme Jack savait les apprécier. Avec ses collègues, il servit les derniers clients. La terrasse était, comme souvent après chaque soir, une porcherie.

 La nuisance sonore, avec ces étudiants qui criaient, qui invectivaient les passants et les serveurs laissaient place à la pollution visuelle. La terrasse était jonchée de détritus, des serviettes aux clopes, en passant par des préservatifs ou des tampons. Les tables étaient trempées de bière, Jack pouvait même sentir l'urine au loin. Quelques chaises s'étaient renversées, les gens ne prenant même pas la peine de les remettre à leur place. Les badauds n'étaient pas en reste. Ils frappaient, agressaient et criaient, comme si la haine les avait submergés la journée et que la nuit tombée, elle se déversait dans les rues. La plupart des personnes profitaient de ce moment festif, collectif pour souiller l'endroit. Ils n'avaient ni respect pour le lieu, ni pour les personnes qui y travaillaient ni pour eux-mêmes.

 Jack était sûr que le samedi d'après, en se promenant dans le centre, il allait retrouver ces mêmes jeunes, en ville, pancarte à la main, manifestant pour le climat. Il avait fini par être dégoûté de toute cette hypocrisie ambiante, de ces personnes qui utilisaient leur apparence, leur idéologie et leur combat uniquement pour leur intérêt. Afin que personne ne les dérange et ne les contrarie, quand ils voulaient dévoiler à la face du monde toute leur décadence et leur malhonnêteté. Jack en avait trop vu pour croire que l'humanité changerait un jour ou l'autre. Elle courait à sa perte et il s'était mis à penser qu'elle l'avait bien cherchée.

 Il vit au loin son nouveau collègue qui commençait à enlever les déchets jetés à même le sol et s'approcha de lui. C'était un petit homme tout fin, yeux écarquillés, aux lunettes rondes et aux cheveux blonds en bataille. Il avait l'air timide en apparence :

– Hé, dis-moi, c'est comment ton prénom déjà ?

 Le garçon vit Jack arriver à sa hauteur et s'immobilisa. Il se releva, souffla un coup, remonta ses lunettes et commença à le dévisager, surpris de cette venue inattendue.

– Je m'appelle Cédric ! S’exclama-t-il comme pour s'imposer.

– Moi c'est Jack, enchanté, je ne crois pas qu'on ait encore fait connaissance, fit-il remarquer.

– Non, j'ai commencé hier.

– Ça va ? Pas trop dur le début ? Tu sais, tu n'es pas obligé de nettoyer ici, il y a des entreprises qui viennent le matin, c'est la ville qui nous fait le boulot, on va pas s'en plaindre !

 Jack voulut détendre l'atmosphère. Il savait ce travail exigeant et fatiguant. Il était un des plus anciens employés et c'était son rôle de mettre à l'aise et de faire connaissance avec les nouveaux.

– Non, c'est la première fois que je fais du service, c'est pour payer mes études, enfin plutôt mon loyer. Je viens d'arriver dans cette ville et je ne connais pas grand-monde. J'ai fait un tour dans le centre, je suis allé poser des C.V par-ci par-là et je suis tombé ici. Me voilà maintenant. Dis-moi c'est toujours aussi cher ici ?

 Jack avait réussi sa mission. Cédric s'était détendu, sa voix était plus posée. Ils avaient fini de travailler, c'était le moment de se détendre :

– Tu fumes ?

– Ouais mais je les ai pas sur moi, soupira-t-il.

 Il sortit un paquet de sa poche gauche et le tendit vers son collègue.

– Tiens, prends-en une.

– Je te remercie !

– Il n'y a pas de quoi ! Pour revenir à ta question, ouais le centre-ville est excessivement cher, les appartements, pour certains flambants neufs, sont délaissés ou sont rachetés par des notables véreux pour les louer. La politique de la ville laisse à désirer, ils n'arrivent plus à faire le poids face au libéralisme économique qui l'emporte sur les marchés publics.... Enfin bref, ce n'est pas le moment de parler de politique, tu fais quoi comme études ici ?

