CHAPITRE X : La plateforme
Parfois les rêves ne sont pas que des rêves…
Les premiers rayons du soleil trouvèrent un camp déjà agité. Une équipe se préparait à partir en forêt pour faire le plein de bûchettes. Le bruit des voix tira Thibaut de son sommeil. Il se leva encore perturbé par son rêve ou cauchemar, il ne savait trop. Il constata que la cabane était vide. On l’avait laissé dormir. Son petit déjeuner de Grütze (gruau de blé) fut vite expédié. Il sortit et croisa Flore qui rapportait de l’eau. Il se précipita pour lui prendre sa gourde en peau de mouton.
— Comment vas-tu mon aimé ? Tu as une drôle de tête, lui demanda-t-elle.
— J’ai fait un rêve… ou un cauchemar peut-être.
Elle s’arrêta et le fixa.
— Raconte-moi.
— Hé bien j’étais dans une forêt qui était menaçante, je crois que tu étais là, mais pas sûr. Et puis il y a eu ce loup…
Flore l’interrompit.
— Grand, blanc ?
— Oui… mais comment tu…, souffla Thibaut.
— Moi aussi, j'ai rêvé.
Thibaut releva la tête, surpris.
— De quoi ?
Elle hésita, croisant les bras comme pour se protéger du froid inexistant.
— J’étais seule dans une forêt semblable à celle que tu décris. Les arbres semblaient m’étouffer et leurs ombres devenaient des silhouettes menaçantes.
Elle s'interrompit, mordant sa lèvre inférieure, avant de continuer.
— Je ne te voyais pas, mais je savais que tu étais là. Quelque part, loin devant. Et j'avais peur… pas pour moi, mais pour toi.
Il la fixa, son cœur battant un peu plus vite.
— Peur de quoi ?
Elle agita lentement la tête, incapable de répondre.
— Je ne sais pas. Mais c'était comme si quelque chose te traquait, quelque chose de plus grand que toi, que nous.
Elle soupira avant de continuer.
— Le loup blanc était là aussi. Mais pas en entier, juste ses yeux dans l'ombre. Il te regardait, Thibaut, pas moi.
Il ne put réprimer un frisson.
— Et ensuite ?
Flore détourna les yeux, comme si elle ne voulait pas répondre.
— Je me suis réveillée avant de voir quoi que ce soit d'autre. Mais cette peur… elle était encore là quand j'ai ouvert les yeux.
Un silence lourd s'installa entre eux, seulement troublé par le brouhaha lointain du camp.
Thibaut se força à sourire, bien que ses pensées restassent sombres.
— Ce n'était qu'un rêve, Flore. Rien de plus.
Elle hocha la tête, mais ses doigts crispés sur sa tunique trahissaient son trouble.
— Peut-être. Mais parfois, les rêves ne sont pas que des rêves…
Elle tourna son visage inquiet vers lui.
— Il faut que l’on questionne Thalia, affirma-t-elle. Ce sont sans doute des signes que les dieux nous envoient.
— Tu crois vraiment ça ?
Elle lui prit les mains, en se campant devant lui.
— Oui, il se passe quelque chose, je le sens depuis hier.
— Mais quoi ?
Elle baissa les yeux.
— C’est difficile à expliquer, juste une impression. Il faut voir Thalia, je te l’assure.
Thibaut hocha la tête. Ils se dirigèrent vers la cabane délabrée. Arrivés devant, ils hésitèrent à entrer jusqu’à ce que Thalia les interpelle.
— Entrez, je vous attendais.
Ils se regardèrent. Flore eut un petit geste comme pour dire « tu vois ». L'intérieur, sombre et embaumé de l'odeur des herbes séchées, semblait appartenir à un autre monde. Ils la trouvèrent devant une rangée de fioles en verre, visiblement, en train de trier des plantes séchées, des simples pour la plupart.
— Asseyez-vous où vous pouvez. Qu’est-ce qui vous tourmente, vos songes, c’est bien ça ?
Sans plus d’étonnement, le couple acquiesça.
— Racontez-moi ça.
Thibaut conta son rêve, Flore se contentant de hocher la tête, puis se fut à son tour de narrer le sien. Elle parla d'une voix plus hésitante, racontant les arbres menaçants, la peur qu'elle avait ressentie pour Thibaut, et ces yeux perçants du loup, fixés uniquement sur lui.
Un silence suivit la fin des récits. La vieille resta à réfléchir, l’air absent, ses mains fines et nerveuses posées sur ses genoux. Ils connaissaient bien ces moments-là et savaient qu’il ne fallait pas intervenir. Elle reprit ses esprits.
— Le loup relève de plusieurs symboliques. Selon les anciens du nord ou de l’ouest, il peut être protecteur ou destructeur. Mais de toute façon, c’est un signe puissant. Ce loup que vous avez vu tous les deux semble vous apporter une protection, mais, pour le moment je ne peux pas encore définir contre quoi. Comme je l’ai dit hier, j’irai interroger les signes et ensuite, nous verrons. Je parlerai à la communauté.
— Mais cette menace que l’on a ressentie ? insista Flore
Elle les regarda alternativement.
— Je ne peux pas encore le dire. Ces rêves… ils parlent de quelque chose qui dépasse mon savoir pour l'instant. La forêt, elle, représente souvent l'inconnu, le danger ou un chemin à traverser. Vous avez tous deux ressenti une menace, c'est certain. Mais ces signes… Ils semblent tournés vers toi, Thibaut. Comme si quelque chose a choisi de te visiter directement.
Thibaut et Flore échangèrent un regard inquiet. Thalia se redressa légèrement, se tournant vers ses talismans suspendus.
— Ne vous laissez pas envahir par l'inquiétude. Les rêves sont souvent des fragments de vérités mélangés à des peurs personnelles. Peut-être ne sont-ils que cela.
Elle décrocha deux talismans et leur tendit. Ils étaient faits de poils d'animaux tressés autour de racines noueuses, un parfum de terre et de forêt s'en échappant encore.
— Gardez-les près de vous, murmura-t-elle. Ils ne détiennent pas tous les pouvoirs, mais leur présence peut éloigner ce qui rôde dans l'ombre.
Flore prit l’amulette avec une révérence silencieuse, la glissant dans sa tunique.
— Ne vous inquiétez pas. Je m’en occupe. Allez, vous avez sans doute d’autres choses à faire que d’écouter une vieille qui radote, finit-elle avec un sourire.
Ils sortirent. Thibaut se tourna vers Flore.
— Pour le moment, nous n’en savons pas beaucoup plus, commenta Flore.
— Je lui fais confiance. Elle nous dira ce qu’elle sait. Tu verras qu’il y aura une explication.
Il la vit baisser les yeux et se tordre les doigts. Il comprit qu’elle restait inquiète. Il l’enlaça.
— Viens ! je ne sais pas ce qui te fait peur, mais tu dois savoir que je serai toujours là, à côté de toi pour te protéger.
Elle blottit sa tête contre son épaule.
— Je le sais, lui souffla-t-elle.
Ils se séparèrent après un dernier baiser.

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