CHAPITRE XI : L'Arbre - Maître (1)

4 minutes de lecture

Thalia perçoit la menace

Naraël suivit Thalia qui se dirigea vers le grand hêtre qui s’épanouissait à quelques pas du camp. Thalia étala un tapis au sol, elle s’assit et Naraël prit place en face d’elle. Les ramures de l’arbre vénérable se dessinaient dans la pénombre. Ils ne s’étaient pas éloignés beaucoup du camp. Pourtant, isolés dans leur silence, ils semblaient loin de tout. Toujours silencieusement, le vieux alluma un petit feu sur une pierre plate destinée à cet usage. Thalia y jeta une poignée de champignons séchés. Elle étouffa les flammes. Une fumée âcre s’éleva. Elle se pencha pour la humer avec quelques gestes de la main. Elle ne put s’empêcher de tousser. Elle recommença plusieurs fois. Naraël restait immobile.

Elle se tint le dos droit, ferma les yeux et débuta une litanie, les yeux fermés. Elle entrouvrait à peine les lèvres. Naraël avait déjà assisté à ces séances. Il guettait ses réactions. Elle entama une série de lents mouvements d’avant en arrière, en murmurant des paroles dans la langue des anciens que comprenait Naraël. Elle se pencha plusieurs fois au-dessus de la fumée. Le silence pesa autour d’eux, presque palpable. Thalia basculait toujours lentement d’avant en arrière, plongée dans ses visions. Soudain, elle se figea. Elle ouvrit brusquement les yeux. Une expression d’alarme traversa son visage. Naraël essayait de déchiffrer ses pensées. Il se garda bien de poser des questions. Il fallait la laisser « revenir ».

— Il y a une menace Naraël, dit-elle enfin.

Le vieux décela une lueur d’inquiétude au fond de ses yeux.

— Peux-tu en préciser la nature, lui souffla-t-il ?

Elle inspira profondément.

— Pas vraiment, elle vient du col de Blusang. Je sens que ces bêtes monstrueuses sont également liées à cet endroit. Cela complète les augures que j’ai vus. Il y a dix nuits, la lune était rouge sang et puis j’ai vu des nuées de corbeaux se diriger vers ce lieu maudit.

Elle marqua une pause, scrutant Naraël, mais il resta silencieux, attendant qu’elle continue.

— Oui, reprit-elle avec plus de fermeté, il se passe quelque chose là-bas.

Naraël poussa un soupir discret. Il était rare que Thalia se trompe dans ses pressentiments, et cela ne faisait qu’alourdir sa décision.

— Je vais interroger l’Arbre-Maître, dit-il simplement.

Il vit les sourcils de Thalia se froncer, et son regard se durcir.

— Tu es sûr de vouloir faire ça ?

Il acquiesça doucement.

— Oui. Je vais y aller, avec Thibaut.

Il marqua une pause, cherchant ses mots.

— Je t’ai déjà dit que j’avais détecté le don en lui.

Thalia se rembrunit aussitôt, son visage se fermant à demi.

— Thibaut... murmura-t-elle.

Sa voix semblait alourdie par une pensée qu’elle n’osait formuler pleinement.

— Je ne sais pas. Je sens une menace sur lui, plus précisément. C’est difficile à expliquer.

Elle marqua une pause, avant d’ajouter :

— Tu m’as dit qu’il possédait ce don. Je te crois. Mais... il y a quelque chose de plus profond en lui, quelque chose que je n’arrive pas à cerner.

Naraël détourna brièvement le regard, son malaise trahissant ce qu’il ne pouvait lui révéler. Il choisit ses mots avec soin.

— Il est jeune. Son potentiel est rare, Thalia. Cela le rend vulnérable... d’une certaine manière.

Elle le dévisagea, ses yeux perçant ses propres silences. Il sentit son propre cœur se serrer sous ce regard.

— Et toi ? répliqua-t-elle brusquement. Je me souviens surtout de ton état, la dernière fois. Tu semblais brisé, Naraël. Tu reviens de ces contacts avec l’Arbre-Maître comme quelqu’un qui s’est tenu au bord d’un abîme.

Elle posa ses mains sur les siennes, et il sentit à travers ce geste toute son inquiétude et sa tendresse.

— Cela te consume. Et je crains qu’un jour tu n’en reviennes pas. L’âge est là, Naraël, ajouta-t-elle dans un murmure empreint de douceur.

Naraël la fixa un long moment, son regard s’ancrant dans le sien.

— Tu sais bien que je suis l’un des rares qui possèdent encore ce don.

Il marqua une pause, serrant légèrement les mains de Thalia.

— C’est pour cela que je dois y aller avec Thibaut. Il devra reprendre cette charge un jour.

Thalia pinça les lèvres, puis détourna les yeux.

— Bon, c’est toi qui décides, murmura-t-elle en se levant. Mais... es-tu sûr de tout me dire ?

Un frisson parcourut Naraël. Il savait qu’elle n’était pas dupe, connaissant les liens étroits qui l’unissaient à Thibaut. Mais il n’avait pas de réponses à lui offrir. Pas encore. Il maintint son regard, espérant y glisser une assurance qu’il ne ressentait pas entièrement. Finalement, elle baissa les yeux, comme pour accepter son silence.

— Retournons leur expliquer tout ça.

Au moment où ils remontaient vers le camp, le cri rauque des corbeaux déchira le ciel. Une nuée sombre tourbillonna au-dessus d’eux, un sombre présage qui s’accrochait à leurs pensées.

Flore épongeait le front du malheureux. Il murmurait des propos incohérents. Elle regarda Bella debout à côté d’elle.

— Il a de la fièvre, il semble aller plus mal.

— Oui, j’espère que Thalia va bientôt revenir.

Comme pour exaucer leur souhait, elles perçurent des voix à l’extérieur. Elles découvrirent un attroupement autour de Thalia et du vieux. Le brouhaha rendait la discussion inaudible.

— Écoutez, il est tard. Je vais manger avec Naraël et ensuite, nous nous réunirons dehors pour discuter. D’abord, je dois m’occuper du blessé. Comment va-t-il, demanda-t-elle à Flore.

— Pas bien.

— Allons voir.

Elle se pencha sur le visage de l’homme et retira tous les tissus un à un, laissant apparaître les lésions qui prenaient une couleur violacée.

— Bella, peux-tu refaire bouillir des linges. Et toi, Flore, tu vas nettoyer toutes les plaies avec une lotion que je vais préparer.

Elle disparut au fond de sa cabane. Flore et Bella allumèrent le feu. Flore gardait son calme, mais elle brûlait intérieurement de toutes les questions qu’elle devait poser à la vieille. Le petit chaudron commençait à fumer lorsque Thalia réapparut.

— Voilà, tu peux nettoyer sans problème, il n’y a plus de risque de saignements. Par contre, il faut faire attention à l’infection. On le sait avec les odeurs. Vas-y !

Elle lui tendit le bol.

— Dès que c’est fini, Bella, tu poses de nouveau les linges comme tu m’as vu faire, je vais rejoindre Naraël, nous nous verrons ensuite.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Bufo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0