 Cédric écoutait attentivement Jack. Ce dernier ne savait pas s'il était impressionné, un peu intimidé ou si c'était simplement une marque de respect :

– Sciences politiques ! S'écria, non sans fierté, Cédric.

Jack comprit mieux.

– C'est cool, ça peut être passionnant !

– Oui mais la politique est difficilement accessible, enfin, à un certain niveau, il n'y a par exemple que peu de ministres venant des catégories sociales, disons inférieures. C'est un peu péjoratif...

 Jack hocha la tête pour lui demander de poursuivre :

– Je pense qu'il est compliqué de secouer le cocotier. Il y a une caste supérieure qui existe, qui possède le pouvoir mais elle reste entre elle. Et ça pose problème.

 A l'écoute de l'argumentaire de son collègue, Jack sombra dans ses pensées. Cédric n'avait pas tort. Il fit le parallèle avec ce que lui avait dit Julie à propos de la soirée. « Des gens importants, de la haute sphère ». Il s'imagina un instant qu'ils pouvaient faire partis de la caste dont parlait son collègue Cédric. Lui qui s'intéressait de près à ces gens-là, à leur manière de penser, de fonctionner, c'était peut-être le moment de les rencontrer. D'entrer dans leur monde. De découvrir qui tirait les ficelles.

 Il repensa à ses mots. Maintes et maintes fois de suite quand il reconnut un bruit familier au loin qui le sortit de sa rêvasserie.

– Hey Jack! Jack! T'as fini?

 C'était Julie qui accrochait son vélo de l'autre côté du trottoir. Jack leva la tête et aperçut son amie. Elle était vêtue d'un jean slim pour le bas et d'une longue veste verte pour le haut. Une petite chemine blanche accompagnait le tout. Ses cheveux blonds vénitiens étaient détachés. Elle avait pris soin d'elle et s'était mise en valeur. Jack l'observait de loin galérer avec son anti-vol. Il voulut s'approcher pour l'aider mais elle lui fit signe de reculer.

– Coucou Julie, comment ça va ? Pas trop froid à vélo ? Demanda Jack.

– Non t'en fais pas pour moi, je ne suis pas une frileuse !

 Jack ria un bon coup. Julie était sur la défensive dès qu'il cherchait à prendre soin d'elle. Elle était non seulement une battante, mais elle avait un côté garçon manqué, masculine qui pouvait rebuter les hommes qui essayaient de la séduire. Jack savait par expérience que les mecs ne devaient surtout pas considérer Julie comme leur objet de désir. Elle n'était certainement pas soumise. Mais féline, assurément.

– Tu veux quelque chose à boire ? Je vais me servir une bière, on a fini le service, dit Jack en pointant son collègue.

– Ouais une bonne pinte s'il te plaît, j'ai eu une grosse journée aujourd'hui, ça me fera du bien, répondit Julie.

– Et toi ? S'adressa Jack à Cédric.

– Ouais une autre, avec plaisir, la même que vous.

 Jack opina. Il se mit en route et rentra à l'intérieur de la brasserie. Son chef était derrière le comptoir. Il effectuait les comptes de la journée. Il y avait un parfum intense et irritant de produits nettoyants dans l'air. Le sol était glissant et les chaises retournées sur les tables. De la musique se répandait dans la salle par les hauts parleurs. Un groupe de reggae jouait à la radio.

– Chef, tu peux m'envoyer trois pintes s'il te plaît ? Une pour le nouveau et une pour Julie !

– Yeah pas de problème vieux ! Bon boulot aujourd'hui, constata-t-il.

 Son chef était décontracté. L'équipe avait fait son maximum aujourd'hui, il était jovial et de bonne humeur. Il allait pour sûr servir quantité d'alcool aux serveurs. Son chef prit trois grands verres, versa la bière et les tendit à Jack. Il le remercia en secouant la tête et fit demi- tour. Jack commença à glisser sur le carrelage et Cédric lui approcha une table pour l'aider à ne pas tomber. Julie avait enfin réussi à cadenasser son vélo et s'était rejoint à eux. Elle prit tendrement Jack dans ses bras et ils se livrèrent à une longue étreinte. Cédric se sentait mal à l'aise à côté des deux amis, il prit sa bière et recula un peu :

– Comment ça va mon Jack ? Demanda Julie.

