CHAPITRE III : Lianor et Salih

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Les vapeurs surchauffées des bains de Dànn transformaient les silhouettes des baigneurs en ombres flottantes, dansant à travers les volutes brumeuses comme des êtres éthérés. À cette heure matinale, le vaste édifice était déjà animé, les murmures et les rires discrets des habitués se mêlant au clapotis apaisant de l’eau. Les arômes de soufre et de minéraux donnaient à l’air une profondeur particulière, rappelant à tous que ces sources jaillissaient des entrailles de la Terre, apportant chaleur et apaisement à la population depuis des siècles.

La nouvelle architecture des bains, achevée seulement une décennie auparavant, avait été pensée pour honorer cette source de vie commune. S’inspirant des temples antiques, les plafonds se déployaient en d'amples voûtes ogivales, telles des ailes protectrices s’étendant au-dessus des bassins. De puissantes colonnes rythmaient l’espace, leurs chapiteaux richement sculptés de figures intrigantes et énigmatiques, tels des créatures fantastiques, des scènes humoristiques ou des tableaux érotiques.

Les deux grands bassins d'eau chaude, situés en plein cœur du complexe, invitaient les visiteurs à se plonger dans une étreinte bienfaisante, propice à la détente et au partage. Autour de ces bassins centraux s'ouvraient des espaces plus intimes. Des bassins plus petits, plus calmes, où des groupes d’amis ou de proches pouvaient s'installer pour converser ou méditer. De petites alcôves privées, nichées dans les recoins du bâtiment, offraient un refuge pour ceux qui cherchaient un moment de solitude ou d’intimité.

À Dànn, la nudité dans les bains était une tradition inviolable, symbole de l'égalité. En ces lieux, la richesse, les origines ou la condition sociale n’avaient plus de prise. Tous redevenaient des êtres humains simples, libres de se rencontrer, de parler ou de s’ignorer, sans autre signe distinctif que leur présence nue et leurs gestes naturels. Les bains de Dànn étaient plus qu’un simple rituel de purification ; ils représentaient une parenthèse de quiétude, une suspension dans le tumulte de la vie quotidienne, où chacun pouvait retrouver une simplicité partagée.

Des sources d'eau fraîche, canalisées depuis les montagnes voisines, apportaient un contraste revigorant avec les bassins chauds. Elles permettaient à chacun de se rafraîchir et de tonifier le corps avant de rejoindre les bains bouillonnants ou de s’étendre dans les salles de repos attenantes. Dans une aile plus retirée, une salle consacrée aux soins et aux massages offrait une gamme de services, des massages thérapeutiques aux remèdes médicinaux prodigués par des praticiens expérimentés, apportant un soin méticuleux aux corps fatigués ou endoloris.

Les murs, ruisselants d'humidité, portaient eux aussi les traces de cet esprit ancestral. La mousse et le lichen y avaient gravé leurs empreintes, donnant l’impression que ces pierres, baignées de vapeur et de chaleur depuis des générations, possédaient une âme propre.

Lianor, plongée dans une eau encore très chaude, attendait, les yeux mi-clos, que son mal de crâne se dissipe. Sa migraine s’atténuait et elle se sentait mieux. Dès son réveil, elle avait décidé que les bains de Dànn seraient sa première étape de la journée. Autour d’elle, des hommes et femmes profitaient silencieusement de l’effet relaxant de ce bain chaud. Elle sortit de l’eau ; elle avait hâte de rejoindre Salih, son masseur préféré. Mais avant, elle récupéra un rasoir très affûté et du savon d’Orient, une mousse épaisse qui convenait bien au rasage. Elle s’installa sur un banc, un peu à l’écart, et entreprit de savonner ses deux jambes. Elle fit lentement glisser la lame sur la peau. Elle avait acquis une bonne expérience, mais les débuts avaient été douloureux. Elle s’attaqua ensuite aux mèches rebelles qui voulaient envahir tout son bas-ventre, tordant son corps pour bien délimiter un triangle net, en contraste avec l'épaisse toison qui y poussait naturellement. Ancelin avait plusieurs fois formulé le souhait de lui voir le sexe entièrement rasé, mais elle s’y refusait. Elle alla se rincer longuement à une fontaine proche, l’eau glacée atténua le feu du rasoir. Elle repensa à cette nuit infernale. Depuis quelque temps, elle devait se faire violence pour chasser une sensation nouvelle vis-à-vis de son beau brun taciturne. Un sentiment que doit écarter toute professionnelle.

