CHAPITRE X : La plateforme

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Le blessé

Sur le chemin du retour, il fit comprendre à son frère que la situation se présentait bien. Il verrait sans doute Cendrine bientôt. Guer hocha la tête, un sourire timide au coin des lèvres, mais Hans perçut son impatience mêlée d’anxiété. Il connaissait trop bien son frère pour ne pas deviner les tourments qui l’agitaient malgré cette première victoire.

Il décida de passer vers la meule pour vérifier que tout était en ordre. Sur place ils commencèrent à en faire le tour et puis Hans perçut un appel. Il regarda son frère.

— Tu as entendu ?

Guer fronça les sourcils et secoua la tête. À ce moment, on cria à nouveau.

— Par-là ! dit Guer, en s’avançant vers la forêt.

Hans fit un signe pour préciser la direction. La pénombre du soir gagnait le sous-bois. Ils débouchèrent dans une clairière et trouvèrent un homme à genoux, couvert de sang. Hans se figea.

Bur der Kräftig… murmura-t-il, le reconnaissant immédiatement comme un membre du camp du Ventron.

— Il faut le porter. Aide-moi à le mettre sur le dos.

Ils réussirent avec difficulté à cause de la corpulence du gaillard. Il gémissait maintenant, à moitié inconscient.

— Allez !

Avec peine, ils soulevèrent le colosse, l’installant sur le dos de Hans. Chaque pas demandait un effort monumental, vu le poids du gaillard. Bur gémit, sa respiration laborieuse ponctuée de faibles gémissements. Guer, derrière, soutenait le fardeau dans les passages les plus escarpés. Le chemin de retour sembla interminable, mais ils finirent par déboucher sur l’esplanade. Des voix s’élevèrent aussitôt, des silhouettes accoururent pour les aider.

— Il faut l’emmener chez Thalia.

L’alerte se répandit comme une traînée de poudre dans le camp. Bur fut rapidement pris en charge par plusieurs hommes qui le portèrent jusqu’à la cabane de la guérisseuse. Thalia émergea sur le seuil, son visage grave illuminé par la lumière vacillante d’une lanterne. Hans déglutit et s’avança, essoufflé.

— On l’a trouvé près de la meule. Il appelait à l’aide… Il est salement amoché.

Thalia les observa pendant un bref instant et leur fit signe de le porter à l’intérieur de sa cabane.

— Posez-le sur la couche, là, devant.

Elle tourna la tête et aperçut Lia et Bella, qui s’étaient rapprochées, curieuses et inquiètes.
— Faites bouillir des linges, tout de suite ! ordonna-t-elle. Puis, se tournant vers Flore et Alix, elle ajouta.

— Vous deux, aidez-moi à le déshabiller. Il faut nettoyer ces blessures avant que la fièvre ne prenne.

Sans perdre un instant, elles s’activèrent. Thalia repoussa Hans et les autres hommes d’un geste autoritaire.

— Allez ! Laissez-nous travailler. Vous serez plus utiles à calmer le camp.

Hans hésita une seconde, mais le regard perçant de Thalia ne lui laissa aucun choix. Il attrapa Guer par le bras et le poussa doucement dehors, laissant la porte se refermer derrière eux. La nuit était tombée, et l’esplanade bourdonnait d’une agitation inquiète. Hans lança un regard vers Guer.

— Ce n’est pas fini. On va devoir comprendre ce qui lui est arrivé. Mais d’abord, il faut rassurer tout le monde.

Guer hocha la tête, encore sous le choc. Hans inspira profondément et s’avança vers les attroupements, prêt à calmer les esprits avant que la peur ne se propage comme un feu de forêt.

L’attroupement se desserra de la cabane. Mais chacun demeurait à proximité, commentant la situation, en attente d’explication. Penchée sur la victime, Thalia l’examina.

— Il a dû perdre beaucoup de sang. Il est costaud et il a pu arriver jusqu’ici, mais il s’en faut de peu. Tiens, Flore ! imbibe sa chemise d’eau froide, elle est collée par le sang séché.

Elle s’exécuta. Elles levèrent le tissu très déchiré. Alix ne put retenir un cri en voyant la vilaine entaille qui partait de l’aine jusque sous le bras, également touché.

— Aide-moi.

Elles enlevèrent les braies abîmées et couvertes de terre. La plaie ne descendait pas plus bas.

— Un pouce de plus et il se serait vidé de son sang très rapidement. Il a une chance de s’en sortir. Bon je vais préparer mes remèdes. Essayez de le nettoyer au mieux, mais attention à ne pas relancer les saignements.

Avec Alix, Flore commença un nettoyage avec précaution. Elles l’entendirent gémir. Lia et Bella entrèrent avec un chaudron fumant. Elles ne pouvaient dégager leurs regards des plaies suintantes.

— Par la lumière blanche, murmura Bella, mais que lui est-il arrivé ?

Elles haussèrent les épaules. Thalia apporta un bol avec une pommade épaisse et se pencha sur le blessé.

— Ce sont des coupures très nettes, c’est étrange.

Elle enduisit toutes les plaies. Ensuite elle mit des linges essorés par-dessus, simplement posés. L’homme sembla revenir doucement à lui. Thalia en profita pour porter une écuelle à ses lèvres. Il but avec difficulté. Contre toute attente, il ouvrit les yeux et, agrippa Thalia, la fixant d’un regard terrorisé.

— Weldsoi (sanglier)… schräcklig (effrayant)… d’r Täifel (un démon).

Sa tête retomba, il sombra dans l’inconscience. Les cinq femmes se regardèrent, figées dans le silence. Flore tremblait un peu.

— Le Derr a dit vrai, murmura-t-elle... Thalia ?

Elle la scrutait, les yeux implorants. La vieille restait silencieuse.

— Oui le Derr a dit vrai, je m’en doutais. Je dois chercher à en savoir plus. Je dois vous laisser un moment. Je pense que vous êtes capables de vous en occuper. Il faut surtout le surveiller.

Sans ajouter un mot, elle se leva et se dirigea vers l’arrière de la cabane. Lorsqu’elle revint, une besace en bandoulière, son visage était redevenu impassible.

— Je dois partir. Je vais chercher des réponses. Vous pouvez le surveiller, n’est-ce pas ?

Alix, Flore et Lia hochèrent la tête, bien qu’une appréhension muette se lisait dans leurs yeux.

Thalia ouvrit la porte. À l’extérieur, Naraël attendait, adossé à un poteau, les bras croisés.
— Je viens ? demanda-t-il simplement.

Elle acquiesça, et ils s’éloignèrent ensemble. À peine étaient-ils partis que les trois femmes sortirent également, attirées par les questions pressantes de ceux qui attendaient encore dehors.

— Que se passe-t-il ? comment va-t-il ? Qu’est-ce qu’il a dit ?

Alix expliqua en quelques mots ce qu’elles avaient vu et entendu. Les murmures de l’assemblée devinrent des exclamations. Une tension palpable monta dans l’air, chaque regard cherchant une réponse dans l’obscurité naissante.

À mesure que l’inquiétude gagnait les cœurs, une sourde angoisse s’insinua dans le camp, comme une ombre invisible, mais oppressante.

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