– La soirée fut dure mais j'ai fait une belle rencontre. Il y avait un groupe de quatre personnes qui sont venus. J'ai sympathisé avec eux au fil de la soirée, c'est une coloc qui vient d'emménager, ils habitent juste à côté. Ils nous invitent après, ça te dirait ?

– Sympa, mais j'ai comme l'impression que tu ne me dis pas tout, insista Julie.

 Julie savait lire dans ses pensées comme dans un livre ouvert. Jack était plutôt énigmatique, il aimait bien garder sous scellés certaines de ses pensées mais Julie devinait toujours s’il y avait anguille sous roche :

– Ok j'avoue, il y a une fille qui s'appelle Lily, j'ai senti que le courant passait bien entre nous et j'aimerais la voir après, finit par admettre Jack. Elle m'a envoyé l'adresse par sms, ils habitent à côté, il y aura tout ce qu'il faut pour passer du bon temps. Dis oui stp !

– N’oublie pas notre soirée Jack ! Répliqua Julie.

– J'oublie pas mais j'ai envie de connaître cette fille ! S'énerva Jack. Et c'est quoi cette soirée ? C'est pas un peu bizarre, mot de passe, tenue exigée, haute sphère, château... Qu'est-ce que tu me caches ? Tu n'as pas vu ce que je t'ai envoyé ? Ça ne te fait pas flipper ?

 Jack la harcelait de questions mais il avait passé la moitié de sa soirée à s'inquiéter. C'était légitime. Il trouvait son amie un peu trop confiante, pas assez méfiante, attiré par une soirée aussi mystérieuse que douteuse :

– Tu as raison mais ça vaut le coup d'essayer ! Ne me dis pas que tu n'es pas curieux ! De toute façon, j'ai toujours pas reçu les indications de mon pote, soupira-t-elle.

– C'est qui celui-là ?

– Tu ne veux pas savoir ! Répliqua Julie.

– Arrête tes mystères ou chacun sa route ce soir ! S'écria Jack, devenu tout rouge.

 Jack regarda l'alentour. Il eut l'impression que tout le voisinage l'avait entendu. Il jeta un rapide coup d'œil aux fenêtres environnantes, traversa la rue de son regard et s'arrêta un instant sur les quelques passants éméchés. Les gens poursuivaient leur chemin, il en fut rassuré. Seul son collègue, qui s'était éloigné, fit comme s'il n'avait rien entendu. Dès que Jack arrêta son regard sur lui, ce dernier loucha dans son verre, il ne voulait pas être pris à partie. Jack revint sur Julie et enfonça un regard noir dans les yeux bleus gris de la jeune fille. Il sentait que quelque chose ne tournait pas rond. Son amie lui cachait quelque chose. Il devait savoir ce qu'elle oubliait d'avouer volontairement. Il s'était mis en colère pour cette raison. Julie, sentant que son ami commençait à bouillir, calma le jeu :

– Ecoutes-moi bien Jack ! On va pas se disputer maintenant devant ton collègue, c'est impoli, constata plus calmement Julie. Je te propose en premier lieu d'aller à ta soirée et ensuite, dès que je reçois les infos, on décolle à la mienne. Mais promets-moi de ne pas faire l'enfant capricieux et d'inviter ta nouvelle copine.

 Jack perçut comme une pointe de jalousie naissante chez son amie de longue date. Il ne sut pourquoi elle avait pris ce ton supérieur, prétentieux, presque maternelle :

– Je t'en parle tout à l'heure chez eux. Il n'y a aucun mystère, crois-moi, je ne suis pas cachottière, tu me connais bien. C'est d'accord ? Poursuivit Julie.

 Jack haussa les épaules. Il avait baissé les bras face à la force de persuasion de son amie. Il sentait qu'elle le manipulait mais c'était un bon compromis. Il pouvait revoir Lily, c'était tout ce qui lui importait. Il prit son verre et trinquèrent ensemble. Ils étaient partis pour une folle nuit.

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