CHAPITRE III : Ancelin

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Ancelin émergea péniblement des limbes du sommeil. Un mal de tête obsédant lui martelait les tempes. Il ouvrit les yeux à demi, la lumière de la fenêtre accentua le bourdon qui cognait dans son crâne. Il se retourna et découvrit le corps nu de Lianor. Elle était avachie sur le ventre, la bouche entrouverte, le visage écrasé sur l’oreiller. Un léger ronflement prouvait qu’elle était encore en plein sommeil. Ancelin n’était même pas en état d’apprécier la perfection de sa chute de reins. Il se remit sur le dos, le bras sur ses yeux, espérant une accalmie hypothétique dans sa douleur. Une vague nausée aggravait le tout. Il en était presque à regretter d’avoir accepté cet hypocras. C’est vrai qu’il avait rarement ressenti une telle vigueur pour culbuter une femme. Heureusement que Lianor était une bonne professionnelle qu’il connaissait depuis un moment. Elle s’était révélée très surprise du déferlement qui lui était passé sur le corps, mais en avait profité aussi, lui avait-il semblé. Il faut dire qu’elle avait également goûté à l’hypocras. Au bout d’un quart d’heure, Ancelin se dit qu’il fallait prendre son courage à deux mains et sortir de cette chambre. Il tapa les fesses de Lianor.

— Allez la grosse, faut te secouer, grogna-t-il.

Un simple murmure lui répondit et puis elle ouvrit un œil et enfin relava la tête avec difficulté.

— J’ai un mal de crâne !

— Ouais, ben t’es pas la seule, allez rhabille toi et file.

Elle s’assit péniblement au bord de la couche et s’étira. Malgré ses bientôt trente ans et ses rondeurs, les courbes de son corps pouvaient encore en rendre fou plus d’un ou d’une. Cela lui assurait une bonne rente. Elle se pencha lentement pour sortir le pot de dessous le lit et entrepris, sans aucune pudeur, de le remplir en partie avec une expression de soulagement. Elle se releva.

— C’que tu m’as mis mon salaud, j’ai encore le cul en feu !

Elle ne reçut qu’un vague grommellement pour toute réponse, enfila ses dessous et enfin sa robe, puis sortit. Ancelin attendit encore quelques minutes avant de tenter de se lever. Ce fut difficile, il sentait mauvais, ses vêtements sentaient mauvais, son mal de crâne ne le lâchait pas, bref, une mauvaise journée en vue. Il se leva en traînant des pieds et se lava brièvement avec l’eau qui restait dans une vasque. Il s’habilla et ouvrit grand la fenêtre, l’air frais lui fit du bien et il fallait aérer cette chambre qui se transformait en taudis. Déjà trois mois qu’il était arrivé à Dànn, presque par hasard. Il avait entendu souvent de bons échos sur cette ville que l’on disait très accueillante et prospère. La prospérité ne rentrait pas beaucoup en ligne de compte dans son activité. Il devait d’ailleurs rencontrer un client aujourd’hui. Il ne se plaignait pas, gagnait largement de quoi payer son hébergement, sa nourriture, l’entretien de son cheval laissé à l’écurie du château et aussi et surtout de Lianor, devenue sa prostituée attitrée au point qu’il se demandait si elle conservait d’autres clients.

Il descendit l’escalier en se tenant à la rampe. Le Muff l’accueillit avec un sourire ironique.

— Eh bien, mon salaud, t’en tiens une bonne.

— Mouais c’est de la piquette ta vinasse.

— C’est vrai que j’aurais peut-être dû te prévenir des effets secondaires, répondit-il avec un ton moqueur. Mais plains-toi, d’après ce que m’a dit ton voisin de chambre, visiblement ma « piquette » a eu de l’effet non ? il a eu du mal à s’endormir à cause des cris de ta pute ? D’ailleurs, vu l’état dans lequel je l’ai vu passer, ça se confirme.

— Ça va, grommela-t-il en s’asseyant lourdement. Et puis, tu sais, continua -t-il en regardant le Muff, tant qu’on baise c’est qu’on est vivant !

— Vu ta gueule, ça se discute. Bon ! je vais voir avec Mariotte si elle peut te préparer une bonne tisane de saule pour te remettre sur pieds. À part ça, ce sera tout, je suppose ?

Ancelin ne répondit qu’avec un grognement. Il se mit la tête dans les deux mains et resta immobile. Lorsque le Muff lui apporta la potion, il se sentait un peu mieux. Il se força à avaler le breuvage. Il avait confiance en Mariotte. Peu à peu, les pulsations de son mal de tête se calmèrent. C’est à cet instant qu’il les vit entrer. Deux hommes de fortes statures. À leur manière féline de se bouger, Ancelin devina immédiatement des hommes aguerris au combat. On ne pouvait pas les dire très musclés, mais Ancelin savait bien que, pour ce genre de combattants, c’était plus l’expérience et la vivacité qui les rendait dangereux. Ils étaient blonds. Le plus grand arborait un tatouage au cou, alors que, chez le deuxième, une cicatrice zébrait également le même endroit. Surprenant ! que faisaient-il ici ? Il n’avait aucun souvenir de les avoir déjà croisés. Il fit signe au Muff qui venait de prendre leur commande.

— Tu les connais, tu les as déjà vus ? lui demanda-t-il à mi-voix.

— Non, ils ne sont pas d’ici, c’est sûr.

— De sacrés gaillards, ils ont le type nordique. C’est le genre à ne pas énerver.

— Impressionnant de ta part, quand on connaît ta réputation de bretteur, pourtant.

Il resta immobile à les surveiller du coin de l’œil. Ils ne s’attardèrent pas et sortirent immédiatement après avoir fini leur chope. Ancelin attendit encore un peu pour bien récupérer. Il monta dans sa chambre, laissa son épée et ne prit que sa dague.

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