CHAPITRE 1 : Gunnar

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Le tableau qui s’offrait à ses yeux respirait la sérénité. Un paisible vallon perdu au nord de la Burgondie, où les verts tendres des champs composaient une mosaïque avec le vert sombre, presque bleu, des forêts avoisinantes. Une modeste masure se blottissait dans un creux de vallée. Une vache paissait tranquillement attachée à un pieu à côté d’un humble grenier sur pilotis qui protégeait une petite réserve de céréales.

Gunnar le balafré, immobile sur sa monture, observait la scène. Son âme tourmentée restait insensible à la sérénité de ce tableau. De plus, son estomac criait famine et il était de mauvaise humeur. Ses pensées, marquées par les cicatrices de combats passés, s’étaient forgées dans le fer et le sang. Les batailles, ou plutôt les massacres, auxquels il avait pris une part insidieuse, l’avaient peu à peu vidé de toute humanité, jusqu’à ce qu’il y trouve un plaisir macabre.

Mais, depuis quelque temps s’y était ajouté le goût amer de la trahison, d’avoir été abandonné par des chefs si loin placés, qu’il n’en connaissait que les noms. Ces chefs qui avaient décidé de dissoudre sa compagnie comme d’autres et de laisser ces hommes livrés à eux même sans, bien évidemment, la moindre once de reconnaissance. Au cynisme s’était jointe la haine, créant un être dénué de toute émotivité.

Après un léger temps d’observation, il déduisit que cette ferme misérable était occupée par un seul couple de fermiers. Il soupira, ne se faisant aucune illusion sur ce qu’il allait y trouver et frappa le flanc de son cheval. Arrivé devant la porte, il constata sa vétusté et d’un violent coup de poing, la fit tomber. Ils étaient attablés. L’homme se leva brusquement et son épouse cria. Gunnar resta immobile, parcourant la pièce indigente d’un rapide coup d’œil. Il avança vers la femme terrorisée. L’homme eut un geste de recul. Gunnar tendit le doigt vers lui sans le regarder.

— J’te conseille pas d’bouger, rassis-toi !

Il approcha son visage hirsute de celui de la femme. L’effroi déformait ses traits pour la plus grande joie de Gunnar qui s’en délectait.

— J’ai faim !

La pauvre femme articula difficilement

— C’est que… nous n’avons… pas grand-chose.

Elle se dirigea vers la huche à pain pour en sortir une miche entamée.

— J’ai des œufs.

— Mais oui, donne, t’as d’la soupe on dirait !

Gunnar s’affala sur la chaise qu’occupait la femme devant son bol de soupe. Il lui prit le pain des mains et l’émietta entièrement dans le bol. Le tout fut expédié en quelques bouchées. Il ne se sentit qu’à peine rassasié. Il goba les œufs. Il regardait le couple réfugié derrière la table.

— T’as de la bière ?

— Non, que de l’eau.

— Putain, les terreux, apporte putain !

Elle lui apporta un pichet de terre. Juste au moment où elle se retriait, il la saisit au poignet. Elle grimaça sous l’étreinte. Il l’attira et pressa ses seins.

— Mouais, pas mal.

— Arrêtez ! cria le mari en se levant.

Gunnar se leva avec un rot très sonore et poussa la femme. Il se dirigea vers l’homme qui reculait. Il sortit sa dague et lui ouvrit la gorge avec un rictus de plaisir. La femme hurla et se réfugia dans la pièce arrière, elle ferma la porte. Gunnar contemplait les derniers soubresauts du corps à terre. Il se retourna et regarda la porte avec un grand sourire. Il vida le pot d’eau qui ruissela sur sa barbe et jeta le pichet qui éclata au sol. Il arriva devant la porte et l’ouvrit d’un coup d’épaule. Le visage décomposé, la femme était adossée au mur. Gunnar la saisit par le cou et la sortit de force. Elle se débattait, s’étouffant à moitié, consciente de son impuissance. Il la jeta sur la paillasse placée dans un coin de la pièce. Il abattit sa main énorme sur son buste et déchira le haut de sa robe élimée. Il se régalait du spectacle de ses seins qui tressaillaient et de sa peau d’albâtre. Une veine palpitait sur son cou gracile. Elle se tut, résignée. Il ne prit aucune précaution et la força immédiatement. Elle hurla de douleur. Il la tenait à la gorge, accélérant ses coups jusqu’à émettre un grognement de satisfaction dans une cambrure de ses reins. En se ressaisissant, il constata le regard fixe de sa victime, il l’avait étranglée sans s’en rendre compte. Il se releva, frustré. Il avait pris son plaisir trop vite.

