CHAPITRE III : la taverne du chat noir (suite)
Un petit groupe de jeunes gens fit son entrée dans de grands éclats de rire.
— Bon, ce matin c’est moi qui offre, dit Gautier, pendant que la troupe s’installait à grand bruit de chaises. Je sais que Mariotte fait de très bons gâteaux au miel. On prend ça si vous voulez et nous, on prend deux bières et vous, les filles ?
— Une bière pour moi aussi, dit Diama avec un regard de défi.
— Je crois qu’il y a une tisane au thym et aux fruits, demanda Hermine au Mulff qui les avait rejoints. Et avec du miel, je dois ménager ma voix.
Il hocha la tête.
— Je vous prépare ça.
— Alors, Diama, après ce premier mois, comment ça se passe chez maître Gabin ? demanda Gilibert.
Diama fit la moue.
— Oh ! eh bien, Dame Estelle est exigeante, répondit-elle avec un grand soupir.
— Ouais, elle est chiante quoi, reprit Hermine.
Ils rirent tous les trois. Diama rougit un peu.
— En fait… oui.
— Mais est-ce que tu as eu l’occasion de voir de beaux bijoux, demanda Hermine, les yeux brillants.
— Non ! que ceux que porte Dame Estelle. Il y en a de jolis, mais je ne vais pas dans l’atelier. J’ai eu l’occasion de parler avec Rogue qui y travaille, il m’a promis de me montrer un jour.
Elle baissa les yeux, les joues empourprées. Gilibert s’esclaffa.
— Ouais, je vois, tu n’as pas perdu de temps, ce Rogue il a de la chance. Nous, on ne peut pas proposer à une fille de voir les plus beaux bijoux de la région contre une faveur. Qu’est-ce que tu lui as promis en échange ?
— Mais rien, répondit-elle, gênée.
— N’empêche, continua Gilibert, vous avez de la chance de travailler chez eux. Tu penses, maître Gabin est un des plus grands orfèvres de la région.
— Eh bien, moi, je travaille quand même chez une des plus grandes négociantes en vins, intervint Gautier en levant sa choppe. Et aujourd’hui, je vais avec elle pour rencontrer un gros client.
— Eh bien, ça devient sérieux là.
— Oui c’est vrai, elle me fait confiance. Hier, elle m’a expliqué à demi-mot qu’elle comptait sur moi pour la seconder. Et qui sait, peut-être, vais-je devenir le successeur de Anne Helwig.
— Vraiment ?
— Écoute, oui, pourquoi pas ? et plus le temps passe, plus ça me plaît, mais tout ça, c’est bien éloigné de ta nourriture spirituelle. En plus, chez les chanoines, ça ne rigole pas non ? finit-il en regardant Gilibert avec amusement.
—— D’abord, je ne suis pas chez les chanoines, je travaille pour maître Abelard. Et ce n’est pas parce que la bibliothèque de la collégiale assure le plus gros de notre travail que l’on est lié à eux… spirituellement, je veux dire. En plus, moi, je ne suis pas chrétien, alors…
— Heureusement, car sans cela, tu vivrais dans le péché en partageant ta couche avec Adeline sans être marié, commenta Gautier en rigolant, allez buvons !
Ils levèrent leurs choppes, Hermine son bol.
— Tu ne veux pas nous faire un petit brin de chanson ? demanda Gautier à Hermine.
— Non, je dois ménager ma voix. Maîtresse Hauteclaire m’a prévenue qu’aujourd’hui, commençaient les exercices et je fais attention. Elle m’a choisie, je ne peux pas la décevoir, ni mes parents.
— Mais tes parents, qu’est-ce qu’il pense de leur fille qui va devenir chanteuse ?
— Eh bien, ils sont fiers. Ils mettent beaucoup d’espoir en moi et je dois en être digne. Et puis je veux devenir une grande, aller chanter dans la cour des puissants, tu penses…
Son regard portait très loin, bien au-delà de la taverne. Et puis elle revint à la réalité.
— Mais en attendant, j’ai beaucoup de travail, je commence tout juste.
— Oui, mais si la Hauteclaire t’a choisi parmi combien ? une vingtaine de concurrentes. C’est que tu as de bonnes aptitudes non ? demanda Diama.
— C’est vrai, mais ça ne suffit pas, il faut un gros travail pour savoir placer sa voix, et tous ces textes à apprendre. Mais j’aime ça.
— Bon, mais pour le moment, il faut y aller, dit Gautier.
Il jeta quelques deniers sur la table en se levant, tous le suivirent. Le calme tomba d’un coup dans la salle. Seul restait Fulbert Courtecuisse qui s’attardait, attendant l’ouverture du marché.

Annotations
Versions