Elle suivit les bords des bassins en se séchant avec une serviette de lin et quitta enfin l’atmosphère surchauffée pour entrer dans une vaste salle découpée en alcôves. Chacune était meublée d'une table de massage et d'un paravent pour conserver l’intimité du masseur avec son client. Salih, les bras croisés, attendait devant sa place. Il accueillit Lianor avec un grand sourire en s’effaçant pour la laisser entrer. Elle s’étendit sur la table en bois et ferma les yeux, s’abandonnant totalement aux mains d’or de Salih. Il était vêtu d’un simple pagne. Originaire d’Anatolie, il était grand et large d’épaules. Ses muscles roulaient sous sa peau foncée. Malgré sa force de taureau qui lui aurait permis de rompre le cou de Lianor d’une seule main, il faisait preuve d’une délicatesse et d’un toucher très doux qui la mettait dans tous ses états. Mais présentement, l’instant était plutôt à la reconstruction de son corps malmené.

— Alors ma douce, ça va moyennement aujourd’hui, hein ? Un client un peu brutal ?

Lianor sentit l’huile fraîche lui couler au creux des reins. Elle frissonna. Salih fit rapidement glisser ses mains tout le long du dos. Ses gestes parfaitement dosés, comme s’il comprenait instinctivement chaque tension, chaque point sensible. Avec une force maîtrisée et une attention infinie, il exerça des pressions douces le long de son dos, chaque mouvement libérant des vagues de détente.

— Plutôt un client enthousiaste, avoua-t-elle, en pensant à Ancelin. D’habitude, il est réservé, mais… disons qu’il a changé d’attitude après un vin un peu étrange la veille qui l’a transformé en satire. Pourtant d’habitude, il est plus réservé, beau gosse en plus.

— C’est bien la première fois que je t’entends parler ainsi d’un client.

Elle se contenta de pousser un petit soupir. Salih, sans perdre sa concentration, poursuivit son massage, chaque mouvement de ses mains procurant un apaisement profond. Lianor se laissa aller au silence, savourant l'instant de relaxation complète que Salih lui offrait.

— Je m’en suis pris plein partout, alors va doucement sur mon cul, il a besoin de récupérer.

Salih s’occupait justement des fesses qu’il massait doucement, consciencieusement, l’une après l’autre. Il descendit le long des jambes.

— Pas de problème, ma princesse, il n’y aura pas de faveur aujourd’hui, répondit-il en hochant la tête.

Il continua son massage en silence. Ses mains glissaient lentement, d'une douceur et d'une fermeté qui faisaient frémir Lianor. Le parfum de l’huile et le mouvement rythmé de ses mains créaient une sensation de langueur qui semblait ralentir le temps. Il remonta doucement le long de ses cuisses, s’attardant, relâchant chaque muscle. Lianor sentait s'installer une lente torpeur. Un massage du cou lui fit un bien fou, elle ronronna presque de plaisir.

— Mmm, oui, là tu me fais du bien au mal de crâne.

Il redescendit rapidement le long des flancs, puis remonta la colonne vertébrale en appuyant sur certains points qui achevèrent de la détendre. Il s’attarda sous l’omoplate.

— C’est encore sensible ?

— Non, plus maintenant.

— Je vais passer un peu de baume sur ta blessure, annonça-t-il en appliquant avec soin une crème parfumée sous son omoplate. La marque s’atténue bien, tu te rétablis, remarqua-t-il.