Il resta un moment immobile à contempler la scène autour de lui. Il poussa un soupir et saisit un brandon enflammé dans le petit foyer. Il le jeta sur la paillasse où gisait le corps de la femme allongée sur le dos, les yeux figés par la mort. Il entendit pleurer un bébé qu’il n’avait pas vu dans l’autre pièce. Il se dirigea vers la porte éventrée, attrapa une pomme qui restait dans un panier et quitta la ferme sans un regard en arrière.

Il en était à son troisième pichet de bière, qu’il buvait avec un agacement grandissant. Cela faisait un moment qu’il traînait dans cette taverne, sans savoir où aller ensuite. Ses errances l’avaient mené dans cette vallée perdue au pied des Vosges, au nord du comté de la Burgondie. Il rumina sa mauvaise humeur, les pensées tourbillonnant dans son esprit comme la mousse de sa bière. Plus un sou en poche pour se payer un autre pichet de cette boisson fade et tiède. La plupart des clients s’étaient discrètement esquivés. Il avait bien vu le tavernier chuchoter quelques mots à sa femme et sa fille. Elles avaient disparu, sans doute par une sortie arrière. Il s’apprêtait à aller se servir lui-même lorsque la porte s’ouvrit brusquement. Gunnar vit apparaître un homme de grande stature équipé tel un soldat, qu’il identifia comme faisant partie des siens. Il se leva, l’autre resta immobile à le regarder et vint vers lui.

Hej !

Gunnar lui rendit son salut et ils échangèrent dans leur langue.

— Je suis Hakon.

— Gunnar.

Ils s’assirent et l’homme recommanda de la bière. Gunnar vit arriver le tenancier, visiblement pressé de les servir. Il lui arracha les chopes des mains.

— Tu viens du Sud et tu étais dans le groupe de Hekken, hein ? Le questionna son interlocuteur.

Gunnar hocha la tête. Il dévisagea l’individu. Nulle animosité chez celui-ci. Il ne sut pourquoi, mais Il ressentit une étrange confiance à l’égard de cet homme, une sorte de compréhension tacite. Il pressentait qu’il avait vécu les mêmes événements chaotiques que lui.

— T’es pas le premier qui vient se perdre par ici. Et justement, je cherche des hommes comme toi. J’ai de l’ouvrage.

Gunnar restait toujours silencieux, il attendait la suite.

— Je suis au service du seigneur de la région, il est très puissant et je cherche des hommes pour le servir. La solde est honnête et tu es logé et nourri.

Gunnar se dit que, de toute façon, il parvenait au bout de son maigre pécule et qu’il n’avait guère le choix. Il observa encore Hakon, scrutant ses traits durs, mais indéchiffrables. L’autre lui renvoyait son regard, sans sourciller. Gunnar ressentit un début de sympathie pour ce guerrier qui lui faisait miroir. Il leva sa chope. Ils burent silencieusement, puis Gunnar reposa bruyamment son récipient. Il inspira et se leva.

— Bon, allons voir ça !

Ils sortirent au grand soulagement du tenancier. Il suivit Hakon dans un long périple qui les emmena au fond de l’interminable vallée. Ils arrivèrent au pied de ruines. Gunnar regarda Hakon, interrogateur. Il s’attendait à se trouver face à une forteresse.

— Oublie tout ce que tu connais. Ici tout est différent, mais si tu sers bien le maître, tu seras mille fois récompensé. Nous devons l’aider à bâtir son royaume où nous serons des seigneurs.

Ils laissèrent leurs montures à un garde de faction. Gunnar suivit Hakon dans un dédale de souterrains suintant l’humidité et puant la moisissure et la fumée. La lumière vacillante des torches éclairait à peine leur chemin, jetant des ombres vacillantes sur les murs. Ils traversèrent des salles utilisées pour le stockage de vivres et le dépôt d’armes. Quelques-unes se destinaient à l’hébergement des hommes. Tout cet agencement restait délibérément tourné vers l’art de la guerre et du combat. Aucune installation pour distraire l’esprit. Rien n’apparaissait de l’extérieur. L’ambiance était à la rigueur, aucun luxe, aucune décoration, rien d’inutile. L’austérité était de mise, mais cela ne gênait pas Gunnar. Ils finirent par arriver à une chambre commune, un dortoir étroit réservé à dix personnes. Gunnar fit connaissance de quelques voisins de chambrée. Fatigué, il s’effondra sur son lit avec un grognement, tandis que Hakon se retirait en silence, laissant son compagnon seul dans le calme de la pièce.

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