CHAPITRE VIII : La fête chez les charbonniers
Flore se pencha vers Thibaut.
— Écoute, je suis fatiguée, je vais me coucher.
Il la devinait inquiète, mais il ignorait comment la rassurer. Ce n’était pas dans sa nature de trouver les mots justes dans ces moments-là. Il l’accompagna jusqu’à sa porte. Ils échangèrent un long baiser, un peu plus langoureux que d’habitude, comme pour éloigner un pressentiment qu’ils ne s’avouaient pas. Thibaut resta un instant devant l’entrée, le regard perdu dans l’obscurité. Une étrange angoisse s’insinuait en lui, ténue, mais insistante.
Pourquoi ? se demanda-t-il en secouant la tête. Sans doute à cause de ce que lui avait dit Flore. Rien d’important.
Il regagna son habitation. Son petit frère dormait profondément, les traits paisibles, un contraste apaisant qui ne fit pourtant rien pour calmer l’agitation intérieure de Thibaut. Il s’allongea, mais le sommeil semblait le fuir. Il se retourna plusieurs fois, les draps devenant une prison inconfortable. Le chant de la chouette des montagnes, régulier et monotone, ponctua sa lutte contre l’insomnie. Finalement, il sombra, s’enfonçant lentement dans des limbes étranges.
Le rêve étrange
Il marchait dans une forêt sombre, les troncs massifs comme des piliers noirs qui semblaient absorber toute lumière. Une atmosphère étrange et presque vivante l’entourait. Ce n’était pas une simple menace, mais une invitation ambiguë, douce et insidieuse. Le vent portait des murmures indistincts, comme des voix familières qui l’appelaient sans qu’il puisse les comprendre. Une ombre glissa devant lui.
— Flore ? appela-t-il, mais sa voix semblait se perdre dans l’écho de la forêt, avalée par les ténèbres.
La silhouette semblait familière. Les traits, les mouvements, tout évoquait Flore. Elle se tenait à quelques pas, vêtue d’une robe légère qui ondoyait comme une brume. Elle souriait, tendre et mystérieuse à la fois. Pourtant, quelque chose dans son regard, un éclat inconnu, le troubla.
Lorsqu’il tentait de s’approcher, elle se dissolvait, emportée par une brise qui semblait naître de nulle part. et son rire cristallin résonnait dans l’air, moqueur ou affectueux, il ne savait dire.
Soudain, un loup apparut. Immense, majestueux, d’un blanc presque éclatant, comme un éclat lunaire dans cette obscurité. Il se tenait devant lui, immobile, ses yeux jaunes étincelants d’une lueur étrange. Ces prunelles l’attrapèrent, l’immobilisèrent. Il n’y avait aucune menace dans ce regard, mais une profondeur qui le transperçait, mêlée d’une étrange autorité.
L’animal pivota lentement et s’éloigna. Quelque chose en Thibaut le poussa à le suivre. C’était irrésistible, presque naturel, comme s’il avait toujours attendu cet instant. Il marcha, s’engouffrant derrière le loup dans une forêt de plus en plus dense, où la lumière semblait s’éteindre à chaque pas. Les murmures des arbres devinrent plus clairs, plus intimes. Une promesse ? Un avertissement ?
Le loup glissait entre les troncs avec une grâce surnaturelle, alors que Thibaut trébuchait, ralenti par une force qu’il ne comprenait pas. Et puis, tout à coup, le loup disparut.
La forêt changea. Les arbres, d’abord passifs, s’animèrent. Leurs branches s’allongèrent, serpentines, scintillantes d’une lueur verte étrange. Ils dansaient autour de lui, comme s’ils tentaient de l’attirer, de l’encercler. La silhouette réapparut soudain. Elle lui faisait signe, mais cette fois, son sourire avait quelque chose de plus prononcé, presque sauvage.
— Flore ? murmura-t-il à nouveau, bien que son cœur lui soufflât que ce n’était pas elle.
Une voix douce et grave à la fois, enivrante, s’insinua dans son esprit.
— Viens… Tu n’as rien à craindre.
Il fit un pas vers la silhouette, hésitant. Les arbres autour de lui s’animèrent alors, leurs branches se tendant, d’abord caressantes, effleurant son visage et ses bras tels des mains délicates, comme si elles cherchaient à le séduire. Des voix retentirent, harmonieuses et sensuelles. Leurs tons variés, féminins et profonds à la fois le firent frissonner. Une chaleur étrange l’envahit, mêlée à une terreur sourde. Il voulut fuir, mais ses pieds semblaient collés au sol, enracinés.
Et puis, devant sa réticence, les branches se tendirent, devenant griffes. Les murmures devinrent des rires distordus, sombres et déchirants. Il sentit une étreinte rugueuse, pressante, qui le tirait dans des directions opposées. Une peur viscérale monta en lui.
— Lâchez-moi ! cria-t-il, mais sa voix se brisa, noyée par le tumulte.
Les arbres se resserraient autour de lui, et il sentit son esprit vaciller, déchiré entre l’angoisse et une étrange fascination. Puis, une lumière blanche transperça l’obscurité. Elle jaillit de nulle part, fendant l’ombre et dissipant les formes cauchemardesques. Seul restait un vide immense, un souffle glacé qui semblait avoir emporté quelque chose de lui.
Il se réveilla en sursaut, tremblant et couvert de sueur, son cœur battant à tout rompre. Ses yeux parcoururent la pièce, cherchant désespérément à confirmer qu’il était de retour dans la réalité. Sa respiration, rapide et irrégulière, mit du temps à se calmer.
À côté, son frère avait simplement tourné dans son sommeil, murmurant une phrase indistincte avant de sombrer à nouveau. Thibaut resta allongé sur le dos, fixant le plafond, écoutant les sons rassurants de la nuit, jusqu’à ce que le sommeil finisse par le reprendre, sans rêve cette fois.

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