Salih pétrissait doucement les bras jusqu’aux extrémités des doigts.

— Ça fait combien de temps ?

— Oh, c’était il y a quatre mois. Tu savais qu’on l’a retrouvé ce salaud.

— Oui et tu n’étais pas la première, il en avait déjà poignardé deux avant toi. Bon, là où il est maintenant, il ne pourra plus recommencer.

— Que son cadavre pourrisse !

Il descendit de nouveau le long des cuisses et entreprit un massage relaxant de la plante des pieds. Elle ne put retenir quelques grognements de satisfaction.

— Tu peux te retourner, lui souffla Salih.

Il vint se placer derrière sa tête, lui souleva le crâne et massa doucement le cuir chevelu, puis ce fut au tour des tempes qu’il caressa en mouvements circulaires. Lianor se sentait au paradis, totalement décontractée, presque assoupie, son mal de crâne enfin dissipé, son corps totalement relâché, offerte.

— N’empêche que je te dois une fière chandelle mon Salih, tu m’as bien réparé. Tu sais que cela m’intéresse de plus en plus lorsque je t’entends parler de cette médecine, ça m’attire… vraiment.

Les larges mains de Salih glissèrent sur sa poitrine, soulevant ses seins amples et généreux, massèrent le ventre et continuèrent le long des jambes.

— Un jour, tu viendras m’accompagner à l’hospice, glissa Salih. Si la médecine t’intéresse tant, tu pourras te faire une idée plus précise.

Il lui prit un pied et le posa sur son thorax en appuyant pour bien mettre la jambe en crochet. Il massa le mollet, la cuisse, puis descendit jusqu’à la fesse qu’il massa à pleine main sans ménager la délicate fente de Lianor qui ne put réfréner une onde de plaisir. Il répéta la manœuvre avec l’autre jambe et la reposa. Elle ressentit une frustration et comprenait bien où son corps voulait l’emmener à sa grande surprise.

— Si tu t’occupes de tes patients avec la même attention, ils doivent prier pour tomber sous tes mains, murmura-t-elle.

Salih sourit.

— Tu sais, c’est quand même mon vrai métier. Tiens, il y a quelques jours, j’ai été appelé auprès d’un forestier du palais. Il avait été salement amoché par un sanglier. Il avait le thorax lacéré et une vilaine plaie à la jambe.

Les petits mouvements circulaires à l’intérieur des cuisses la réveillèrent définitivement, elle sentait des picotements dans son bas-ventre et ne put empêcher un petit sursaut lorsque Salih effleura son intimité. Elle s’engageait sur la voie exquise du plaisir.

— On ne donnait pas cher du type. Le seigneur Hugues voulait que je fasse un miracle.

— Et tu l’as fait, bien sûr, murmura Lianor dans un frisson provoqué par les caresses de Salih sur ses seins.

Salih entreprit un massage énergique des épaules, les assouplissant au point que l’on aurait pu les croire totalement désossées.

— Je lui ai réparé le corps, mais l’esprit… je ne sais pas.

— Ah oui ? s’étonna Lianor, qu’est-ce que tu veux dire ?

Salih reprenait ses longues caresses à l’intérieur de ses cuisses. Elle sentit son cœur et sa respiration s’accélérer. Chaque attouchement provoquait désormais une tempête de sensations. Elle n’écoutait plus beaucoup ce que lui disait Salih.

— Eh bien, le pauvre gars délirait, parlait d’une bête monstrueuse avec des yeux qui lançaient des éclairs et des propos incompréhensibles.

— Le pauvre gars… murmura simplement Lianor submergée par le plaisir. Les doigts terriblement délicieux de Salih devenaient plus encore plus doux, plus lents et de plus en plus précis. Les yeux révulsés, la respiration haletante, elle s’arc-boutait à la table.

— Eh bien, on dirait qu’une petite faveur sera quand même la bienvenue.

— Oui, souffla seulement Lianor, continue.

Les yeux clos, elle se laissa emporter.

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